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L’application des frais de gardiennage sur un véhicule déposé chez le garagiste. Par Vincent Berlioux, Avocat.
Parution : jeudi 20 septembre 2018
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Bilan sur l’application des frais de gardiennage sur un véhicule confié au garagiste. Sont-ils automatiquement opposables au client ? L’existence d’un contrat d’entreprise est t-elle déterminante ? Comment se positionne la Cour de cassation en la matière ?

100 €, 500 €, 2.000 €… les frais de gardiennage constituent souvent une surprise désagréable pour les clients qui souhaitent récupérer leur véhicule chez un professionnel de l’automobile.

Certains clients n’hésitent d’ailleurs pas à en contester le principe, s’ils prétendent n’avoir signé aucun document les visant expressément, ou remettre en cause leur montant, s’ils estiment que le prix est trop élevé.

En toutes hypothèses, les frais de gardiennage naissent souvent à la suite d’une situation de blocage entre le garagiste et son client.

Sur ce point, les exemples de paralysie sont nombreux : le véhicule a été déposé dans un garage mais le client n’est pas d’accord sur les réparations à réaliser ; le garagiste facture des réparations non-prévues contractuellement ; le client ne donne plus signe de vie après avoir été informé que les réparations ont été terminées…

Cependant, ils peuvent aussi trouver leur origine dans des situations beaucoup plus paisibles : le véhicule tombé en panne a été entreposé temporairement dans un garage avant d’être transféré dans un autre ; le véhicule a été entreposé dans un garage aux fins d’expertise…

Dans tous les cas, la facturation des frais de gardiennage suppose de réunir des conditions de fait et de droit précises.

Pour bien comprendre leur application, il convient de revoir les textes juridiques en matière de dépôt de véhicule et analyser ces derniers au regard de la jurisprudence.

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En matière de dépôt de véhicule, le principe de base est celui qui figure à l’article 1917 du Code civil :

« Le dépôt proprement dit est un contrat essentiellement gratuit ».

En combinant cette règle avec celle de l’article 1353 du Code civil (« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ») il ressort que le dépôt est considéré fait à titre gratuit, sauf si le garagiste en démontre le caractère onéreux.

Sur ce point et pour information, les garagistes se prévalaient habituellement des tarifs affichés dans leurs établissements – affichage rendu obligatoire selon l’article 13 de l’arrêt du 3 décembre 1987 - pour prouver que le dépôt de véhicule était bien effectué à titre onéreux.

Cependant, cette charge de la preuve a été renversée par la Première Chambre Civile de la Cour de cassation dans une décision du 05 avril 2005, n°02-16.926 :

« Attendu que le contrat de dépôt d’un véhicule auprès d’un garagiste, accessoire à un contrat d’entreprise, est présumé fait à titre onéreux ;

Attendu que pour rejeter la demande de paiement de frais de gardiennage formée par un garagiste, qui a assumé la garde d’un véhicule après réparation, l’arrêt attaqué retient que le garagiste devait démontrer le caractère rémunéré d’un tel dépôt ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il appartenait au propriétaire du véhicule de rapporter la preuve du caractère gratuit du contrat, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

En résumé, le contrat de dépôt d’un véhicule auprès d’un garagiste est désormais présumé fait à titre onéreux, sauf si le client en démontre le caractère gratuit.

Au regard de cette décision, on pouvait penser que le client allait être contraint de régler systématiquement les frais de gardiennage émis par son garagiste car la preuve d’un dépôt à titre gratuit n’allait pas être évidente à rapporter.

En effet, on imagine mal un garagiste faire signer à son client un document de dispense de frais de gardiennage alors que ces frais constituent justement un bon moyen de pression économique pour éviter des abandons de véhicule dans ses locaux.

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Néanmoins, la Première Chambre civile de la Cour de cassation a apporté une précision de taille dans une décision du 26 novembre 2014, n°13-26760 afin de rééquilibrer la relation garagiste-client :

« Attendu, selon le jugement attaqué, qu’à la suite d’un accident de la circulation, le véhicule automobile de M. X... a été transporté, pour expertise, à la demande de son assureur, dans les locaux de M. Y..., garagiste ; que M. X... n’ayant pas repris son véhicule à l’issue de cette mesure, M. Y... lui a fait délivrer une ordonnance d’injonction de payer une certaine somme au titre des frais de gardiennage, à laquelle M. X... a formé opposition ;

Attendu que pour le condamner à payer à M. Y... la somme de 1.080 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2011, le jugement retient que le contrat de dépôt d’un véhicule auprès d’un garagiste, accessoire au contrat d’entreprise, est présumé fait à titre onéreux, et que M. X... ne fournit aucun élément susceptible d’inverser cette présomption ;

Qu’en statuant ainsi, sans constater qu’un contrat d’entreprise avait été conclu entre les parties, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés »

En résumé, la Cour de cassation a pris en compte un critère supplémentaire pour que des frais de gardiennage soient applicables à un contrat de dépôt ; ce dernier doit être l’accessoire d’un contrat d’entreprise.

Pour rappel, le contrat d’entreprise est défini comme une convention par laquelle une personne charge une autre moyennant rémunération d’exécuter un travail en toute indépendance et sans la représenter, ce qui, en matière d’automobile, s’apparente à un accord sur les réparations à effectuer.

Dès lors, s’il n’existe qu’un contrat de dépôt sans contrat d’entreprise, le garagiste ne sera pas en droit de facturer des frais de gardiennage à l’encontre de son client.

Cette solution devrait donc plaire aux propriétaires qui déposent leur véhicule dans un garage aux seules fins d’expertise par un expert privé ou judiciaire, ou qui apportent temporairement leur véhicule dans un garage avant d’être remorqué dans un autre, car faute de contrat d’entreprise, aucun frais de gardiennage ne pourront leur être facturés.

Vincent BERLIOUX www.berlioux-avocat.com
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