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Affaire Meccano ou comment lutter contre la dégénérescence d’une marque ? Par Juliette Tallobre, Juriste.
Parution : vendredi 3 août 2018
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Tout commence en 2011 quand la société Sebdo, propriétaire du journal "Le Point", est attaquée pour avoir fait un usage banalisant la marque Meccano. L’hebdomadaire avait en effet, à plusieurs reprises, utilisé le terme « meccano » comme un mot usuel, sans mentionner qu’il s’agissait d’une marque déposée. Ce faisant, Le Point participait à la dégénérescence de la marque Meccano, c’est-à-dire à sa transformation en nom commun. Après un long procès (et un passage en cassation en 2017), la Cour d’appel de Paris a finalement tranché.

Les dangers de la dégénérescence.

La dégénérescence est un phénomène qui touche certaines marques, victimes de leur succès. Alors même que la notoriété permet en général aux titulaires de marques de bénéficier d’une protection étendue, la marque qui devient un nom commun encourt le risque d’être annulée par les tribunaux.

En effet, la marque doit avant tout permettre de désigner des produits et services, et de les distinguer de ceux des concurrents. En devenant un mot générique, la marque ne remplit plus son rôle premier. Le titulaire risque donc d’être confronté à une déchéance de ses droits pour dégénérescence. Nombreuses sont les marques concernées : Caddie, Pédalo, Frigidaire, Fermeture Eclair, Klaxon, Bikini, Trampoline, Tupperware, Photomaton, Polaroïd. Pour ne pas perdre la valeur économique attachée à leurs marques – qui ont souvent fait l’objet d’un investissement publicitaire important – les titulaires devront agir.

En effet, l’inaction du titulaire risque d’être interprétée comme une tolérance de la dégénérescence et pourra, le cas échéant, être sanctionnée. Mais il existe heureusement certains moyens pour lutter contre ce phénomène.

Comment lutter contre la dégénérescence ?

Pour bien défendre ses droits sur la marque, le titulaire devra combiner des actions préventives et répressives. En effet, la lutte contre la dégénérescence passe en premier lieu par l’éducation. Mais parfois, la pédagogie ne suffit pas et il faut agir en justice pour sanctionner les mauvais usages.

La prévention comme premier moyen de lutte contre la dégénérescence.

Certains titulaires de marques vont jusqu’à créer ou promouvoir un nom générique spécifique (« le ruban adhésif Scotch » ou « le correcteur liquide Tipp-ex ») pour distinguer leur marque de leurs produits. D’autres font le choix de diversifier leur offre : ainsi, sous la marque Bic, on trouve non seulement les stylos à bille mais également des briquets et des rasoirs jetables.

Tous les titulaires de marques en voie de dégénérescence opèrent également une veille renforcée des publications. En effet, les tribunaux attendent de la part d’un titulaire de marque une réaction prompte. Ainsi, il existe une surveillance quasi-quotidienne de la marque Caddie. Ce contrôle couvre les journaux, les brochures, les dictionnaires mais aussi les sites internet. Dans l’affaire Pina Colada, le juge avait prononcé la dégénérescence de la marque, notamment car un site internet consacré aux cocktails utilisait le terme de manière générique. Cette surveillance des publications doit cependant être suivie d’une action de la part du titulaire pour être efficace. Celui-ci devra donc envoyer des lettres de mise en demeure pour informer l’auteur ou l’éditeur du danger encouru pour la marque, et ainsi faire cesser les atteintes.

Dans l’affaire qui nous occupe, Meccano [1] avait à plusieurs reprises adressé des courriers au jounral Le Point : tout d’abord le 6 septembre 2006, puis le 18 mars 2010, et une nouvelle fois le 26 août 2010. La société Sebdo avait alors répondu qu’elle tiendrait « le plus grand compte » de cette mise au point. Cependant, Le Point avait à nouveau utilisé le terme « Meccano » comme un nom commun dans un article publié en mars 2011. Suite à nouvelle mise en demeure de Meccano, Le Point avait alors soutenu que l’usage reproché était réalisé à titre métaphorique et non pour désigner « de manière commune et matériellement un jeu de construction ».

Malheureusement, et comme le montre l’espèce, il est fréquent que les lettres de mise en demeure n’aient pas l’effet escompté. Il faudra donc envisager une action en justice, qui permettra surtout de démontrer la détermination du titulaire à défendre sa marque.

L’action répressive illustrée par l’affaire Meccano v. Le Point

L’action en contrefaçon n’est possible qu’à l’encontre de concurrents. Dans le cas de Meccano, et comme souvent dans les affaires de dégénérescence de marques, l’usage fait par Le Point n’avait pas un caractère concurrentiel. Le fabricant de jouets a donc opté pour une action en responsabilité civile. Cette action est fréquemment utilisée par des titulaires de marque contre des journaux (Caddie a ainsi agi contre Le Figaro et Libération). Dans ces deux affaires, les juges ont estimé que l’utilisation de la marque par un tiers causait un préjudice au titulaire, caractérisé par le risque de dégénérescence.

Le 12 septembre 2011, la société Meccano a donc fait assigner la société Sebdo devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Les juges, estimant que Meccano n’apportait pas la preuve d’une faute de la part du Point, déboutent la demanderesse de l’ensemble de ses demandes [2].

Celle-ci fait appel, et le 21 octobre 2014, la Cour d’appel de Paris retient que Sebdo avait employé le mot « meccano » comme un mot usuel du langage journalistique, étendant la marque de jeu à la désignation de toutes sortes de systèmes de construction ou de montage architecturaux sans jamais indiquer qu’il s’agissait d’un nom déposé. Ce faisant, le Point incitait ses lecteurs à croire que le signe en cause pouvait être employé de manière usuelle et généralisée. Cette action était par nature préjudiciable au titulaire de la marque. La Cour d’appel condamne donc Le Point à 30 000 euros de dommages et intérêts. [3].

Sebdo s’est alors pourvue en cassation. Elle fait en particulier valoir que le seul emploi journalistique d’une marque déposée « à titre de métaphore » n’est pas constitutif d’une faute, dès lors qu’un risque de confusion n’est pas créé dans l’esprit du lecteur entre la marque et les produits qu’elle vise. La Cour de cassation valide cet argument : « L’usage d’un signe enregistré en tant que marque n’est pas fautif s’il n’est pas susceptible d’être à l’origine d’une dégénérescence de cette marque ». [4].

Cette décision très commentée semblait donner définitivement raison au titulaire de la marque. Pourtant, la décision de la Cour d’appel de Paris du 18 mai dernier se montre nettement moins favorable à Mecccano.

En effet, la Cour estime que l’usage du nom Meccano, fait à titre métaphorique dans des articles de presse, n’est pas fautif. Il n’engage donc pas la responsabilité de Sebdo. En effet, pour les juges : « l’utilisation de la marque à titre de métaphore ne contribue à sa dégénérescence que si elle tend à la désignation de produits ou de services. » Dans cette affaire, la métaphore employée par les journalistes du Point était utilisée soit pour désigner des manœuvres politiques, soit des constructions architecturales ou des mécanismes. Assez étonnamment, le fait que ce soit le jeu Meccano « qui fait partie du patrimoine culturel mondial », qui soit évoqué par les métaphores des journalistes et non n’importe quel jeu de construction, joue également en faveur du Point. [5].

Si la Cour n’a pas prononcé la dégénérescence de la marque Meccano, cette décision ne joue pas en faveur de la marque. En effet, cette affaire qui a duré de longues années devait surtout servir à indiquer la volonté du titulaire de défendre sa marque bec et ongles. Aujourd’hui, il est à parier que les marques en voie de dégénérescence choisiront d’autres moyens de défense, moins coûteux. On peut imaginer une évolution des pratiques semblables à ce qui se passe aux États-Unis, les titulaires de marques se limitant désormais à l’envoi de « friendly letters » aux journaux.

Cette décision est-elle isolée ou montre-t-elle une évolution de la jurisprudence française, allant dans le sens d’un durcissement envers les marques génériques ? Pour le savoir, il convient de garder un œil attentif sur toutes les marques concernées et qui n’ont pas encore dit leur dernier mot : Bic, Polaroid, Quiès, Kärcher et tant d’autres…

Juliette Tallobre Juriste en propriété intellectuelle Cabinet Yamark - www.depot-de-marque.com

[1La société Meccano est titulaire de deux marques Meccano, qui désignent entre autres, des jeux et des jouets : une marque française n° 1 598 289 déposée en 1990, et une marque communautaire n°000 201 343 déposée le 1er avril 1996.

[2TGI Paris, RG n° 11/13338

[3CA Paris, pôle 5, n°13/08736

[4Cass. Com., 1er mars 2017, n°15-13.071

[5CA Paris, Pôle 5 - chambre 2, 18 mai 2018, n° 17/16354