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Le droit de préférence du locataire en matière de bail commercial serait-il devenu d’ordre public ? Par Arnaud Boix, Avocat.
Parution : mercredi 1er août 2018
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C’est tout l’intérêt de la décision qui vient d’être rendue par notre Haute Juridiction ce 28 juin 2018 !

La loi n° 2014-826 du 18 juin 2014, dite loi Pinel, avait pour ambition de rééquilibrer les relations entre bailleur et locataire commerciaux.

Le législateur, souhaitant favoriser la pérennité de l’entreprise, a ainsi donné l’opportunité au locataire d’acquérir par préférence la propriété du local qu’il exploite.

Néanmoins la rédaction souvent malhabile de cette loi constitue une menace pour l’efficacité de certaines mesures tendant au rééquilibrage du statut des baux commerciaux.

Historiquement, les droits de préemption se sont multipliés depuis le milieu du XXe siècle. Dans le domaine du bail commercial, ils sont au nombre de deux :
- Le premier a été instauré par une loi du 2 août 2005 et figure aux articles L.214-1 à L.214-3 du Code de l’urbanisme, il bénéficie aux communes en cas de cession de fonds de commerce, de fonds artisanal ou de bail commercial ;
- Le second est celui que la loi Pinel, codifiée à l’article L145-46-1 du code de Commerce, a instauré au profit du locataire titulaire d’un bail commercial en cas de vente du local par la propriétaire bailleur dans lequel une activité artisanale ou commerciale est exercée.

En vertu de l’article précité, lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il doit préalablement en informer le locataire qui dispose de la faculté de se voir prioritairement proposer le bien à la vente.

À la lecture de ce texte, on constate donc que certaines conditions doivent être réunies pour que le droit de préemption puisse s’appliquer, il doit notamment y avoir une vente portant sur des locaux à usage commercial ou artisanal.

L’article L. 145-46-1 du Code du commerce ne visant que la vente, il exclut à contrario tous les actes à titre gratuit (donation, legs...) et les actes à titre onéreux qui ne sont pas des ventes (apport en société, échange, partage…).

Le terme local quant à lui désigne un bien corporel, de ce fait la vente des parts d’une SCI ou encore d’un terrain nu est donc indéniablement exclu.

Ces conditions étant réunies, il y a lieu de respecter le droit de préemption du locataire commercial.
Pour ce faire, une notification du projet de vente doit être effectuée par le propriétaire, laquelle est suivie d’une réponse du locataire, précédant ainsi la réalisation de la vente.

La notification de la vente doit, selon l’article L. 145-46-1 du Code de commerce, indiquer d’une part le prix et les conditions de la vente envisagées et d’autre part reproduire les dispositions des quatre premiers alinéas de l’article susvisé, sous peine de nullité de la notification.

Elle doit être adressée au locataire par lettre recommandée avec accusé de réception, ou être remise en main propre contre récépissé ou émargement, une signification par acte d’huissier étant également possible par application du principe général de l’article 651 du Code de procédure civile.

En cas d’absence de notification, il va de soi qu’une vente conclue avec un tiers en violation du droit reconnu au locataire serait frappée de nullité.

Il existe cependant des exceptions faisant obstacle à la mise en œuvre du droit de préemption du locataire, elles sont portées au nombre de cinq :
- La cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial ; correspondant à l’hypothèse de locaux situés dans une galerie marchande ou un centre commercial ;
- La cession unique de locaux commerciaux distincts ; correspondant au cas d’une vente portant globalement sur plusieurs locaux commerciaux ;
- La cession d’un local commercial au copropriétaire d’un ensemble commercial ; favorisant de ce fait la réunion de tels locaux entre les mains du ou des copropriétaires d’un ensemble commercial ;
- La cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux ; correspondant à l’hypothèse de la vente d’un immeuble comprenant d’autres locaux à usage extra-commercial ;
- La cession d’un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint.

La rédaction de ladite loi portant parfois à confusion, un point très sensible est resté pendant longtemps en suspens entrainant de vives réactions de la part de la doctrine.

En effet, cette dernière s’est longtemps interrogée sur le fait de savoir si ce droit de préemption était ou non d’ordre public.

Cette mésentente est principalement due au fait que la loi n’apporte pas de réponse à cette question mais aussi que la liste des dispositions du statut qui sont d’ordre public, prévu aux articles L145-15 et L145-16 du Code de commerce, n’a pas été complétée, laissant de ce fait penser qu’un tel droit ne serait impératif. À ce stade, une dérogation conventionnelle pouvait dès lors permettre d’écarter un droit de préemption qui est, au demeurant, nécessairement d’ordre public au regard de son importance

Ce n’est que très récemment que la Cour de cassation est venue corriger l’erreur commise par le législateur, en conférant, dans un arrêt destiné à une large publication, le statut d’ordre public à l’alinéa 1er de l’article L. 145-46-1. [1].

Ainsi, une éventuelle clause privant le locataire titulaire d’un bail commercial de son droit de préemption serait donc réputée non écrite.

Qu’en est-il par ailleurs du sous locataire commercial de l’ensemble du local commercial qui vient aux droits du locataire principal en termes de propriété commerciale (du droit au renouvellement) ?

Il serait assez cohérent au vu de l’objectif poursuivi par le législateur de 2014 qu’il en bénéficie également créant de la sorte une nouvelle exception au droit de préemption du locataire principal. Sans doute que la jurisprudence nous éclairera bientôt sur ce point.

Arnaud Boix, Avocat Cabinet Eloquence Avocats Associés www.eloquence-avocats.com

[1Cass. Civ3.28 juin 2018. n°17-14.605

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