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Etude sur l’éligibilité du Sénateur Jean-Pierre Bemba aux Présidentielles en RDC. Par Junior Kitenge Kyungu, Juriste.
Parution : mercredi 1er août 2018
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Après dix ans de détention à La Haye, la chambre d’appel de la Cour Pénale Internationale (ci-après CPI) a rendu, en date du 08 juin 2018, un jugement d’acquittement au profit du Sénateur Congolais Jean-Pierre Bemba Gombo, dans l’Affaire lui opposant au Procureur de la CPI, pour les crimes commis par ses troupes en République centrafricaine, en tout début des années 2000.

En effet, à l’occasion de sa première sortie médiatique après sa libération, le mercredi 25 juillet 2018 en terre Bruxelloise, le Sénateur Jean-Pierre Bemba a dévoilé clairement et sans équivoque ses intentions de briguer la magistrature suprême en décembre 2018, en RDC.

Depuis lors, les débats fusent de partout sur son éligibilité ou non à candidater, puisqu’il a été condamné par la CPI, dans une affaire annexe à la principale (dont il a été acquitté), à savoir celle sur la "subornation des témoins". L’ignorance du Droit étant l’ennemie de son application, nous allons nous livrer à un exercice scientifique, par cette contribution modeste, en tentant d’éveiller la conscience des non initiés aux sciences juridiques.

Pour les besoins de la cause, il nous sera question d’aborder successivement l’influence d’un jugement rendu par la CPI sur le droit national d’un État Partie (I) ainsi que les conditions d’éligibilité posées par le droit positif congolais en la matière (II).

I. Influence du jugement rendu par la CPI sur le droit d’un État Partie.

Il est d’une évidence notoire que la CPI, dans la mise en œuvre effective de sa politique juridique, se veut d’une juridiction de seconde zone, laissant la primauté d’actions aux juridictions nationales pour les crimes relevant de sa compétence (A), jouant ainsi un rôle de secouriste en arrière plan, voire en filigrane (B).

A. Primauté d’actions pour les juridictions nationales.

Le Statut de Rome instituant la CPI (ci-après Statut), qui célébrait le 17 juillet 2018 le vingtième anniversaire depuis son adoption, pose dès les prémisses (article 1er du Statut) le principe selon lequel la CPI est "complémentaire des juridictions pénales nationales", en ce sens que la primauté d’actions des crimes à grande échelle relevant de sa compétence, revient aux États Parties au Statut.

En effet, il est donc important de souligner que lorsqu’une affaire est portée devant la CPI, cela présuppose un dessaisissement préalable d’une juridiction pénale nationale normalement compétente, lequel dessaisissement peut soit être causé par l’absence manifeste de volonté de juger les présumés auteurs desdits crimes, soit par l’incapacité pour l’État à se saisir de l’affaire soit encore par la volonté expresse de l’État (Partie) de porter l’affaire devant la CPI, cette dernière possibilité étant un des modes de saisine de la Cour (art. 14 du Statut).

Ainsi, les décisions que rendent les juges de la CPI ne constituent une jurisprudence que pour la CPI et non pour les juridictions des États Partie au Statut, quoique l’ayant ratifié. En d’autres termes, les juges des États partis au Statut ne peuvent en aucun cas importer une décision rendue par la CPI et l’insérer dans leurs arsenaux juridiques comme jurisprudence, sous prétexte de ratification du Statut de Rome.

Par conséquent, les juridictions nationales qui, au départ, détenaient le plein pouvoir sur l’affaire, ne pourront plus se prévaloir d’une quelconque immixtion le long de la procédure. La seule et unique fois où ils pourraient intervenir sera lors d’une sollicitation de coopération (s’il y a lieu) par la Cour.

On peut désormais s’en apercevoir, la CPI est une juridiction de seconde zone, jouant un rôle secouriste pour, notamment, lutter contre l’impunité (B).

B. Complémentarité pour les actions de la CPI comme rôle secouriste.

Nous l’avons précédemment soutenu, le Statut de Rome pose, dès le départ, en son premier article, le principe de complémentarité vis-à-vis des juridictions pénales nationales.

Cependant, une fois la CPI aux commandes de l’affaire, elle reste seule maîtresse de la procédure pénale à appliquer, se basant intégralement sur son texte fondamental qu’est le Statut de Rome, rendant à cet effet, "inopérant" les textes nationaux des États Parties, nonobstant le fait que les États soient, en quelque sorte, les géniteurs mêmes de ce texte. La situation est telle qu’en droit communautaire, la ratification d’un texte international, par un État, renvoie à une cession partielle de sa souveraineté au profit du texte international ratifié.

Par conséquent et au regard de ce qui précède, il est d’une impérieuse nécessité de noter que "la condamnation à la CPI n’affecte en rien le casier judiciaire du condamné au niveau du Droit Interne de son État d’origine", parce que la CPI est une juridiction à part entière et qui n’obéit à aucune hiérarchie de normes au plan international.

Il est donc établi que pour le cas de Jean-Pierre Bemba, quoiqu’ayant été condamné par la CPI sur cette affaire annexe de subornation des témoins, qu’il reste bel et bien éligible aux présidentielles de décembre 2018, puisque cette condamnation n’entache en rien son casier judiciaire en RDC. D’où l’importance capitale d’analyser ce que valent les conditions d’éligibilité posées par le droit positif congolais en la matière (II).

II. Les conditions d’éligibilité posées par le droit positif congolais en la matière.

Il convient de noter que l’éligibilité est l’aptitude à être élu. C’est donc la capacité juridique à pouvoir se présenter à une élection par voie de suffrages. Ainsi, les conditions d’éligibilité sont cet ensemble des conditions requises pour pouvoir être élu. Pour les besoins de l’exercice, nous aborderons tour à tour les conditions d’éligibilité au point de vue de la Constitution du 18 février 2006 telle que révisée et complétée à ce jour (A) ainsi que les conditions d’inéligibilité posées par la Loi électorale (B).

A. Conditions d’éligibilité vues sous l’angle constitutionnel.

Tout État a notamment pour éléments caractéristiques la population, le territoire, les emblèmes et armoiries, etc. Cependant, au delà de ces éléments existe un texte fondamental qui régente le vécu d’une nation, la Constitution, laquelle revêt une double dimension, à savoir protectrice des droits et libertés fondamentaux des individus et organisatrice des pouvoirs publics.

En RDC, les critères d’éligibilité aux élections présidentielles sont posés de manière laconique par l’article 72 de la Constitution. Cependant, la Constitution ne pouvant retracer en son sein que les grandes lignes des matières, c’est-à-dire les principes généraux, cet article renvoie, en son point 4, à la Loi électorale pour les cas d’inéligibilité.

C’est à ce titre que nous nous intéresserons à l’énumération des conditions d’inéligibilité contenues dans la loi électorale (B).

B. Conditions d’inéligibilité contenues dans la loi électorale.

Votée par le parlement congolais, la loi électorale intervient pour préciser, compléter les dispositions de la Constitution (en matière électorale) qui elle n’a fixé que les principes généraux.

En effet, en son article 10, la loi électorale établit une "liste exhaustive" des conditions d’inéligibilité pour les présidentielles, au nombre desquelles ne figurent pas l’infraction de "subornation de témoins", sur le fondement duquel a été condamné le Sénateur Jean-Pierre Bemba, à la CPI. Cette disposition évoque notamment le cas de la corruption, qui ne doit en aucun être assimilée à la subornation des témoins puisque les deux infractions sont distinctement définies par le Code Pénal Congolais Livre II, en ses articles 129 et 147.

La subornation des témoins n’ayant donc pas été reprise "expressis verbis" par l’énumération exhaustive de la loi électorale, il ne fait l’ombre d’aucun doute que l’Honorable Sénateur Jean-Pierre Bemba sera juridiquement éligible pour les présidentielles de Décembre 2018, en RDC.

Par Junior Kitenge Kyungu, Juriste Diplômé en Droit international (Master 2) à l'Université de Bordeaux