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Les recours de l’héritier dépossédé. Par Pauline Darmigny, Avocat.
Parution : lundi 3 décembre 2018
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Bien que le droit français protège l’héritier réservataire contre le risque de se retrouvé spolié, il existe de nombreux cas dans lesquels les héritiers découvrent, lors de l’ouverture de la succession, que le patrimoine du défunt a été largement entamé par diverses libéralités qu’il a pu faire de son vivant, ou prévoir par testament.
Afin de ne pas porter atteinte à la réserve héréditaire, il convient d’analyser ces diverses libéralités et leur impact sur la réserve de chaque héritier.

L’héritier réservataire et la notion de réserve héréditaire.

En droit français, il n’est pas permis de déshériter un de ses descendants que l’on appelle l’héritier réservataire.

L’héritier réservataire est celui que la loi protège en lui conférant la réserve héréditaire, cette portion de succession qui lui est réservée et dont il ne peut en être dépouillé par des libéralités qu’aurait consenties le défunt de son vivant.

La loi définit la réserve héréditaire comme « la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent » (article 912 du Code civil).

L’héritier réservataire est celui qui ne peut être évincé de la succession.

Ainsi, si le défunt avait des enfants, ce sont eux les héritiers réservataires.

Dans le cas où les enfants du défunt seraient décédés, ce sont leurs enfants, les petits-enfants du défunt qui deviennent, par le biais de la représentation, héritiers réservataires.

Enfin, dans le cas où le défunt n’avait ni enfants, ni petits-enfants, et dans l’hypothèse où il laisse un conjoint survivant, ce dernier sera son héritier réservataire.

L’articulation avec la quotité disponible.

La notion de réserve héréditaire a été conçue par antithèse avec celle de la quotité disponible.

En effet, à l’inverse de la réserve héréditaire, la quotité disponible correspond à la portion de succession dont le défunt peut librement disposer par des libéralités, telles que des donations opérées de son vivant, ou par des legs dont il a pu faire état, notamment par testament, et ayant vocation à s’appliquer après sa mort.

Ainsi, le défunt ne peut consentir des libéralités et des donations que dans la limite de la quotité disponible que la loi définit comme « la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités » (article 912 du Code civil).

La détermination de la quotité disponible a donc pour but de vérifier que les libéralités, qu’a pu consentir le défunt de son vivant, n’excèdent pas la réserve héréditaire.

Si c’est le cas, les libéralités devront être réduites pour ne pas porter atteinte à la réserve.

La reconstitution de l’actif successoral.

À l’ouverture de la succession, il faut reconstituer le patrimoine du défunt à partir des biens qui se trouvent dans l’actif successoral au jour du décès et des dettes qui se trouvent au passif de la succession, qui viendront amoindrir la masse successorale.

C’est à ce moment-là qu’il convient d’ajouter fictivement à cette masse les donations, legs et libéralités en tout genre qu’a pu consentir le défunt de son vivant.

Quant à l’évaluation des biens, la valeur à retenir est celle du bien au jour du décès, selon son état au jour du décès.

Afin de déterminer la quotité disponible, on procède à cette réunion fictive à l’actif de la succession, de toutes les libéralités consenties par le défunt.

Pour cela, sont prises en considération toutes les libéralités intervenues, donations en avancement de part successorale, donation hors part successorale, don manuel, donations déguisées, legs…

L’héritier qui invoque la réunion fictive des libéralités à l’actif successoral, est tenu de rapporter la preuve des libéralités qu’il invoque.

Quant à l’évaluation des donations, elles sont évaluées au jour de l’ouverture de la succession, d’après leur état au jour de la donation.

La détermination de la réserve héréditaire et de la quotité disponible.

Reste à déterminer la quotité disponible et la réserve héréditaire.

La loi dispose qu’en présence d’un enfant, la quotité disponible est de la moitié des biens du défunt et la réserve de l’autre moitié.

En présence de deux enfants, la quotité disponible est du 1/3 des biens et la réserve globale des 2/3 restants.

En présence de trois enfants ou plus, la quotité disponible est du ¼ des biens du défunt et la réserve globale des ¾.

Ainsi, si le défunt laisse à son décès un patrimoine de 400 000 euros à partager entre ses 3 enfants, la quotité disponible est d’un montant de 100 000 euros et la réserve globale d’un montant de 300 000 euros avec une réserve individuelle pour chaque enfant de 100 000 euros.

Le défunt peut donc librement donner par acte entre vifs (donation) ou par testament (legs) la somme de 100 000 euros correspondant à la quotité disponible à la personne de son choix.

Une fois que la quotité disponible et la réserve globale sont déterminées, il convient d’imputer les libéralités, c’est-à-dire de retrancher de la quotité disponible le montant des libéralités, afin de vérifier qu’il n’y a pas d’atteinte à la réserve.

Les recours de l’héritier dépossédé.

S’il s’avère qu’à l’ouverture de la succession, le défunt a fait des libéralités au détriment de la réserve héréditaire d’un de ses héritiers réservataires, ce dernier a la possibilité de rétablir une justice dans le partage en attirant l’attention du notaire chargé de la succession sur ces libéralités.

Le notaire se chargera par la suite de procéder aux calculs d’imputation des libéralités et de chiffrer, le cas échéant, le montant de l’indemnité de réduction que devra verser le gratifié au profit de l’héritier dépossédé.

Dans d’autres cas, on peut se trouver en présence de libéralités occultes ou déguisées, dont il conviendra de rapporter la preuve pour les voir rapporter à l’actif successoral.

C’est un cas relativement classique dans lequel plusieurs héritiers en concours sont appelés à l’ouverture de la succession devant notaire et découvrent qu’au décès du défunt, son patrimoine est d’un montant en réalité bien inférieur à la valeur réelle et à la consistance réelle du patrimoine du défunt.

Dans un premier cas de figure, il peut s’avérer que les héritiers font la découverte d’un passif très important en s’apercevant qu’en réalité le défunt était criblé de dettes.

Dans un second cas de figure, les héritiers peuvent constater avec étonnement que de nombreux biens ne figurent pas à l’actif de la succession.

Repose alors sur eux la lourde tâche d’avoir à mener toutes les investigations nécessaires auprès des banques, du service de la publicité foncière, mais encore du service des impôts, pour tenter de comprendre où sont passés les biens du défunt.

En effet, il n’est pas rare de découvrir au cours de ces investigations, l’existence de nombreuses libéralités occultes et donations déguisées qu’a pu faire le défunt de son vivant au profit d’une personne qu’il a volontairement gratifiée.

Une fois la preuve de ces libéralités occultes rapportée, il conviendra de demander au notaire de procéder aux calculs des imputations nécessaires, puisque dans de nombreux cas, la réserve héréditaire des héritiers a pu être atteinte et largement entamée par ces diverses libéralités.

Quand la situation tourne au contentieux.

Reprenons le cas d’un héritier réservataire appelé à la succession d’un de ses parents, par exemple, qui constate que sa réserve est pratiquement réduite au néant dans la mesure où l’actif de la succession semble bien inférieur à la réalité du patrimoine détenu par le défunt de son vivant.

Au cours de ses investigations, l’héritier peut s’apercevoir qu’en réalité le défunt a grassement avantagé un autre de ses enfants, frère ou sœur de l’héritier dépossédé.

S’il se trouve confronté à la réticence de son collatéral d’avoir à rapporter à la masse à partager les libéralités faites à son profit, voire pire, au déni de son collatéral qui réfute en bloc ses allégations. L’héritier dépossédé se retrouve seul dans cette situation d’avoir à rapporter la preuve de ce qu’il avance.

Dans ce cas de figure précisément, il sera conseillé de faire appel à un avocat spécialisé en droit des successions contentieuses, lequel pourra aider l’héritier dans ses diverses investigations.

La première étape sera de constituer le dossier contentieux en récoltant un maximum de preuves au sujet de ces libéralités.

Une fois le dossier bien construit, il conviendra d’introduire une assignation, afin d’obtenir le partage judiciaire des biens composant la succession et de solliciter une indemnité de réduction que l’héritier demandeur devra chiffrer avec l’aide de son conseil, ainsi qu’une demande de rapport à la succession d’un certain nombre de biens dont se serait dépouillé le défunt au profit d’une autre personne.

Naturellement, l’introduction en justice de cette action fige toute la succession, laquelle se trouve suspendue dans l’attente soit du jugement soit d’une transaction amiable.

La constitution du dossier contentieux consistera à rapporter la preuve des donations et libéralités déguisées.

Pour cela, le premier réflexe à avoir est de solliciter copie des relevés bancaires des divers comptes bancaires du défunt sur les 10 dernières années précédant le décès, afin de découvrir le cas échéant des virements de compte à compte s’apparentant à des donations déguisées.

Le service de la publicité foncière peut également s’avérer être une aide précieuse dans la quête des biens du défunt puisque sont retracés tous les mouvements sur ledit bien et notamment les différentes donations.

L’assistance d’un avocat est absolument nécessaire pour introduire l’action en partage et en rapport étant donné que le tribunal compétent est le tribunal de grande instance dans le ressort du lieu d’ouverture de la succession, c’est-à-dire le dernier domicile du défunt, devant lequel la représentation par avocat est obligatoire.

En outre, l’avocat constituera tout le dossier en termes de preuves pour essayer de reconstituer l’actif et solliciter devant le juge, les biens et sommes à rapporter à la succession et chiffrer le cas échéant le montant d’une indemnité de réduction.

Pauline DARMIGNY Avocat à la Cour https://darmigny-avocat.fr
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