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La nouvelle chambre internationale de la Cour d’appel de Paris. Par Christopher Jacquet-Cortès, Avocat.
Parution : mardi 26 juin 2018
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En septembre prochain auront lieu les premières audiences de la C.I.C.A.P. ou Chambre internationale de la Cour d’appel de Paris. Cette nouvelle formation a été créée le 4 avril 2018 par ordonnance de la Présidence de la Cour d’appel de Paris incarnée par Mme Chantal Arens. Il convient de saluer cette initiative en ce qu’elle a l’ambition d’imposer Paris comme un for incontournable pour la résolution des contentieux internationaux des affaires. Au côté de la chambre internationale du Tribunal de commerce de Paris, grâce à une procédure adaptée, cette nouvelle formation a le potentiel pour devenir un outil efficace pour la prévention et la résolution des litiges internationaux.

I. Génèse et ambition de la C.I.C.A.P.

Avec l’annonce du retrait du Royaume-Uni de l’ensemble normatif européen, s’est dessinée la perspective d’un retour aux anciennes règles, plus complexes, de reconnaissance des décisions judiciaires anglaises. Dès lors, la juridiction anglaise représentée par la Commercial Court de Londres subit nécessairement une perte brutale d’attractivité à l’internationale. Force est donc de constater que la place reste à prendre en Europe.

C’est en tout cas à partir de ce constat que la Chancellerie a décidé de confier à Guy Canivet la réalisation d’un rapport sur la question. Les conclusions du rapport ont été déposées le 3 mai 2017. Son auteur concluait à la nécessité de créer des chambres internationales au sein du Tribunal de commerce (ou plutôt moderniser celle déjà existante) et à la Cour d’appel.
Pour s’assurer de l’attractivité du for parisien, le rapport préconisait également de prévoir une procédure adaptée aux litiges commerciaux internationaux ainsi que la possibilité d’inclure la langue anglaise dans cette procédure.

Après plusieurs mois de travaux préparatoires, c’est le 7 février 2018 que les protocoles d’accord confirmant le principe de création de ces chambres et contenant lesdites procédures ont été signés par le Ministère de la Justice et les juridictions concernées. Enfin, le 4 avril dernier, Mme Arens entérinait par ordonnance la création d’une telle chambre au sein de la Cour d’appel de Paris.
Cette création constitue à n’en pas douter une nouvelle opportunité qui, si sa mise en œuvre est réussie, aboutira à faire de la France et plus particulièrement de Paris une place de droit incontournable dans la résolution des contentieux internationaux.

II. Le champ de compétence de la C.I.C.A.P.

Sur le plan matériel tout d’abord, la C.I.C.A.P. n’a vocation qu’à connaitre des litiges commerciaux. Exit donc les contentieux internationaux en matière familiale. Pour l’instant, la Chambre internationale ne connaît ni des procédures de référés ni des décisions arbitrales.
Concernant ensuite la dévolution des affaires à la C.I.C.A.P., c’est naturellement le Greffe central de la Cour d’appel de Paris qui en sera chargé. Il est d’ores-et-déjà acté que les appels sur des jugements de la chambre internationale du Tribunal de commerce de Paris seront confiés à la C.I.C.A.P.

Pour le reste, le Greffe central devra étudier si l’affaire peut être attraite par la C.I.C.A.P. A ce titre, les avocats sont d’ailleurs invités, lorsqu’ils pressentent que l’affaire pourrait concerner la chambre internationale, à le mentionner dans leurs déclarations d’appel.

Enfin, comme il sera développé plus bas, il est prévu que l’affaire puisse être dévolue à la C.I.C.A.P. par le biais d’une clause attributive de compétence ; ce qui n’est pas sans poser de problème sur le plan de l’effectivité desdites clauses et donc de leur prévisibilité juridique.

III. Une procédure adaptée aux litiges internationaux et en constante évolution.

Les protocoles du 7 février 2018, l’un pour le Tribunal de Commerce, l’autre pour la Cour d’appel, mettent en place une procédure spécifique propre aux chambres internationales de ces juridictions.
Premier point important, le recours à cette procédure adaptée est soumise à l’accord des parties. La première audience de mise en état, pour laquelle la présence sera obligatoire, sera dédiée à la vérification de ce consentement. Ce dernier sera alors consigné sur un procès-verbal qui sera joint au dossier.

Ensuite, tel que préconisé par la rapport Canivet, si le français reste bien évidemment la langue officielle, l’anglais devient une langue à part entière de la procédure.
Les débats, les plaidoiries et l’administration de la preuve pourront ainsi être menés dans la langue de Shakespeare.
A titre d’exemple, il sera donc tout à fait envisageable d’entendre des avocats étrangers plaider devant la C.I.C.A.P. sous réserve du respect des règles de postulation. A terme, les procédures pourraient même être menées dans d’autres langues si les compétences linguistiques des juges le permettent.

Enfin, la C.I.C.A.P. entend prôner le recours à une mise en état physique plutôt que papier. Plus précisément, les protocoles incitent les parties à recourir aux mesures d’instruction du Code de procédure civile qui se rapprochent de ce qui est pratiqué dans les procédures anglo-saxonnes. La C.I.C.A.P. devrait donc procéder, plus fréquemment que d’autres chambres, à des auditions de témoins et autres confrontations par exemple. Il s’agit là d’un facteur supplémentaire d’attractivité.

IV. Une opportunité à saisir pour la prévention et la résolution des litiges internationaux.

En l’état, l’objectif annoncé est ambitieux mais la création de la C.I.C.A.P. et le recours à sa procédure spécifique présente des avantages non négligeables.

D’un côté, le recours à la langue anglaise ainsi qu’à une instruction similaire à la procédure de Common Law, le coût bien plus faible qu’un arbitrage (principe de gratuité de la justice française), et la rapidité d’audiencement dans un premier temps, sont des facteurs importants d’attractivité du for français. Les praticiens sont donc invités à se saisir de ces arguments pour contribuer à faire de Paris, et de la France, une place de droit européenne incontournable pour les affaires internationales.

D’un autre côté, la réussite de l’entreprise dépend en grande partie de la réception de ces nouveaux mécanismes par les justiciables et surtout de leur appréhension par les avocats. Dès lors, le recours à des clauses attributives de compétences en faveur des chambres internationales parisiennes sera un facteur essentiel de réussite ou d’échec de l’entreprise.

De même, l’effectivité de ces clauses sera un autre élément déterminant puisque leur rédaction devra permettre de surmonter plusieurs barrières. La première d’entre elles est que la C.I.C.A.P. ne dispose pas, pour le moment, d’une existence légale ; c’est-à-dire qu’elle n’apparaît pas en tant que telle dans le Code de l’Organisation Judiciaire.
La liberté de choix des parties s’arrêtant de facto à la juridiction (exemple : la Cour d’appel de Paris), la saisine d’une chambre en particulier à l’intérieur de cette juridiction leur échappe et relève alors plutôt de l’organisation de la justice.

La prévisibilité juridique des clauses d’attribution de compétence en faveur de la C.I.C.A.P. semble donc être le premier défi de cette nouvelle chambre. Pour le reste, le traitement des premiers dossiers permettra d’ici quelques mois de mettre en lumière d’éventuels difficultés pratiques, le fonctionnement de la C.I.C.A.P. ayant vocation à évoluer et s’améliorer au fil du temps.

En conclusion, la création d’une Chambre Internationale au sein de la Cour d’appel de Paris, parallèlement à celle du Tribunal de commerce de Paris, constitue à n’en pas douter une initiative intéressante sur le plan international et une opportunité dont les avocats doivent se saisir pour la résolution des litiges internationaux. Néanmoins, il conviendra d’être conscient des difficultés que soulève la procédure qui l’accompagne et proactif pour pouvoir y apporter des solutions.

Christopher Jacquet-Cortès Avocat à la Cour Inscrit aux Barreaux de Paris et Barcelone Brugueras, Alcántara & García-Bragado email: cjacquet@brugueras.com