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Plateformes numériques : Vers une révolution pour ces travailleurs pas si « indépendants » ? Par Eléonore de La Rivière, Avocat.
Parution : jeudi 6 décembre 2018
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Branle-bas de combat au cœur des plateformes telles que Uber, Deliveroo : le 28 novembre 2018, la Chambre sociale de la Cour de Cassation statue pour la première fois sur la relation de travail entre un coursier indépendant et une plateforme numérique, en constatant l’existence d’un lien de subordination entre ladite plateforme et le prestataire (Cass.soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079 FP-PBRI).

Bien que depuis quelques années l’Urssaf ait été de plus en plus intraitable en matière de salariat déguisé, la question restait jusque-là en suspens pour les travailleurs indépendants et les micro-entrepreneurs, lesquels se demandaient si les contrats de prestations de services signés avec les plateformes numériques avaient une chance d’être requalifiés en contrats de travail.

L’Arrêt rendu le 28 novembre 2018 par la Cour de Cassation pourrait bien changer la donne.

La Haute Cour rappelle que la relation de travail pourra être requalifiée en contrat de travail si les conditions de réalisation de la prestation font apparaître un lien de subordination entre la plateforme et le travailleur.

Car un certain nombre d’indices permettent aux juges de vérifier l’indépendance ou non du travailleur dans sa relation avec le donneur d’ordre et peuvent ainsi conduire à la requalification de la mission en contrat de travail : indépendance (dans les horaires, dans la prise d’initiative, etc..) et absence de pouvoir de contrôle et de sanction de la part du donneur d’ordre.

Il convient de rappeler que les sanctions envers le donneur d’ordre sont lourdes en cas de requalification du contrat : sanctions pénales pour travail dissimulé, sanctions en matière prud’homale (paiement des salaires, des congés payés, des heures supplémentaires etc,..) et enfin sanctions administratives.

Un arrêt aussi bien attendu que craint

Dans l’affaire examinée par la Cour de Cassation, un ancien livreur de la société Take Eat Easy avait saisi le Conseil des Prud’hommes et la Cour d’Appel ensuite d’une demande de requalification de son contrat de prestations de services en contrat de travail.

La société Take Eat Easy mettait en relation des clients qui commandaient des repas à des restaurateurs via une plateforme numérique, avec des livreurs ayant le statut de micro entrepreneurs.

Le Conseil de Prud’hommes ainsi que la Cour d’Appel avaient débouté le livreur au motif qu’il n’aurait pas démontré l’existence d’un lien de subordination. Les éléments du contrat de prestations de services pouvant s’apparenter à un pouvoir de sanction et de contrôle de la part de la plateforme ne pouvaient à eux seuls permettre de requalifier en contrat de travail car ils ne remettaient pas en cause « la liberté de celui-ci de choisir ses horaires de travail en s’inscrivant ou non sur un shift proposé par la plate-forme ou de choisir de ne pas travailler pendant une période dont la durée reste à sa seule discrétion ».

La Cour de Cassation n’a pas cautionné cette analyse, et a en revanche considéré que ces éléments étaient largement suffisant pour requalifier la relation professionnelle en contrat de travail, en retenant notamment deux critères :

-  l’existence d’un système de géolocalisation de suivi en temps réel du coursier, permettant à la plateforme d’exercer un pouvoir de contrôle ;

-  la mise en place d’un système de bonus-malus permettant à la plateforme d’exercer un pouvoir de sanction sur le coursier.

L’affaire n’est toutefois pas finie, car la Cour de Cassation a renvoyé l’affaire devant la Cour d’Appel, qui devra statuer à nouveau sur le fond, et cette fois-ci trancher : contrat de travail ou relation commerciale.

L’Arrêt de la Cour de Cassation intervient alors que le projet de loi « d’orientation des mobilités » contient une disposition visant à offrir une protection sociale aux travailleurs des plateformes, tout en écartant pour la plateforme le risque d’une requalification des contrats de ses opérateurs.

Ainsi, pour l’heure, la messe n’est pas encore dite et cet Arrêt pourrait bien ouvrir la voie à un nombre abondant de contentieux visant les plateformes en activité, dans la mesure où il se rallie aux positions des juges d’autres pays européens en matière de requalification des contrats de prestations de services en contrat de travail.

Eléonore de La Rivière Avocat au Barreau de Paris https://www.giommoni-lariviere-avocats.com/