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Majeur protégé et poursuites pénales. Par Laurent Mortet, Avocat.
Parution : lundi 8 octobre 2018
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L’article 706-113 du Code de procédure pénale impose, en amont de nombreux événements de la procédure pénale concernant le majeur protégé, l’information obligatoire du curateur ou du tuteur des poursuites et de la date d’audience. La disposition est peu claire, et la jurisprudence récente de la Chambre criminelle a procédé à de nombreuses clarifications indispensables. La disposition est aussi incomplète, ce qui n’a pas manqué d’aboutir récemment à la saisine du Conseil constitutionnel.

Pour l’avocat de la défense, il est pourtant essentiel de maîtriser le champ d’application de l’article et l’intensité des obligations mises à la charge de l’État, tant la sanction de la violation de ces obligations est puissante.

Les régimes de protection du majeur protégé ont tardé à irriguer le droit pénal. Pourtant, dès lors que le majeur faisant l’objet d’une mesure de protection est considéré comme incapable de gérer seul ses affaires civiles, il ne peut être considéré – a fortiori ? – comme capable de gérer seul ses affaires pénales. Le Juge de Strasbourg ne manqua pas de le rappeler à la France : la Cour ne voit […] pas sur quel fondement et pourquoi un individu reconnu inapte à défendre ses intérêts civils et bénéficiant d’une assistance à cet effet ne disposerait pas également d’une assistance pour se défendre contre une accusation pénale dirigée contre lui. » [1]

La France était donc condamnée du fait de l’absence, dans la procédure pénale française, de garanties spécifiques permettant au majeur protégé « de comprendre la procédure en cours et d’être informé d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui au sens de l’article 6 § 3 a) de la Convention ». [2]

À la suite, la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 a créé un nouveau titre au Code de procédure pénale (« de la poursuite, de l’instruction et du jugement des infractions commises par des majeurs protégés »), prévoyant notamment, au nouvel article 706-113 [3], que :

« Le procureur de la République ou le juge d’instruction avise le curateur ou le tuteur, ainsi que le juge des tutelles, des poursuites dont la personne fait l’objet. Il en est de même si la personne fait l’objet d’une alternative aux poursuites consistant en la réparation du dommage ou en une médiation, d’une composition pénale ou d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou si elle est entendue comme témoin assisté.

Le curateur ou le tuteur peut prendre connaissance des pièces de la procédure dans les mêmes conditions que celles prévues pour la personne poursuivie.
Si la personne est placée en détention provisoire, le curateur ou le tuteur bénéficie de plein droit d’un permis de visite.

Le procureur de la République ou le juge d’instruction avise le curateur ou le tuteur des décisions de non-lieu, de relaxe, d’acquittement, d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, ou de condamnation dont la personne fait l’objet.
Le curateur ou le tuteur est avisé de la date d’audience. Lorsqu’il est présent à l’audience, il est entendu par la juridiction en qualité de témoin.
 »

En théorie, l’accomplissement de cette formalité ne devrait pas soulever de difficulté, puisque le Procureur de la République est directement impliqué dans la procédure aboutissant au placement d’un majeur sous un régime de protection : le dossier, en cas de demande, doit être communiqué au ministère public en vertu de l’article 1225 [4] du Code de procédure civile et avis est donné de la décision du Juge des tutelles au Procureur de la République en vertu de l’article 1230-1 [5] du même code).

En pratique, le respect de cette obligation peut s’avérer beaucoup plus délicate, notamment lorsqu’une procédure d’urgence est engagée, et qu’au terme de la garde à vue, le majeur protégé doit être présenté, devant un juge d’instruction, un juge des libertés et de la détention ou le Tribunal correctionnel saisi en comparution immédiate.

Preuve en est : la Chambre criminelle a dû se prononcer à de nombreuses reprises sur le sens de cette obligation, dans plusieurs affaires dans lesquelles l’information au curateur ou tuteur n’avait pas été donnée.

1. Quand le curateur ou le tuteur doit-il être avisé ?

En vertu de l’article 706-113 du Code de procédure pénale, les autorités ont l’obligation d’aviser le curateur ou le tuteur de différents événements procéduraux :
- "des poursuites dont la personne fait l’objet" ;
- "d’une alternative aux poursuites consistant en la réparation du dommage ou en une médiation" ;
- "d’une composition pénale" ;
- "d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité" ;
- d’une audition "comme témoin assisté » ;
- "des décisions de non-lieu" ;
- des décisions "de relaxe" ;
- des décisions "d’acquittement" ;
- des décisions "d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental" ;
- des décisions "de condamnation" ;
- "de la date d’audience".

Remarques générales.

L’information du curateur ou du tuteur est large. Elle n’est pas réservée à la phase du jugement, puisque le texte évoque directement la phase d’instruction (l’audition comme témoin) et fait aussi du juge d’instruction un émetteur de l’information. L’information est concernée par différents types de réponses pénales, dont les alternatives ou la composition pénale. L’information doit avoir lieu en amont des principaux événements procéduraux, ce qui permet d’assurer que le majeur protégé pourra préparer sa défense en prévision de ceux-ci. Il en ressort que l’information est souvent double avant la réalisation d’un événement procédural visé par l’article 706-113 : le curateur ou le tuteur devra, au préalable, recevoir cumulativement notification des poursuites et de la date d’audience, le défaut d’une seule information suffisant à vicier l’acte. [6].

L’article 706-113 contient une lacune évidente concernant l’aménagement des peines.

Malgré l’existence d’une liste, l’article 706-113 n’est pas parfaitement clair quant au champ d’application de l’information du curateur ou du tuteur. L’article 706-113 pose le principe que curateur ou le tuteur est informé des poursuites dont la personne fait l’objet. Mais faut-il informer le curateur ou le tuteur uniquement de la décision de poursuivre le majeur protégé, et en ce cas, à quel moment ? Ou faut-il informer le curateur ou le tuteur en amont dès qu’un acte de poursuite est exercé ? La définition même de la notion de poursuites contre une personne n’est pas claire, alors que la définition de son pendant européen, la notion d’« accusation en matière pénale », a considérablement évolué, pour justifier l’application d’une version allégée des droits de la défense dès l’arrestation policière.

Le dernier cas d’information, celui de la date d’ « audience », sans autre précision, interroge également. S’agit-il d’un cas autonome d’information pour toute audience pénale, y compris celles qui ne se rattachent pas aux autres hypothèses de l’article 706-113, ou bien l’information de la date d’audience ne concerne que les événements cités de l’article 706-113 ? En la matière, l’examen de la jurisprudence est donc essentiel.

L’audience de jugement.

Sans discussion possible, la personne renvoyée devant une juridiction de jugement fait l’objet de poursuites, comme elle est convoquée à une audience. Depuis longtemps, la Chambre criminelle en déduit donc logiquement que le curateur ou le tuteur doit être, à l’avance, avisé de la date d’audience et informé de l’existence des poursuites [7]. Et compte tenu de la nécessité de fournir au majeur protégé une assistance maximale à l’audience de jugement, l’obligation d’aviser le curateur ou le tuteur reçoit dans ce cas une vigueur particulièrement forte : il s’agit d’une obligation « absolument impérative ». [8]. Autrement dit, la décision de condamnation se trouve viciée lorsque l’avis de l’article 706-113 du Code de procédure pénale n’aura pas été délivré préalablement, et ce quand bien même "il n’est pas établi que les juges aient eu connaissance de la mesure de protection juridique dont bénéficiait le prévenu » [9]. Les autorités judiciaires n’ont aucune excuse lorsqu’ils jugent un majeur protégé sans lui accorder les garanties justifiées par son état.

Le principe peut sembler évident : juger équitablement une personne nécessite de procéder à des vérifications et de prendre des précautions qui ne s’effacent pas devant l’urgence. Mais le principe posé par la Chambre criminelle s’affranchit de l’article [10]. Selon cet article, l’avis de l’article 706-113 ne serait impératif que si les « éléments recueillis au cours de ces procédures font apparaître que la personne fait l’objet d’une mesure de protection ».

Les autorités judiciaires n’auraient donc jamais d’obligation systématique de vérifier, avant toute audience, si la personne fait l’objet d’une mesure de protection. Cette dernière disposition réglementaire assouplit considérablement la vigueur de l’obligation légale. Et cette disposition évoque d’ailleurs directement le cas de l’audience de jugement (« si l’existence de cette mesure n’est connue du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement qu’après la mise en mouvement de l’action publique, ces dispositions ne sont applicables qu’à compter de cette date »). On ne cessera de s’étonner qu’une disposition réglementaire vienne réduire la portée d’une obligation posée par la loi, et ce sans jamais que la loi ne renvoie au règlement. La solution de la Chambre criminelle revient donc, au stade du jugement, à écarter l’application de cette disposition réglementaire, ce qui apparaît indispensable, au moins au stade du jugement, afin d’éviter une nouvelle condamnation européenne.

L’audience portant sur la détention provisoire.

La Chambre criminelle fait preuve également d’une interprétation volontariste de l’article 706-113 du Code de procédure pénale en faisant de l’information due au curateur ou le tuteur en cas d’« audience » un cas autonome et distinct des autres hypothèses visées. Ainsi, ce critère justifie que le curateur ou le tuteur soit avisé de la date de l’audience devant le Juge des libertés et de la détention ou la Chambre de l’instruction, au cours de laquelle est tranchée la question de la détention provisoire [11], puisque le curateur ou le tuteur « doit, en outre, être avisé de la date de toute audience concernant la personne protégée ». Pourtant, il ne s’agit plus d’exercer des poursuites, mais de déterminer s’il est nécessaire ou non d’adopter une mesure de sûreté.

L’interrogatoire de première comparution.

D’autre part, le tuteur ou le curateur doit également être avisé au préalable de l’interrogatoire de première comparution, ce qui se justifie, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, à la fois parce qu’il s’agit d’une audience [12] et parce que cet interrogatoire est un acte de poursuites [13]. La Chambre criminelle semble néanmoins, en cette matière, donner plein effet à l’article D. 47-14 du Code de procédure pénale [14].

L’article D. 47-14 du Code de procédure pénale est directement intégré au visa de ce dernier arrêt et il est bien reproché à la Cour d’appel d’avoir écarté toute irrégularité du fait de l’absence d’avis du tuteur, « sans mieux s’expliquer sur l’absence de doute au sens de l’article D 47-14 du code de procédure pénale ». Compte-tenu du motif de cassation, d’abord technique puisque fondé sur un vice de motivation, l’arrêt ne peut véritablement servir à déterminer les éléments de nature à faire apparaître, en procédure, que la personne fait l’objet d’une mesure de protection – ce qui doit imposer un avis impératif au tuteur ou au curateur – ou les éléments de nature à faire naître un simple doute sur l’existence d’une mesure de protection – ce qui impose la réalisation des vérifications nécessaires (l’arrêt de la Cour de cassation se contente de mettre en exergue des éléments qui imposaient au juge d’appel de mieux s’expliquer sur sa conclusion par laquelle il a écarté en l’espèce l’existence d’un doute sur l’existence d’une mesure de protection, à savoir les déclarations des proches relatant que le mis en examen était atteint de maladie mentale, la présence en procédure d’une main courante relatant que le mis en examen était placé en tutelle, et la connaissance par les autorités judiciaires d’une procédure antérieure comportant une expertise psychiatrique mentionnant que le mis en examen se trouvait sous curatelle). L’arrêt ne renseigne pas non plus sur l’ampleur des vérifications à entreprendre dans le cas où les éléments de la procédure font apparaître un doute sur l’existence d’une mesure de protection. Il est à craindre, sur ces points, que la Cour de cassation octroie au juge du fond un pouvoir souverain d’appréciation, et se contente d’un contrôle lié à la qualité de la motivation.

La tolérance de la jurisprudence de la Chambre criminelle, à ce stade de la procédure, est peu compréhensible, alors que contre l’article D47-14 du Code de procédure pénale, s’agissant d’une décision statuant sur le relevé d’une astreinte, elle avait rappelé que la mesure de protection «  ayant été publiée, elle "était nécessairement connue du ministère public" [15]. Ce qui est vrai pour la phase de jugement n’est donc plus vraie au stade de l’enquête, avant l’interrogatoire de première comparution : la mesure peut être ignorée du ministère public, malgré sa publication.

Au moins l’arrêt se montre-t-il exigeant quant à la détermination des circonstances insurmontables de nature à empêcher les autorités judiciaires de procéder aux vérifications nécessaires, en cas de doute sur l’existence d’une mesure de protection. La Cour d’appel, particulièrement précautionneuse dans sa mise à l’écart de toute irrégularité, avait ajouté, en tout état de cause, que les autorités judiciaires se trouvaient dans l’impossibilité de procéder aux vérifications nécessaires en temps utile, du fait de la fermeture du greffe des tutelles et des services d’état civil, en fin de semaine. Ce qui est expressément contredit par la Cour de cassation, qui indique que cela ne saurait « caractériser une circonstance insurmontable faisant obstacle à cette vérification ». On s’en rapportera sur ce point, à l’appréciation de Monsieur François, avocat général à la Cour de cassation, dans son commentaire de cet arrêt : « à défaut de pouvoir accéder au jugement ordonnant la mesure de protection ou à sa publication, il était assez aisé de procéder à des vérifications auprès du service psychiatrique où l’intéressé était suivi, ou encore d’interroger plus précisément ses proches parents. Les difficultés n’étaient aucunement insurmontables ». [16]

Au cours de l’instruction.

Si l’on se fit à un autre arrêt récent de la Chambre criminelle, le curateur ou le tuteur doit être avisé de toute audience se déroulant lors de l’instruction, par exemple de l’audience de la chambre de l’instruction saisie d’une demande d’actes [17].

Au cours de la garde à vue.

L’article 706-113 n’évoque pas expressément le cas de la garde à vue, sauf à considérer qu’il s’agirait déjà de l’exercice de poursuites. Implicitement, la Chambre criminelle a rejeté cette interprétation, en admettant une question prioritaire de constitutionnalité visant l’article 706-113 du Code de procédure pénale, en ce que la disposition ne prévoyait pas d’avis à la curatelle ou la tutelle du placement en garde à vue [18]. La Chambre criminelle a mis en avance le rôle du curateur ou du tuteur dans la défense pénale du majeur protégé, dès ce stade, lequel tient à « la vérification, par le tuteur ou curateur, de ce que l’assistance du majeur protégé par un avocat sera assurée durant la garde à vue, ou que le refus, par ce majeur, d’une telle assistance est dépourvu d’équivoque ». Ce dont il ressortait aussi implicitement, pour la Chambre criminelle, que la protection des droits de la défense du majeur protégé n’exigerait pas une assistance obligatoire de l’avocat en garde à vue.

Le Conseil constitutionnel a logiquement considéré que la carence de l’article 706-113, en ce qu’il n’impose pas l’avis au curateur ou au tuteur du placement en garde à vue du majeur protégé, portait atteinte aux droits de la défense du suspect. Le Conseil constitutionnel validait l’important du rôle du curateur ou du tuteur dès ce stade de la procédure, dès lors que « le majeur protégé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d’opérer des choix contraires à ses intérêts, au regard notamment de l’exercice de son droit de s’entretenir avec un avocat et d’être assisté par lui au cours de ses auditions et confrontations » [19]. Là encore, ces motifs semblent tolérer l’absence d’assistance obligatoire du majeur protégé par un avocat au cours de la garde à vue.

Le Conseil constitutionnel a pris le soin de préciser que les exigences constitutionnelles n’allaient pas jusqu’à imposer aux autorités une obligation de vérification systématique de l’état des suspects : l’obligation d’aviser le curateur ou le tuteur ne s’impose, pour le Conseil, que « lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d’une personne font apparaître qu’elle fait l’objet d’une mesure de protection juridique » (cons. n° 9). La formulation s’inspire manifestement de la disposition de l’article D. 47 14, en quelque sorte constitutionnalisé – soit une promotion foudroyante, dans la pyramide des normes. Le Conseil constitutionnel livre ainsi, clé en main, un projet de loi au législateur, dont la constitutionnalité est validée par avance. Et si le législateur pourra toujours adopter une norme plus exigeante que ce standard minimal, il est vraisemblable qu’il s’en contente. Le Conseil constitutionnel a différé au 1er octobre 2019 la date de l’abrogation de l’article 706-113, ce qui laissera ainsi le temps au législateur d’inclure dans la nouvelle mouture l’avis du curateur ou du tuteur du placement en garde à vue – et il serait sans doute profitable que le législateur en profite pour y intégrer également des dispositions relatives à l’aménagement des peines, avant même une décision d’inconstitutionnalité, qui semble inéluctable.

La décision du Conseil constitutionnel donne donc raison à la Chambre criminelle d’appliquer pleinement l’article D. 47-14 au stade de l’instruction pour atténuer l’obligation des autorités judiciaires. Pourrait-elle inciter la Chambre criminelle a accordé aux autorités la même latitude au stade du jugement ? Cela n’est en tout cas guère souhaitable.

2. Quelle est la sanction de la violation de l’obligation d’aviser le curateur ou le tuteur ?

La Chambre criminelle, puis le Conseil constitutionnel, ont décrit l’importance du rôle du curateur ou du tuteur, dès la garde à vue, pour la défense du majeur protégé, notamment afin de s’assurer que le majeur protégé bénéficie de l’assistance d’un avocat. Son rôle est encore plus essentiel au stade de l’instruction et du jugement. En effet, en cas de grave difficulté intellectuelle, il peut être difficile pour le majeur protégé, s’il est en liberté, de respecter les convocations, ce dont le curateur ou le tuteur pourra favoriser. D’autre part, le curateur ou le tuteur pourra directement fournir à l’avocat des informations et des pièces sur la personnalité du majeur protégé, ce que celui-ci ne pourra toujours faire. Et la participation du curateur ou du tuteur à l’audience, lequel est par ailleurs souvent un partenaire institutionnel des autorités judiciaires, ne peut que rassurer celles-ci.

L’obligation d’aviser le curateur ou le tuteur, de par son rôle important dans la défense pénale du majeur protégé, mérite donc de sanctionner strictement sa violation. "Si, dans un premier temps, la chambre criminelle avait admis que l’annulation de la procédure pour défaut d’avis au curateur ou tuteur puisse être subordonnée à la démonstration de l’atteinte aux intérêts de la personne mise en examen" [20], cette exigence avait rapidement été implicitement abandonnée, les arrêts rendus par la suite [21].

Les arrêts rendus ultérieurement en 2016 ou 2017 ne reprennent pas plus d’exigence liée à la démonstration d’un grief, ce dont il faut bien déduire que le grief n’est pas nécessaire pour entraîner la nullité. Cette analyse est partagée par de nombreux auteurs, qui considèrent pareillement que la violation de l’obligation d’aviser le tuteur ou le tuteur est sanctionné d’une nullité sans grief (v. Thierry VERHEYDE, « Étendue de l’obligation d’information du protecteur d’un majeur protégé pénalement poursuivi ou condamné : la Cour de cassation va loin ! », AJ fam. 2014. 561 ou encore Cyril ROTH, « Majeurs protégés : les nouveautés », AJ fam. 2016. 247). En particulier, l’arrêt de la Cour de cassation précité du 24 juin 2014 [22] est particulièrement éclairant. Afin d’écarter la nullité, la Cour d’appel avait fait état de l’absence de grief pour la majeur protégé, par ce motif : « si le curateur n’a pas été avisé des poursuites, il apparaît que M. X... a toujours été assisté d’avocats et n’a pas manqué d’exercer toutes les voies de recours autorisées jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme ». Cela n’a pas empêché la cassation.

En ne subordonnant pas la nullité à un grief, le moyen procédural de la violation de l’obligation d’information du curateur ou du tuteur est extrêmement puissant. S’agissant d’une décision de condamnation, l’absence d’avis donné à la curatelle ou la tutelle des poursuites ou de la date d’audience peut donc suffire à entraîner une cassation – et offrir un nouveau procès. Au cours de l’instruction, l’absence d’avis donné à la curatelle ou la tutelle de l’interrogatoire de première comparution justifie la nullité de celui-ci, et donc de tous les actes subséquents. Et en matière de détention provisoire, l’incarcération reposant sur une décision prise sans que le curateur ou la tutelle ait été avisée des poursuites et de la date d’audience apparaît à tout le moins irrégulière, ce qui devrait convaincre le juge d’instruction, dans l’attente du dépôt d’une requête en nullité, de mettre fin à cette détention.

Avocat Docteur en droit privé et Sciences criminelles

[2Ibidem, § 65.

[8M. Redon, « Tribunal de police », Rép. Dr. pén. et proc. pén., § 101

[16« La mise en examen d’une personne placée sous curatelle » ; RSC 2017. 771.

[20Cass. crim., 28 sept. 2010, n° 10-83.283 : JurisData n° 2010-018339 ; Bull. crim. n° 144

[21Cass. crim., 3 mai 2012, n° 11-88.725 : JurisData n° 2012-012440 ; Bull. crim. n° 105 ; Dr. pén. 2012, chron. 7, obs. Lesclous ; D. 2012, p. 1615, obs. C. Girault. – Cass. crim., 12 juill. 2016, n° 16-82.714 : JurisData n° 2016-014094 ; Bull. crim. n° 212, de même qu’un arrêt antérieur Cass. crim., 14 avr. 2010, n° 09-83.503 : JurisData n° 2010-005960 ; Bull. crim. n° 74 ; RTD civ. 2010, p. 763, obs. J. Hauser) ne faisant pas ou plus mention de celle-ci » (Albert MARON et Marion HAAS, Dr. Pén., nov. 2017, n° 11, comm. 168)

[22N° 13-84.364