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Les enjeux de la directive sur la protection des secrets d’affaires. Par Alexandre Peron, Legal Counsel.
Parution : mercredi 4 juillet 2018
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Plus de deux ans depuis sa publication au journal officiel de l’Union européenne, l’heure de vérité pour la directive relative à la protection des secrets d’affaires est arrivé. Ce nouveau cadre européen protégeant la confidentialité des informations des entreprises s’apprête à faire son apparition dans le droit français.

La directive sur la protection des secrets d’affaires en date du 8 juin 2016 a fait l’objet en France d’une étude approfondie tant par l’Assemblée nationale que le Sénat, notamment au travers le projet de loi de transposition.

Suite au rapport de la commission mixte paritaire, le projet de loi semble avoir été adopté le 21 juin 2018. Néanmoins, le 26 juin 2018, le Conseil constitutionnel a fait l’objet d’une saisine par plus de soixante députés, et par plus de 60 sénateurs en application de l’article 61 alinéa 2 de la Constitution. Le Conseil a pour rôle de se prononcer sur la conformité de la proposition de loi à la Constitution, et cela dans un délai d’un mois à compter de la saisine.

Quels sont les enjeux de cette directive qui fait couler beaucoup d’encre ?

Au niveau national, l’enjeu majeur est de donner un cadre strict au sujet qui jusqu’à lors n’est pas clairement défini. Ceci pose bien entendu problème car les contours d’une telle infraction, n’étant pas clairement précis, rend complexe la détermination du qualificatif à retenir dans les hypothèses de poursuites judiciaires et rend encore plus difficile de réparer le préjudice pouvant découler directement de la violation d’un secret d’affaires. Pourquoi ? Car le régime de responsabilité de droit commun se veut trop général, alors qu’un régime spécial devrait être créé spécifiquement.

Au niveau européen, l’objectif de la directive est avant tout d’uniformiser le droit applicable par chacun des États membres. En effet, trop de disparités sont aujourd’hui source d’un véritable vide juridique, et d’autant plus que le phénomène de globalisation des affaires a entrainé depuis des dizaines d’années l’émergence d’une « vie des affaires » transfrontière.

Toutefois, comme pour tout texte européen, la transposition de cette directive n’est pas simple, et d’autant plus qu’elle touche à un sujet sensible. En France les députés et sénateurs se sont opposés, et c’est au terme de nombreux amendements, de l’intervention de la commission des lois, de la commission des affaires économiques et enfin d’une proposition effectuée par la commission mixte paritaire le 24 mai 2018, que les députés et sénateur sont tombés d’accord.

En réalité leurs oppositions ne semblaient pas être fondées sur le fond juridique du projet de loi mais sur des questions de sémantique avant tout, mais nous savons tous que la sémantique revêt une importance cruciale. Nous pouvons noter que parmi les points de discussion, figuraient les sujets relatifs à l’extension du secret des affaires à l’ensemble des informations ayant une « valeur économique » et non pas seulement « une valeur commerciale » ; ou encore la suppression par les sénateurs du régime autonome d’amende civile en cas de procédure abusive.

Il faut donc attendre la décision du Conseil constitutionnel, afin de voir apparaître dans l’arsenal législatif français les nouvelles dispositions liées à la protection des secrets d’affaires. Mais cela ne suffira surement pas, et la transposition de la directive sera probablement qu’un début à l’émergence d’un régime plus global en la matière, régime qui sera le bienvenu.

La question est de savoir comment les entreprises vont accueillir ces nouvelles dispositions et comment elles vont s’organiser en interne afin de les respecter. Les dispositifs relatifs à la confidentialité vont probablement évoluer et les Juristes seront mis à contribution (même si en l’absence du statut d’Avocat d’entreprise, les Juristes internes ne pourront toujours pas opposer le secret de leurs correspondances ou de leurs préconisations). Plus que de la répression, il faut et faudra avant toute chose s’adonner à de la prévention et de la communication positive.

Si le dispositif est ambitieux, il repose avant tout sur la capacité des entreprises à appréhender ce qui relève du régime de protection, et pour cela des guidelines ministérielles (arrêté ou décret) devront être mises en place.

Alexandre Peron Legal Counsel