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La problématique des prix de transfert en droit algérien. Par Mehdi Berbagui, Avocat.
Parution : mercredi 24 octobre 2018
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La question des prix de transfert est nouvelle en Algérie, conséquence de ce que les économistes appellent la mondialisation ou « globalization » en anglais, c’est-à-dire l’ouverture des frontières économiques entre les pays et continents, dans un contexte de libéralisation des échanges commerciaux.

Tout d’abord, que veulent dire les prix de transfert en fiscalité ?

Il s’agit d’un concept fiscal qui n’est pas expressément défini par le code des impôts directs et des taxes assimilées (ci-après dénommé « CIDTA ») ni par aucun autre texte législatif algérien. Il est plutôt défini indirectement afin, certainement, d’englober le maximum de situations en pratique, et de donner plus de latitude à l’administration fiscale pour « reprendre ses droits » sur des manœuvres des contribuables visant une soustraction à l’impôt. C’est la technique de la « disposition-balai ».

Les prix de transfert concernent la fiscalité applicable aux prix pratiqués entre deux sociétés apparentées, c’est-à-dire des sociétés entre lesquelles il y a un lien de capital ou un lien de contrôle de fait, pour la vente de biens ou de services par l’une à l’autre, l’opération se déroulant le plus souvent entre deux pays, mais surtout à partir de l’Algérie.

C’est typiquement le cas d’une filiale algérienne qui vend des biens ou effectue des prestations de services à une autre filiale ou à sa holding se trouvant à l’étranger.

Pour les liens de capital, même si, en théorie, il serait nécessaire que l’une des sociétés soit majoritaire dans le capital social de l’autre (donc détienne au moins 51% des parts sociales ou actions), l’article 141 bis du CIDTA, qui aborde les prix de transfert, ne requiert pas la majorité dans le capital de la société détenue, puisqu’il parle d’une « société qui participe à la direction, au contrôle ou au capital d’une autre … », sans autres précisions.

La direction est le fait de participer à diriger, à gérer cette autre société. Autrement dit s’il s’agit d’une société par actions, ce sera le fait d’être membre du conseil d’administration.

Plus complexe encore est la notion de contrôle. Contrôler ne signifie pas nécessairement qu’il y ait des liens juridiques entre les deux sociétés mais plutôt que l’une ait un pouvoir de décision, d’influence sur la seconde. C’est souvent difficile à mettre en évidence, sauf à approfondir le regard à l’aide, notamment, de présomptions.

Quand est ce que le prix de transfert devient problématique ? Quel est le critère retenu par la loi ?

Il faut souligner le fait que la configuration qui intéresse surtout le droit Algérien est celle lorsque c’est la société algérienne qui vend à sa partenaire, cette dernière se trouvant soit à l’étranger soit même en Algérie.

Si les deux sociétés se trouvent en Algérie, il y a de fortes chances qu’elles soient sous le régime de la consolidation fiscale ou bilan consolidé, prévu à l’article 138 bis du CIDTA. Il s’agit de sociétés par actions contrôlées à plus de 90% par une société-mère ou holding, le tout constituant un groupe, le régime permettant essentiellement de dégager un résultat fiscal d’ensemble, en imputant les bénéfices, plus-values et déficits des unes et des autres.

Ainsi, concrètement, il faut qu’une société de capitaux algérienne, dite société "opaque" en fiscalité, cherche à soustraire à l’impôt une ou des opérations commerciales imposables en Algérie.

La norme retenue par l’article 141 bis du CIDTA est lorsque le prix pratiqué par la société algérienne venderesse répond à des conditions qui diffèrent de celles pratiquées entre des « sociétés indépendantes ».

Ce critère renvoie clairement au droit de la concurrence et à la notion de "pleine concurrence". Cela implique que ce prix soit dans la moyenne des prix pratiqués chez des sociétés intervenant dans le même segment de marché, pour des produits ou services similaires et sans qu’il y ait aucun lien quelconque entre elles. Le concept induit également que le prix ne soit pas "à perte".

En réalité, il ne faut pas que l’opération cache une donation, une libéralité injustifiée de la part de la société algérienne vendeuse au profit de sa partenaire apparentée, ce qui, ipso facto, porte préjudice aux droits du trésor public puisqu’il s’agit d’un bénéfice qui a été occulté volontairement et qui devrait en principe être taxable.

Ensuite, le même article mentionne une série d’actes commerciaux anormaux à titre d’exemple de cette tromperie, opérations qui rappellent peu ou prou les actes frappés de nullité pendant la période suspecte suite à un jugement d’insolvabilité d’une entreprise (faillite et règlement judiciaire, articles 215 et suivants du code de commerce Algérien), actes qui sont susceptibles de porter préjudice aux droits des créanciers de la « masse ».

Ainsi en est-il de la majoration ou de la diminution des prix d’achat ou de vente, du fait de consentir un prêt sans intérêts ou à un taux réduit, l’octroi d’un avantage hors de proportion avec le service rendu, du versement d’une redevance excessive, etc.

Puis, l’article laisse une marge de manœuvre à l’administration fiscale en laissant la porte ouverte à d’autres qualifications possibles en ces termes : « ou de tous autres moyens ».

Lorsque le fisc a des soupçons de fraude, il demandera à l’entreprise ab initio de lui fournir l’ensemble de sa documentation juridique, commerciale et comptable qui détermine sa politique tarifaire, puis il fera une comparaison avec les prix pratiqués sur le marché entre des entreprises soumises au libre jeu de la concurrence.

Si l’opération de par son prix s’avère anormale, il redressera l’entreprise en réintégrant la différence de prix dissimulé dans le résultat imposable, et d’autres sanctions s’appliqueront comme nous le verrons ci-après.

Mais, à bien y réfléchir, ces différentes opérations et manœuvres pourraient être au moins qualifiées d’actes anormaux de gestion, c’est-à-dire d’actes contraires à l’intérêt de l’entreprise qui les consent, puisque l’objectif d’un commerçant, quelle que soit sa forme juridique, est de faire des bénéfices, sauf exceptions qui sont réglementées (cadeaux d’affaires et sponsoring).

Lorsque l’administration fiscale constate un acte anormal de gestion, elle modifie a posteriori le résultat comptable de l’entreprise, en réintégrant le produit occulté, ce qui a pour effet d’augmenter le résultat fiscal et elle le taxe.

Pire encore, est ce que ces manœuvres pourraient tomber sous le coup de la théorie de l’abus de droit ?

L’abus de droit est un acte délibéré et malveillant du contribuable qui vise à soustraire un produit imposable de son résultat. C’est une forme d’escroquerie fiscale qui prive le trésor public de recettes légitimes. Il y a donc un élément intentionnel et un élément de mauvaise foi de l’entreprise.

Il est intéressant de remarquer que l’ensemble des opérations frauduleuses mentionnées à l’article 141 bis du CIDTA sont des opérations que l’on peut aisément qualifier d’abus de droit puisqu’il s’agit de manœuvres volontaires visant à une économie d’impôt de manière illicite.

Lorsque l’administration fiscale parvient à démontrer ce caractère délibéré, la sanction est lourde puisque :
1 – Les produits occultés seront réintégrés dans le résultat imposable, et majorés d’une amende de 25% de ces bénéfices transférés à l’étranger ; et
2 – L’entreprise sera redevable d’une amende fiscale supplémentaire de cinq cent mille (500.000) dinars.

En conclusion, les directions et services fiscaux des entreprises algériennes sont confrontés à l’enjeu d’optimiser les résultats imposables de leurs employeurs, ce qui est tout à fait légitime, mais le risque serait de le faire de manière grossière et indélicate car pouvant entraîner une série de sanctions qui nuisent aussi bien au portefeuille de l’entreprise mais également à son image, dans une époque qui réclame précisément de plus en plus de transparence et de conformité aux règlementations, à travers ce qu’on appelle dans le jargon juridique la « compliance  ».

Mehdi BERBAGUI Avocat aux barreaux de Paris et d\'Alger http://www.terra-lex.fr/