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Licenciement abusif et indemnisation : montants et appréciations. Par Didier Reins, Avocat.
Parution : vendredi 3 août 2018
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Le montant d’indemnisation que peut demander un salarié qui s’estime victime d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse a été profondément revu par les ordonnances Macron avec la mise en place d’un barème obligatoire. État des lieux.

Les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 ont profondément modifié le code du travail dans un sens jamais vu jusque-là.

Parmi les nouveautés, figure celle de l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse qui a vu la mise en place d’un barème d’indemnisation obligatoire.

L’idée était de mettre en place un mécanisme basé sur la sécurité juridique des rapports sociaux où chacun, salarié comme employeur, connaîtrait l’étendue de ses droits et obligations.

État des lieux.

I. La situation avant le 24 septembre 2017.

Si le licenciement était prononcé sans respect de la procédure et/ou sans motif valable, le salarié pouvait saisir le Conseil de Prud’hommes pour réclamer une indemnisation.

1. Les indemnités dues en cas d’irrégularité de la procédure de licenciement.

Deux hypothèses étaient possibles :

Hypothèse 1 : Lorsque l’entreprise comptait plus de 10 salariés et que le salarié avait plus de 2 ans d’ancienneté dans l’entreprise, le juge accordait une indemnité qui ne pouvait être supérieure à un mois de salaire.

Attention : cette indemnité ne se cumulait pas avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Seule l’indemnité sanctionnant l’absence de cause réelle et sérieuse était versée au salarié.

Hypothèse 2 : Lorsque l’entreprise comptait moins de 11 salariés ou lorsque le salarié avait moins de 2 ans d’ancienneté dans l’entreprise, celui-ci pouvait obtenir ici une indemnité en fonction du préjudice qu’il avait subi et dont il devait apporter la preuve.
Cette indemnité pouvait ici être cumulée avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2. Les indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans une entreprise ayant plus de 10 salariés et lorsque le salarié avait plus de 2 ans d’ancienneté dans l’entreprise :

Le salarié pouvait demander sa réintégration dans l’entreprise. Mais en pratique, cette demande est très rare et encore fallait-il que l’employeur accepte. En l’absence de réintégration, le salarié pouvait obtenir le paiement d’une indemnité d’au moins égale à six mois de salaire (article L. 122-14-4 du Code du travail). Le tribunal pouvait également condamner l’employeur au remboursement de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié, du jour de son licenciement jusqu’au jour du jugement prononcé par le tribunal, dans la limite de six mois d’indemnités.

Remarque : des indemnités spécifiques existaient en cas de licenciement pour motif économique. D’abord, si le salarié obtient l’annulation de son licenciement (à la suite notamment de l’annulation du plan de sauvegarde de l’emploi) et lorsque le salarié n’a pas voulu ou pu réintégrer l’entreprise, le tribunal lui octroie une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois. Par ailleurs, le défaut de mention de la priorité de réembauchage dans la lettre de licenciement pour motif économique donne lieu à la condamnation de l’employeur au paiement d’une indemnité qui ne peut être inférieure à deux mois de salaire.

Dans une entreprise ayant moins de 11 salariés ou lorsque le salarié avait moins de 2 ans d’ancienneté dans l’entreprise :

Le salarié pouvait demander en justice la condamnation de son employeur au paiement d’une indemnité calculée en fonction du préjudice subi.

C’étaient les juges qui appréciaient souverainement l’étendue de ce préjudice, en fonction notamment de la difficulté qu’aurait le salarié à retrouver un emploi (compte tenu de son âge, du secteur d’activité, etc.), du fait des conséquences entraînées par la chute de ses revenus, etc.

On le voit donc, l’indemnisation accordée aux salariés était largement tributaire d’une appréciation subjective des membres du conseil de prud’hommes.

Cela a pu conduire à des condamnations très lourdes, avec des conséquences catastrophiques pour des petites entreprises, qui ont été condamnées à d’importants dommages et intérêts simplement parce que certains conseillers prud’homaux avaient une appréciation très partisane de l’affaire en fonction de considérations plus idéologiques que juridiques...

Et l’on a souvent constaté que sur des dossiers similaires, les condamnations n’étaient pas les mêmes d’un conseil de prud’hommes à l’autre.

Il y avait donc un manque de sécurité juridique tout à fait anormal auquel il fallait remédier.

L’idée d’un barème d’indemnisation a longtemps été avancée mais les différents gouvernements ont toujours reculé devant la fronde syndicale.

Un premier pas fut cependant effectué avec une loi "MACRON" du 6 août 2015 qui invitait le juge à s’appuyer sur un référentiel indicatif afin de fixer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mais cela n’était qu’un référentiel indicatif...
Autrement dit, le conseil des prud’hommes pouvait ne pas l’appliquer, ce qui était très souvent le cas !

Ce référentiel indicatif n’est plus applicable aujourd’hui.

Les règles relatives à l’indemnisation du salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ont, elles aussi, été abrogées pour être remplacées par de nouvelles règles qui mettent désormais en place le barème obligatoire.

II La situation à compter du 24 septembre 2017.

Désormais, les conseils de prud’hommes ne peuvent plus faire ce que bon leur semble et sont tenus d’appliquer un barème obligatoire.

L’indemnisation du salarié ne reposera donc plus sur une appréciation subjective de son préjudice mais sera connue à l’avance

Ce barème obligatoire comprend des montants minimums et maximums d’indemnisation en fonction de l’ancienneté du salarié, et rien d’autre !

Il ne sera donc plus tenu compte, comme avant, de sa situation personnelle.

Le code du travail continue à distinguer, selon la taille de l’entreprise, afin de tenir compte des facultés financières de cette dernière.

L’indemnisation sera donc différente selon que l’entreprise compte plus ou moins de 11 salariés.

Ce barème obligatoire se trouve désormais à l’article L 1235-3 du code du travail qui pose l’indemnisation comme suit.

1. Pour les entreprises de moins de 11 salariés.

Dans ce cas, le code du travail ne prévoit qu’une indemnité minimale et pas d’indemnité maximale.

Si le salarié a une ancienneté inférieure à un an, aucune indemnisation n’est prévue.

Ensuite, si l’ancienneté du salarié est :
1 an, son indemnisation serait de 0,5 mois de salaire.
2 ans, l’indemnisation serait également de 0,5 mois de salaire.
3 ans, l’indemnisation serait de 1 mois de salaire.
4 ans, l’indemnisation serait également de 1 mois de salaire.
5 ans, l’indemnisation serait de 1,5 mois de salaire.
6 ans, l’indemnisation serait également de 1,5 mois de salaire.
7 ans, l’indemnisation serait de 2 mois de salaire.
8 ans, l’indemnisation serait également de 2 mois de salaire.
9 ans, l’indemnisation serait de 2,5 mois de salaire.
10 ans et plus, l’indemnisation serait également de 2,5 mois de salaire.

2. Pour les entreprises de plus de 11 salariés.

Dans ce cas, le code du travail considère que l’entreprise a une faculté contributive plus importante de telle sorte que les indemnisations pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sont également plus importantes.

Le code du travail fixe donc une fourchette indemnitaire et l’indemnisation du salarié sera donc comprise entre une indemnité minimale et une indemnité maximale.

L’indemnité est donc fixée comme suit :

Si le salarié à une ancienneté inférieure à un an, son indemnité maximale sera de un mois de salaire.

Ensuite, si l’ancienneté du salarié est de :
1 an, l’indemnité sera comprise entre 1 et 2 mois de salaire ;
2 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 3,5 mois de salaire ;
3 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 4 mois de salaire ;
4 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 5 mois de salaire ;
5 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 6 mois de salaire ;
6 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 7 mois de salaire ;
7 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 8 mois de salaire ;
8 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 8 mois de salaire ;
9 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 9 mois de salaire ;
10 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 10 mois de salaire ;
11 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 10, 5 mois de salaire ;
12 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 11 mois de salaire ;
13 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 11, 5 mois de salaire ;
14 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 12 mois de salaire ;
15 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 13 mois de salaire ;
16 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 13,5 mois de salaire ;
17 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 14 mois de salaire ;
18 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 14,5 mois de salaire ;
19 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 15 mois de salaire ;
20 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 15,5 mois de salaire ;
21 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 16 mois de salaire ;
22 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 16,5 mois de salaire ;
23 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 17 mois de salaire ;
24 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 17,5 mois de salaire ;
25 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 18 mois de salaire ;
26 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 18,5 mois de salaire ;
27 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 19 mois de salaire ;
28 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 19,5 mois de salaire ;
29 ans, l’indemnité sera comprise entre 3 et 20 mois de salaire ;
30 ans et plus, l’indemnité sera comprise entre 3 et 20 mois de salaire.

III- Les cas dans lesquels le barème obligatoire ne s’applique pas.

Le code du travail prévoit une exception notable au barème obligatoire : celui-ci ne sera pas applicable si le juge constate que le licenciement est frappé de nullité.

Un licenciement est nul lorsqu’il repose sur la violation d’une liberté fondamentale.
Exemple : licenciement prononcé pour des faits de grève.
La grève étant une liberté dite fondamentale, aucun salarié ne peut être licencié pour avoir participé à une grève.

Un licenciement sera également nul lorsqu’il touche un salarié victime ou témoin de faits de harcèlement moral ou sexuel.

Un licenciement sera nul lorsqu’il est discriminatoire ou consécutif à une action en justice tendant à faire constater l’existence d’une discrimination.

Un licenciement sera également nul lorsqu’il est consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre hommes et femmes.

Un licenciement sera nul lorsqu’il sera opéré en violation de la protection accordée aux lanceurs d’alerte, aux représentants du personnel ainsi qu’en violation de la protection liée à la maternité ou à la paternité.

Enfin, un licenciement sera nul s’il est prononcé en violation de la protection accordée aux salariées victimes d’accidents du travail ou de maladie professionnelle.

Dans l’une de ces hypothèses, et si le juge prononce la nullité du licenciement, le barème obligatoire d’indemnisation ne s’applique pas.

Dans ce cas, le juge peut octroyer au salarié une indemnisation qui ne peut être inférieure aux salaires cumulés des six derniers mois.
Bien entendu, le juge peut aller au-delà et condamner l’employeur à une indemnisation supérieure à six mois de salaire.

Cela concerne toutes les entreprises quelle que soit leur taille.

IV. La raison d’être au barème obligatoire.

Le barème obligatoire ne s’est pas imposé sans mal.

Nous l’avons dit plus haut, beaucoup de gouvernements y ont songé mais sans aller plus loin par crainte des conséquences sociales promises par bon nombre de syndicats.

Pour autant, force était de constater qu’une certaine insécurité juridique régnait d’un conseil de prud’hommes à l’autre, les indemnisations accordées dans des affaires similaires allant parfois du simple au triple, voire même plus, selon "l’orientation" des conseillers prud’homaux.

Désormais, les entreprises sauront à quoi s’attendre et connaîtront donc le risque maximum en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse de l’un de leurs salariés.

Celles-ci pourront donc anticiper, budgétiser et provisionner les montants auxquels elles pourraient être tenues en pareille hypothèse.

Lorsque les ordonnances Macron ont été rédigées, puis promulguées, de nombreux débats sur toutes les antennes de télévisions et de radios se sont tenus.

On peut, bien sûr, penser ce que l’on veut de la mise en place d’un barème obligatoire et le but de cet article juridique n’est pas d’être pour ou contre mais d’être objectif.

Et l’objectivité commande de dire que la sécurité juridique et judiciaire est toujours préférable à l’incertitude.

Cela d’autant plus que, finalement, cette incertitude pesait autant sur les employeurs que sur les salariés.

Aujourd’hui, les choses ont le mérite d’être claires et de figurer dans notre arsenal juridique.

Il n’y aura donc plus d’arbitraire ou d’incertitude à redouter.

Et d’un autre point de vue, cela assure une certaine égalité entre salariés de même ancienneté, ce qui est, là aussi, une bonne chose.

Qui plus est, l’existence d’un barème obligatoire n’est pas figée indéfiniment.

Son existence peut bien évidemment être revue.

Les montants d’indemnisation peuvent, eux aussi, être revus à la hausse en fonction des sensibilités politiques et du courage des gouvernements qui se succèdent.

Didier Reins Avocat E-Mail : [->reins.avocat@gmail.com] Site Web: https://reinsdidier-avocat.com