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Les conditions de la responsabilité du liquidateur amiable en cas de clôture précipitée. Par Dimitri Seddiki, Avocat.
Parution : jeudi 22 novembre 2018
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Le liquidateur amiable a pour rôle de liquider l’actif d’une société avant d’en distribuer le produit aux créanciers sociaux. Toutefois, il est fréquent de voir un créancier reprocher au liquidateur amiable (qui est généralement le gérant de la société) d’avoir procédé à la clôture de la liquidation sans l’avoir préalablement payé…

Dans quelles conditions la responsabilité du liquidateur amiable pourra t-elle être recherchée ?

3 points essentiels seront évoqués :

1. La condamnation d’un liquidateur amiable suppose que le créancier lésé démontre que le défendeur a effectivement eu connaissance de la créance « omise »,
2. En cas de créance litigieuse toutefois, il faudra constater l’existence d’une instance en cours.
3. Se posera alors la question du préjudice réparable.

I. La condamnation d’un liquidateur amiable suppose qu’il ait eu connaissance de la créance « omise ».

La Cour de cassation n’autorise la condamnation d’un liquidateur amiable, en raison d’une clôture anticipée des opérations de liquidation, que lorsqu’il est établi que celui-ci « ne pouvait ignorer l’existence » de la dette sociale non prise en compte [1].

Par exemple, dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt du 08.10.2013, l’acte de cession d’un fonds de commerce prévoyait que le cédant s’obligeait à rembourser au cessionnaire les dettes existantes à l’égard des salariés et non encore payées au jour de l’entrée en jouissance ; plus tard la société garante faisait l’objet d’une dissolution anticipée, son gérant étant désigné liquidateur amiable ; après clôture, le cessionnaire, qui avait été condamné à payer diverses sommes au titre de rappels de salaires et d’indemnités à une ancienne salariée, en a réclamé le remboursement à la société garante dissoute ; le liquidateur n’ayant pas donné suite, le cessionnaire l’a assigné à titre personnel [2].

II. La créance litigieuse doit faire l’objet d’une instance en cours.

Il est de jurisprudence constante que seules les créances litigieuses faisant l’objet d’une procédure en cours doivent être provisionnées dans les comptes de la liquidation.

Dans l’arrêt précité du 8 octobre 2013, la Cour de cassation invite le juge du fond à rechercher si le liquidateur amiable « avait eu connaissance », à l’occasion du suivi du litige avec l’ancienne salariée, de l’instance engagée par celle-ci, avant la clôture des opérations de liquidation de la société garante, de sorte qu’il serait alors tenu de constituer « dès la naissance de ce litige », une provision dans les comptes liquidatifs.

Dans un arrêt précédent du 11 octobre 2005 publié au bulletin, la Cour de cassation affirmait : « Mais attendu que la liquidation amiable d’une société impose l’apurement intégral du passif, les créances litigieuses devant, jusqu’au terme des procédures en cours, être garanties par une provision, et qu’en l’absence d’actif social suffisant pour répondre du montant des condamnations éventuellement prononcées à l’encontre de la société, il appartient au liquidateur de différer la clôture de la liquidation et de solliciter, le cas échéant, l’ouverture d’une procédure collective à l’égard de la société ».

Dans cette affaire, un salarié avait assigné une société en liquidation. Il n’avait pu obtenir, postérieurement à la clôture de la liquidation, exécution du jugement portant condamnation de la société dissoute ; le liquidateur a été condamné pour avoir omis de provisionner la créance litigieuse [3].

Cette formule sera reprise à l’identique dans une espèce similaire en 2007 [4].

En dehors des créances salariales, la jurisprudence a eu l’occasion d’appliquer ce principe selon lequel « la liquidation amiable d’une société impose l’apurement intégral du passif, les créances litigieuses devant, jusqu’au terme des procédures en cours, être garanties par une provision » à la cession litigieuse d’actions ou encore au paiement du solde du prix de travaux [5].

Il ressort de ces jurisprudences que la condamnation du liquidateur suppose que des éléments démontrent avec certitude que le liquidateur avait conscience qu’une dette risquait d’apparaître dans le patrimoine de la société liquidée.

Ainsi, tous les arrêts portant condamnation du liquidateur amiable d’une société, garant en raison d’une clôture anticipée des opérations, ont pour origine commune une situation où, antérieurement à la clôture, le supposé créancier avait introduit une instance au fond afin de voir consacrer le principe de sa créance.

Le régime juridique peut donc se résumer ainsi :
- en l’absence de procédure en cours, le liquidateur n’est pas tenu de constituer la moindre provision pour garantir une créance incertaine ;
- lorsqu’une instance a été introduite avant la clôture de la liquidation, le liquidateur est tenu de constituer une provision pour garantir une éventuelle condamnation ;
- en cas de condamnation à l’issue de cette instance, la dette doit être payée par le liquidateur ou, en cas d’insuffisance d’actif, ce dernier doit différer la clôture et solliciter l’ouverture d’une procédure collective.

Au regard de ce principe, le liquidateur n’est pas tenu de constituer une provision lorsque le principe d’une créance litigieuse ne fait l’objet d’aucun débat au fond.

En effet, l’ouverture d’une procédure collective suppose que le passif soit constitué de dettes certaines et liquides [6].

Dès lors, admettre le provisionnement d’une créance sans limiter celui-ci au temps de l’instance au fond ayant pour objet de discuter le principe et l’étendue du droit du supposé créancier créerait une situation de blocage en cas d’insuffisance d’actif puisque la clôture de la liquidation serait indéfiniment repoussée, aucun passif certain ne permettant l’ouverture d’une procédure collective.

En outre, cette solution inciterait implicitement les créanciers d’une société insolvable à agir en responsabilité contre le liquidateur amiable plutôt que de se risquer dans un procès aléatoire à l’égard de la société liquidée ou de se restreindre à attendre des distributions incertaines dans le cadre d’une liquidation judiciaire.

III. La clôture anticipée d’une liquidation amiable ne cause qu’une perte de chance inexistante en l’espèce.

Par un arrêt du 26 juin 2007 publié au bulletin, la Cour de cassation précise que la responsabilité personnelle d’un liquidateur amiable pour avoir procédé à la clôture des opérations de liquidation d’une société malgré la subsistance d’une créance non prise en compte ne peut être recherchée que sur la base d’une perte de chance d’obtenir le paiement de sa créance par la société.

La Cour de cassation précise qu’en l’absence d’ « actif social suffisant pour répondre du montant des condamnations éventuellement prononcées à l’encontre de la société, il appartient au liquidateur de différer la clôture de la liquidation et de solliciter le cas échéant, l’ouverture d’une procédure collective à l’égard de la société » [7].

En cas d’actif social insuffisant, le préjudice indemnisable sera alors proportionnel aux chances qu’auraient eu le créancier d’obtenir le paiement de sa créance dans le cadre de la liquidation judiciaire qui aurait été ouverte si le dirigeant avait fait preuve de diligence.

Dimitri Seddiki, Avocat au Barreau de Lille.

[1Cass. Com. 29 sept. 2009, n°08-18192, F-D, Revue des sociétés 2010, p.34 ; Cass. com., 2 févr. 1988, Bull. Joly 1988, p. 273 ; Cass. com., 23 mars 1993, RJDA 4/94, n° 412 ; Dr. sociétés 1993, n° 134, obs. Th. Bonneau ; Cass. com., 18 juin 1996, RJDA 10/96, Somm. N° 1198.

[2Cass. Com. 8 oct. 2013, n°12-24.825, publié au bulletin.

[3Cass. Com. 11 oct. 2005, n°03-19.161, publié au bulletin.

[4Cass. Com. 26 juin 2007, n° 05-20.569, publié au bulletin.

[5Cass. Com. 9 mai 2001, n° : 98-17187, publié au bulletin ; Cass. Com. 10 nov. 2009, F-D, n° 08-22.137.

[6F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficultés, Instruments de crédit et de paiement, LGDJ 2006, 7e éd., n° 164 ; P. Le Cannu, Droit commercial, Entreprises en difficulté, Dalloz, 7e éd., n° 250.

[7Cass. Com. 26 juin 2007, n° 05-20.569.