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Bateaux logements, péniches d’habitation et autres « house boat » sont-ils soumis au nouvel Impôt sur la Fortune Immobilière ? Par Léopold Lemiale, Avocat.
Parution : lundi 16 juillet 2018
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L’article 31 de la loi de finances pour 2018 a supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune (« ISF ») et a créé un nouvel impôt sur la fortune immobilière (« IFI »).
A l’occasion de la publication des commentaires administratifs sur l’IFI en date du 8 juin 2018, la question se pose de savoir si les bateaux et maisons flottantes à usage de résidence principale qui étaient compris dans l’assiette taxable de l’ISF, le sont encore au regard de l’assiette taxable de l’IFI ?

A l’instar d’autres grandes villes européennes, la France connait un développement tout particulier en matière d’habitat fluvial.

Grisées par la vie au bord de l’eau, de nombreuses personnes sont désormais tentées par l’achat d’un bateau logement.

« Vivre sur l’eau...c’est un véritable art de vivre, se lever avec les lumières du matin, déjeuner avec vue sur la Seine, recevoir ses amis dans un lieu qui ne laisse personne indifférent ». [1]

Fleurissent ainsi au bord de la Seine de remarquables péniches d’habitation à l’avantageux gabarit Freyssinet (38 m x 5m) [2] ou encore des maisons flottantes dites « house boat » ou "établissements flottants" au design épuré et à l’aménagement soigné.

Le prix de vente de ces nouveaux modes d’habitat et leurs larges surfaces extérieures (ponton, terrasse, sun deck, etc.) n’a cessé de grimper pour atteindre parfois des prix proches de ceux que l’on connaît avec l’immobilier et pour les mieux lotis, pour des montants supérieurs au seuil d’assujettissement de l’IFI (1,3 millions d’euros).

Alors que comme nous le verrons, l’assujettissement à l’ISF des bateaux logements ne semblait pas faire beaucoup de doute, la question se pose aujourd’hui avec force de savoir si les heureux propriétaires de ce type de biens doivent intégrer la valeur de leur bateau dans leur déclaration de patrimoine au titre du nouvel IFI.

1. Rappel des règles.

L’article 31 de la loi de finances pour 2018 [3] a supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune (« ISF ») et a créé un nouvel impôt sur la fortune immobilière (« IFI »).

L’assiette de l’ISF était constituée par la valeur nette de l’ensemble des biens, droits et valeurs taxables (sous réserve des exonérations prévues par la loi) appartenant au 1er janvier de l’année d’imposition aux personnes mentionnées à l’article 885 A du code général des impôts (« CGI ») ainsi qu’à leurs enfants mineurs lorsqu’elles ont l’administration légale des biens de ces enfants [4].

Il ne faisait donc pas de doute que les bateaux logements à usage de résidence principale, comme tous les autres bateaux, étaient compris dans l’assiette taxable au titre de l’ISF.

S’agissant de l’IFI, l’assiette de l’impôt institué par la loi de finances pour 2018 est constituée par la valeur nette de l’ensemble des actifs immobiliers appartenant au 1er janvier de l’année d’imposition aux personnes mentionnées à l’article 964 du CGI ainsi qu’à leurs enfants mineurs lorsqu’elles ont l’administration légale des biens de ces enfants [5].

L’assiette de l’IFI est donc constituée exclusivement de biens et droits immobiliers (sous réserve des exceptions prévues par la loi).

L’article 965 du CGI définissant l’assiette de l’ISF dispose que l’assiette de l’IFI est « constituée par la valeur nette au 1er janvier de l’année :
1° De l’ensemble des biens et droits immobiliers appartenant aux personnes mentionnées à l’article 964 ainsi qu’à leurs enfants mineurs, lorsqu’elles ont l’administration légale des biens de ceux-ci ;
2° Des parts ou actions des sociétés et organismes établis en France ou hors de France appartenant aux personnes mentionnées au 1° du présent article, à hauteur de la fraction de leur valeur représentative de biens ou droits immobiliers détenus directement ou indirectement par la société ou l’organisme ».

L’article 965 du CGI ne définit ne cependant pas les termes « biens […] immobiliers ».

L’Administration fiscale, à l’occasion de la publication des commentaires administratifs sur l’IFI en date du 8 juin 2018, est venue définir la notion de « biens […] immobiliers » en matière d’IFI.

Pour la notion de « biens […] immobiliers », l’Administration fiscale renvoie, en l’absence de définition prévue par l’article 965 du CGI, aux règles fixées par le code civil.

Ainsi, doivent être considérés comme des biens immobiliers au sens de l’article 965 du CGI, tous les immeubles par nature au sens des dispositions de l’article 518 et suivants du code civil [6]

A ce titre, l’article 531 du code civil précise que les bateaux sont des biens meubles.

L’Administration précise que sont concernées toutes les constructions fixées au sol à perpétuelle demeure. Elle exclut de l’assiette de l’IFI les simples constructions qui ne sont pas fixées au sol et qui peuvent être transportées facilement (cabines, kiosques, guérites, baraques foraine) [7]

Néanmoins un doute pourrait subsister dans l’esprit du justiciable car l’Administration accepte de faire bénéficier de l’exonération pour cession de la résidence principale prévue à l’article 150-U du CGI, la cession d’une péniche à usage de résidence principale sous réserve du respect des trois conditions suivantes :
- le bateau ou la péniche ne doit pas être destiné à la navigation ;
- il est soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties ;
- il est effectivement utilisé au jour de la cession en un point fixe à usage d’habitation principale de son propriétaire.

Elle précise néanmoins que la péniche « constitue juridiquement un bien meuble » et qu’il ne s’agit que d’une tolérance [8].

S’agissant encore de la question de la taxe foncière, il ne peut y avoir non plus de véritable confusion.

En effet, deux réponses ministérielles récentes [9], sont venues rappeler que les péniches à usage d’habitation (et par conséquent servant de résidence principale) sont bien assujetties à la taxe foncière sur les propriétés bâties, en application de l’article 1381 du CGI qui dispose que sont soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties « les bateaux utilisés en un point fixe et aménagés pour l’habitation, le commerce ou l’industrie, même s’ils sont seulement retenus par des amarres ».

La jurisprudence précise que la qualification de bien meuble d’un bateau au regard de l’article 531 du code civil est inopérante dès lors que le CGI prévoit des dispositions spécifiques aux bateaux en matière de taxe foncière [10] et n’autorise donc pas de renvoyer aux dispositions du code civil.

2. Application à l’espèce.

A la lecture des textes relatifs à l’IFI et des commentaires de l’Administration fiscale du 8 juin 2018, un bateau à usage de résidence principale ne devrait pas rentrer dans l’assiette de l’IFI.

En effet, la notion de bien immobilier telle que prévue par l’article 965 du CGI, doit être comprise comme tous les immeubles par nature au sens des articles 518 et suivant du code civil.

Or, ledit code dispose à son article 531, que les bateaux qui ne sont pas fixés par des piliers ne sont pas des immeubles mais des biens meubles.

Au surplus, l’article 518 précise que sont meubles par leur nature les biens qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre.

Or, les bateaux même non motorisés, s’ils ne peuvent se déplacer par eux même, peuvent à tout moment être transportés par une force extérieure et la règlementation leur impose même une sortie d’eau tous les dix ans pour vérifier l’état de la coque.

En tout état de cause, s’agissant des bateaux stationnant sur le domaine public, les conventions d’occupation précaire signées avec le gestionnaire du domaine public fluvial empêche de facto l’existence d’une quelconque attache à perpétuelle demeure.

Ainsi, une péniche ne saurait à tous égards être considérée comme un immeuble et par conséquent ne devrait pas être retenue dans l’assiette de l’IFI.

Les commentaires de l’Administration viennent par ailleurs exclure de l’assiette imposable à l’IFI, les simples constructions [11] :
- qui ne sont pas fixées au sol ;
- qui peuvent être transportées facilement.

Cette précision vise notamment les cabines, kiosques et baraques foraines. Ces biens reposent bien sur le sol mais n’y sont pas fixés. Bien que l’Administration ne vise pas nommément les péniches, ces dernières remplissent bien les deux conditions mentionnées précédemment et ne devraient donc pas être retenues dans l’assiette de l’IFI.

La circonstance selon laquelle la cession d’une péniche à usage de résidence principale, peut bénéficier de l’exonération de plus-value immobilière visée au 1° du II de l’article 150-U du CGI, ne nous semble pas devoir remettre en cause l’exclusion des péniches de l’assiette de l’IFI dès lors que :
- l’Administration précise dans les commentaires relatifs à cette exonération que la péniche est juridiquement un bien meuble ; et
- qu’il ne s’agit que d’une tolérance de sa part.

Finalement, l’imposition à la taxe foncière des péniches à usage d’habitation (et par conséquent à usage de résidence principale) ne permet pas selon nous de permettre de faire rentrer dans l’assiette de l’IFI, les péniches à usage de résidence principale. En effet, bien que le code civil considère les bateaux comme des biens meubles, le CGI contient une disposition spécifique qui assujettit à la taxe foncière les bateaux à usage d’habitation.

Or en matière d’IFI, il n’existe pas de disposition spécifique aux bateaux à usage d’habitation ou de résidence principale et l’Administration indique dans ses commentaires qu’il convient de définir la notion de bien immobilier au regard des dispositions du code civil, excluant de fait les bateaux de l’assiette taxable de l’IFI en application de l’article 531 du code civil.

En définitive et sous réserve de l’appréciation de l’administration, les propriétaires de bateaux logements n’ont pas à déclarer la valeur de leur bateau dans leur déclaration IFI.
En somme, avec l’absence de droit de mutation et de frais de notaire, voici un nouvel atout pour ceux qui ont fait le choix de vivre au bord de l’eau.

Léopold LEMIALE Avocat en droit immobilier et droit fluvial

[1Edito de Valérie HUVE société RIVERCOACH spécialiste de la vente et de la location de bateaux logements http://www.rivercoach.fr/.

[3Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017

[4BOI-PAT-ISF-30-20130614 n° 1

[5BOI-PAT-IFI-20-20180608 n° 1

[6BOI-PAT-IFI-20-20-10-20180608 n° 10.

[7BOI-PAT-IFI-20-20-10-20180608 n° 20.

[8BOI-RFPI-PVI-10-40-10-20150812 n° 320

[9Rep. Min. publiée le 08/03/2016 page 1970 question n°92103 Monsieur Alain Suguenot / Rep. Min. publiée le 27/02/2018 page 1682 question n°9383 de Madame Florence GRANJUS.

[10CAA Nancy 18 décembre 2003, 2e ch., n° 01-1047, Mme HoffarthCAA Nancy 18 décembre 2003, 2e ch., n° 01-1080, M. Loux / Conclusion du commissaire du gouvernement Mme Pascale ROUSSELLE

[11BOI-PAT-IFI-20-20-10-20180608 n° 20

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