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Les conflits d’associés. Par Pauline Darmigny, Avocat.
Parution : mercredi 28 novembre 2018
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La question des conflits entre associés est une problématique très délicate dans la mesure où il existe un décalage considérable entre les solutions prescrites dans les textes et leur mise en application pratique.

La loi définit la création d’une société comme un contrat, un pacte entre des personnes qui ont choisi de travailler ensemble en considération de la personne avec qui ils s’associent. On parle « d’affectio societatis » qui peut être défini comme l’intérêt social, celui d’avoir envie de travailler ensemble et de s’associer avec une personne plus qu’avec une autre.

L’existence de « l’affectio societatis » s’apprécie lors de la création de la société, c’est même la condition sine qua non sans laquelle aucune association ne pourrait être envisagée.

Or, si la condition de « l’affectio societatis » doit impérativement exister au moment de la constitution de la société, il arrive souvent qu’en cours de vie sociale, les associés rencontrent des difficultés, des désaccords d’une gravité telle qu’ils peuvent en arriver au point de remettre en question leur association.

Si l’incitation au dialogue et à la médiation reste toujours une étape à privilégier et à conseiller à nos clients, cela est parfois insuffisant ou d’une efficacité à très court terme.

Pendant ce temps, la société peut se trouver dans une situation extrêmement délicate financièrement.

En effet, on imagine le cas d’une association type une Société Civile de Moyens, au sein de laquelle, l’un des associés ne règle plus les échéances de remboursement du prêt contracté par la SCM ou encore, ne règle plus sa part du loyer.

Cette situation peut s’avérer particulièrement préjudiciable aux autres associés dans la mesure où dans une telle configuration, c’est la plupart du temps la société qui est locataire et titulaire du bail commercial ou professionnel et qui doit honorer le règlement du loyer.

Or en cas de défaillance de l’un des associés, c’est toute la société qui se trouve mise en péril et qui reçoit des avis d’impayés, des mises en demeure voire pire des commandements de payer par voie d’huissier.

En outre, dans la plupart des Sociétés Civiles de Moyens, les salaires des employés, qui travaillent au service de l’ensemble des associés, sont rémunérés par la société elle-même.

Or, si l’un des associés ne fait plus face aux charges qui lui incombent en proportion de sa participation telle que prévue dans les statuts, ce sont cette fois-ci, les salaires de ses employés qui ne sont plus réglés en totalité.

De telles situations peuvent vite devenir de réelles situations de crise.

Quelles sont les solutions proposées par le législateur ?

L’article 1844-7 du Code civil nous dit la chose suivante :
« La société prend fin : (…) 5° par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour juste motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ».

D’emblée, la première réponse proposée aux associés d’une société en situation de crise est de la dissolution de leur société.

Or, ce n’est pas parce que certains associés se trouvent en conflit avec l’un d’entre eux, qu’ils ont pour autant envie de dissoudre la société qu’ils ont créée.

En outre, qui dit dissolution de la personne morale dit changement dans la personne du débiteur et notamment du locataire.

A l’origine, un bailleur avait pour locataire une personne morale et se retrouve au bout d’un moment avec plusieurs locataires, co-titulaires du bail et par conséquent avec le risque d’être confronté à une difficulté en cas de non-paiement de sa quote-part de loyer par l’un d’eux, à moins d’y prévoir une solidarité, ce qui finalement ne changerait rien pour les autres associés qui se trouveraient garants du non-paiement par l’un d’eux.

En outre, si tant est que les associés choisissent la solution radicale de la dissolution de la société, pour l’obtenir en justice, il faudrait qu’ils rapportent la preuve d’une mésentente telle qu’elle paralyse le fonctionnement de la société.

Cette mésentente doit empêcher l’activité économique de la société, sa gestion ainsi que son fonctionnement.

Si les associés parviennent à rapporter cette preuve, le Tribunal compétent pourra ordonner la désignation d’un mandataire ad hoc chargé de tenter une conciliation pour résoudre le différend.

En cas de grave paralysie, ce sera un administrateur judiciaire qui pourra être désigné par le Tribunal.

Ainsi, on comprend que même si les associés souhaitent une dissolution de leur société, cette solution ne sera que rarement ordonnée par le juge puisque les associés devront supporter la charge de prouver une paralysie, une situation de blocage d’une extrême gravité empêchant son fonctionnement

Mais en réalité, cette solution n’est pas la plus adaptée dans la mesure où les associés confrontés à un conflit avec l’un d’eux, ne souhaitent pas pour autant dissoudre la personne morale qu’ils ont créée.

D’autre part, dans le cadre de la constitution du dossier contentieux et de la saisine du juge, les associés peuvent être contraints d’entamer des démarches précontentieuses telles que l’envoi d’une mise en demeure à l’associé récalcitrant de payer ses dettes et d’honorer les règlements qui lui incombent.

Or, en pratique, il est compliqué d’envoyer une mise en demeure à son associé avec lequel on partage tout notre temps de travail et que l’on côtoie nécessairement tous les jours.

Cette situation ne peut que creuser d’autant plus le conflit.

C’est pourquoi, d’autres solutions, à la portée de tout associé, existent.

En effet, ce sont les associés eux-mêmes qui peuvent en amont, lors de la constitution de la société, anticiper eux-mêmes des situations de conflits potentielles et appréhender entre eux comment les gérer.

Ainsi, en sus des statuts obligatoires à déposer au greffe, il est conseillé aux associés d’une société en cours de constitution, de prévoir la rédaction d’un pacte d’associés.

Le pacte d’associés est un document confidentiel entre les associés de la société, les tiers n’ont pas à le connaître et cet acte n’a pas à être déposé au greffe.

Par ce pacte d’associés, les associés peuvent prévoir tout un tas de clauses afin de se prémunir en amont d’une situation de blocage ou de conflit qui pourrait survenir en cours de vie sociale.

Notamment, il est possible de prévoir une clause d’exclusion d’office d’un associé en cas d’acte grave ; étant noté que cette clause ne pourra être insérée qu’après avoir recueilli l’accord unanime des associés.

Il est possible en outre de prévoir une clause de rachat forcé dont le mécanisme concret est le suivant : en cas de conflits entre deux associés par exemple, l’un propose à l’autre de lui racheter ses parts sociales à un prix déterminé afin de l’évincer de la société. L’autre qui reçoit cette offre peut soit l’accepter soit la refuser. S’il la refuse, il devra alors racheter au même prix les parts de l’autre de telle sorte qu’il ne restera plus qu’un associé.
C’est un mécanisme qui permet aux associés de se séparer définitivement, soit c’est A qui part soit c’est B qui part mais in fine il n’en restera qu’un.

Les associés peuvent aussi prévoir dans le pacte une clause prévoyant le recours à un médiateur, tiers neutre et impartial afin de rétablir le dialogue et trouver des perspectives de sortie de crise.

Il est conseillé de rédiger ce pacte d’associés au moment de la constitution de la société, pourquoi ? parce que si tel n’a pas été le cas et que les associés souhaitent rédiger un pacte en cours de vie sociale, ou modifier un pacte existant, certaines clauses ne pourront être prévues et votées, qu’après avoir recueilli l’accord unanime de tous les associés.

Or, comment parvenir à faire voter à l’unanimité une clause d’exclusion ou de rachat forcé lorsque les problèmes sont déjà là ?

Il y a fort à parier que l’associé perturbateur ne votera jamais, au cours d’une assemblée générale, le projet ou la modification du pacte d’associés en l’état avec une telle clause…

Dans tous les cas, il est conseillé aux associés de faire appel à un avocat afin de déterminer ensemble, au cas par cas, les solutions à leur disposition pour entamer sereinement une sortie de crise.

Pauline DARMIGNY Avocat à la Cour https://darmigny-avocat.fr