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Faut-il prendre en compte l’existence d’un camping dans la caractérisation d’une agglomération au sens de la loi Littoral ? Par Pierre Jean-Meire, Avocat.
Parution : jeudi 13 septembre 2018
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Par une décision du 11 juillet 2018 [1], mentionnée dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’État est venue préciser les conditions dans lesquelles un camping peut être pris en compte dans la caractérisation d’une agglomération ou un village au sens de l’article L. 121-8 (ancien article L. 146-4 I) du Code de l’urbanisme.

1. Les faits à l’origine de cette décision du Conseil d’État sont assez classiques.

Par arrêté du 23 juillet 2015, le maire de la commune d’Urrugne avait délivré à l’un de ses administrés, un permis de construire en vue de l’édification d’une maison individuelle.

Cela ne fût pas du goût du Préfet des Pyrénées-Atlantiques qui décida de déferrer la légalité de ce permis au Tribunal administratif de Pau en arguant du fait que la construction projetée n’était pas située en continuité avec une agglomération ou un village au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme (ancien article L. 146-4 I du même Code).

Aux termes de cette disposition, qui vise à lutter contre le mitage, il est prévu que « l’extension de l’urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ».

Par jugement du 24 janvier 2017 [2], les juges administratifs palois ont rejeté ce déféré et ont jugé que le projet de maison devait être regardé comme réalisé en continuité avec une agglomération existante, en raison de sa proximité immédiate avec un camping.

Le Ministre de la cohésion des territoires décida de faire appel de ce jugement.

C’est dans ces circonstances que les juges du Palais Royal ont dû se prononcer sur la question de savoir, dans quelles conditions un camping peut-il être pris en compte dans l’appréciation de l’existence d’une agglomération ou d’un village au sens de l’article L.121-8 précité ?

La question revêtait une certaine importance dans la mesure où de nombreux campings se trouvent dans des communes littorales.

2. Plusieurs cours administratives d’appel avaient déjà eu l’occasion de se prononcer, plus ou moins directement, sur la question de savoir s’il devait être tenu compte de la présence d’un camping.

Ainsi, s’agissant de la notion d’espace urbanisé utilisé pour la bande de cent mètres (article L. 121-16 du Code de l’urbanisme), la Cour administrative d’appel de Nantes avait déjà eu l’occasion de juger que : « 3. (…) [le] projet de construction litigieux est situé rue de la Cale à Damgan, à l’extrémité est du village de Kervoyal, à l’intérieur de la bande littorale des cent mètres définie par les dispositions figurant alors au III de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme ; que cette parcelle, non bâtie, fait directement face au rivage, dont elle n’est séparée par aucune construction ; qu’elle fait face, au nord, à un terrain destiné à l’accueil de maisons mobiles de loisirs, qui ne peut être regardé comme un espace urbanisé (…) ». [3]

S’agissant de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, la Cour administrative d’appel de Marseille avait jugé que « 12. (…) que les terrains de camping situés au sud et au sud-est du terrain d’assiette abritant notamment des habitations légères de loisir et alors même qu’ils sont plantés et desservis par les réseaux ne peuvent être regardés comme un espace urbanisé permettant une extension de l’urbanisation en continuité ; » [4]

Certaines jurisprudences avaient quant à elle admis que l’existence d’un camping soit prise en compte pour déterminer si le secteur urbanisé en cause pouvait être qualifié d’agglomération au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme : « 3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le projet de lotissement de dix lots dont s’agit est localisé à l’extrémité Nord du lieu-dit Tréhervé, lequel prend la forme d’un bourg rattaché à la commune d’Ambon, dont il est distant d’environ deux kilomètres ; que ce bourg est constitué d’une cinquantaine de constructions à usage d’habitations et d’un grand camping de plus de 150 habitations légères de loisir, répartis sur un espace s’étendant en longueur sur environ 350 mètres, de part et d’autre de la route de la Baie, sur une profondeur d’environ 50 mètres à partir de celle-ci du côté le moins construit et comprise entre 100 et 130 mètres en son côté Nord, sans rupture nette d’urbanisation, les constructions à usage d’habitation déjà présentes sur place étant soit directement voisines les unes des autres, soit voisines du camping ; que le lieu-dit Tréhervé se caractérise ainsi par un nombre et une densité significatifs de constructions et présente, par suite, les caractéristiques d’un espace urbanisé au sens du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme ». [5]

Dans la jurisprudence ici commentée, le Conseil d’État est venu se positionner dans le prolongement de cette dernière veine jurisprudentielle et a précisé les conditions dans lesquelles un camping peut être pris en compte pour caractériser une agglomération ou un village au sens de l’article L. 121-8 du Code précité.

3. Aux termes de sa décision du 11 juillet 2018, rendue suite à la lecture des conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, la Haute juridiction administrative a jugé que : « un projet de construction peut être regardé comme réalisé en continuité avec une agglomération existante pour l’application du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme lorsqu’il se situe à proximité immédiate d’un camping si les constructions soumises à autorisation qui se trouvent dans ce camping assurent la continuité avec l’ensemble des constructions avoisinantes et si la construction projetée est elle-même dans la continuité des constructions du camping ».

Cette jurisprudence vient donc expressément reconnaître que des constructions, qui ne sont pas nécessairement pérennes, puisque amovibles, peuvent être prises en compte pour déterminer le degré d’urbanisation d’un secteur et ainsi définir s’il est qualifiable d’agglomération ou de village au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.

Le Conseil d’État fait ici preuve d’un pragmatisme bienvenu en matière d’application de la loi Littoral, dès lors que, si un camping revêt un caractère moins définitif qu’une construction « en dur », il est cependant rare qu’il disparaisse.

En outre, comme le relève Madame Bretonneau dans ses conclusions, les aménagements nécessaires dans les campings, toujours plus indispensables à leurs compétitivités, conduisent indéniablement à un « très net durcissement » de leurs occupations urbanistiques.

4. La jurisprudence du Conseil d’État oblige donc à faire une appréciation en deux temps afin de déterminer si un camping peut être pris en compte.

D’une part, il convient de vérifier si les constructions soumises à autorisation du camping assurent la continuité du camping avec l’ensemble des constructions avoisinantes.

Il s’agit dans cette première étape de déterminer si ces constructions sont bien elles-mêmes en continuité avec une agglomération ou un village.

Les constructions avoisinantes devront alors être suffisamment nombreuses et densément implantées. [6]

A l’inverse, si les constructions du camping sont situées en discontinuité elles ne pourront permettre de raccrocher un projet de construction à un village ou à une agglomération.

D’autre part, si tel est le cas, il conviendra alors de vérifier que le projet d’extension de l’urbanisation, se situe en continuité avec ces constructions du camping

Ainsi, si les constructions d’un camping sont situées en continuité avec une agglomération, mais que le projet de construction est situé en continuité d’un endroit du camping qui ne comprend pas ces constructions soumises à autorisation, alors ce projet ne pourra être autorisé.

La question centrale induite par cette jurisprudence est donc de déterminer quelles sont les « constructions soumises à autorisations » devant être prises en compte.

La jurisprudence ici commentée ne fournit pas d’explications sur ce point, renvoyant l’affaire au Tribunal administratif.

Il semblerait que la notion d’autorisation évoquée soit relative aux autorisations d’urbanisme.

Ainsi nécessairement, les installations en dur d’un camping devront être prises en compte (sanitaires, bâtiments d’accueil, restaurant, piscine…) dès lors qu’elles sont soumises à permis de construire ou déclaration préalable en fonction de leurs importances.

La question est plus délicate s’agissant des mobiles-homes implantés dans les campings.

Le Code de l’urbanisme, prévoit deux « catégories » de mobile-home en fonction de leur capacité de mobilité.

Les articles R. 111-37 et suivants du Code de l’urbanisme définissent le régime applicable aux Habitations légères de loisirs (HLL), c’est-à-dire aux « constructions démontables ou transportables, destinées à une occupation temporaire ou saisonnière à usage de loisir », alors que les articles R. 111-41 et suivants sont relatifs aux Résidences Mobiles de Loisir (RML), c’est-à-dire "les véhicules terrestres habitables qui sont destinés à une occupation temporaire ou saisonnière à usage de loisirs, qui conservent des moyens de mobilité leur permettant d’être déplacés par traction mais que le code de la route interdit de faire circuler."

Il résulte de ce qui précède que, seules les HLL peuvent être considérées comme des constructions au sens du Code de l’urbanisme.

Les RML quant à elles sont expressément qualifiées de véhicule.

S’agissant des terrains de camping, le Code de l’urbanisme ne soumet à déclaration préalable que les constructions : « d’habitations légères de loisirs implantées dans les conditions définies à l’article R. 111-38, dont la surface de plancher est supérieure à trente-cinq mètres carrés » (article R. 421-9 b) du Code de l’urbanisme).

Par ailleurs, la construction d’HLL est soumis au droit commun, et donc à déclaration préalable dès 5 m2 de surface de plancher et a permis de construire au-delà de 20 m2, en cas d’implantation d’une HLL « sur un emplacement situé à l’intérieur du périmètre d’un terrain de camping (…) qui a fait l’objet d’une cession en pleine propriété, de la cession de droits sociaux donnant vocation à son attribution en propriété ou en jouissance ou d’une location pour une durée supérieure à deux ans » (Article R. 111-40 du Code de l’urbanisme).

Il apparaît donc que seuls ces deux types d’HLL seraient à prendre en compte pour déterminer l’existence d’une agglomération ou d’un village, dès lors que seules ces constructions sont effectivement soumises à autorisation.

Cette solution est particulièrement surprenante.

Difficile de comprendre en quoi le fait que la construction soit soumise à autorisation dans un camping a une quelconque pertinence dans l’appréciation du caractère urbanisé du secteur concerné.

Ainsi, une lecture stricte de cette jurisprudence devrait conduire à ce que dans un camping comportant de nombreuses HLL densément implantées, celles-ci ne pourront être prises en compte si leurs superficies sont inférieures à 35 m2.

Le raisonnement du Conseil d’État nécessitera par ailleurs de devoir faire des recherches pour déterminer si les HLL d’un camping sont bien d’une superficie nécessitant l’obtention d’une autorisation, ou si les conditions de l’article R. 111-40 précité ont été réunies.

Or, ces informations sont parfois difficiles à obtenir.

Enfin, la solution adoptée par le Conseil d’État conduit à une forme de rupture d’égalité.

Implicitement, le Conseil d’État admet que de manière générale les HLL, en tant que construction, peuvent être prises en compte pour déterminer la densité d’un espace urbanisé et ainsi, éventuellement le qualifier d’agglomération ou de village.

Mai, faire dépendre la prise en compte de ces constructions de leur nécessité d’obtenir une autorisation, va conduire à ce qu’une HLL située en dehors d’un camping puisse être utilisée dès que sa superficie dépassera 5 m2 (puisqu’elle nécessitera alors une déclaration préalable R. 421-9 a) du Code de l’urbanisme) alors que la même HLL sera ignorée lorsqu’elle est implantée dans un camping.

De la même manière différentes HLL dans un même camping pourront ou non être prises selon qu’elles ont été soumises au droit commun en vertu de la règle fixée à l’article R. 111-40 du Code de l’urbanisme.

Au regard de l’objectif de lutte contre le mitage de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, la solution du Conseil d’État n’apparaît pas totalement satisfaisante.

Au final, si l’on peut se féliciter du pragmatisme dont à fait preuve le Conseil d’État en acceptant par principe qu’un camping et ses constructions puissent être pris en compte dans la qualification d’agglomération ou de village, il est regrettable que la haute juridiction administrative ait fait dépendre cette prise en compte de la question de la nécessité pour lesdites constructions de faire l’objet d’une autorisation. [7]

Cabinet d\'avocat OLEX - Maître Pierre JEAN-MEIRE Avocat au Barreau de Nantes www.olex-avocat.com https://twitter.com/MeJEANMEIRE

[1N° 410084

[2N° 1600210

[3CAA Nantes 18 décembre 2017 n° 16NT01319.

[4CAA Marseille 16 décembre 2016 16MA00756.

[5CAA Nantes 5 février 2016 Commune d’Ambon n° 15NT00387.

[6CE 9 novembre 2015 Commune de Porto Vecchio n° 372531, publié au recueil sur ce point, V. auparavant CE 27 septembre 2006 Commune du Lavandou n° 275924, mentionné dans les tables mais sur un autre point.

[7Pour consulter cet article avec les liens hypertextes https://www.avocat-jean-meire.com/c...