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Dommage corporel : comment est-il indemnisé ? Par Patrick Lingibé, Avocat.
Parution : lundi 7 janvier 2019
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Le dommage est généralement défini comme l’atteinte à un intérêt légitime juridiquement protégé. Il se distingue du préjudice même si, en pratique, les deux termes sont considérés comme des synonymes. Le dommage est l’atteinte même subie par la victime (la lésion subie). En revanche, le préjudice est la traduction juridique de cette atteinte. C’est pourquoi le dommage corporel (l’atteinte au corps humain) est susceptible de faire naître des préjudices de natures différentes : souffrances physiques ou psychiques, perte de salaires etc. Sous certaines conditions, le dommage corporel ouvre droit à une indemnisation. D’ailleurs, cette indemnisation doit, en principe, conduire à une « réparation intégrale sans perte ni profit » [1]. Cet article apporte des explications sur le dommage corporel et sa réparation.

L’existence du dommage : principe de l’indemnisation.

En principe, le droit de la responsabilité civile ne se conçoit pas sans l’existence du dommage. C’est l’existence même d’un dommage qui peut ouvrir droit à réparation. Par exemple, dans le cadre de la responsabilité civile pour faute, l’existence d’une faute n’est pas suffisante pour que la victime soit indemnisée. Elle devra prouver l’existence d’un dommage. Cette preuve se fait par tous moyens. Les photos, les témoignages, les rapports médicaux et les expertises sont autant de moyens vous permettant de prouver le dommage subi.

Les caractères du dommage corporel réparable.

Le dommage corporel n’échappe pas aux règles applicables au dommage en général. Ainsi, pour être indemnisable, le dommage corporel doit être direct, certain et légitime.

En principe, le caractère direct du dommage corporel ne pose pas de problème. En effet, le dommage corporel atteint directement sa victime, causant un préjudice immédiat. Cependant, le caractère direct du dommage pose la question des victimes par ricochet. En effet, si un de vos parents est victime d’un accident, vous allez vous-même éprouver un préjudice (chagrin moral ou même perte de revenus qui faisaient vivre votre famille). Dans ce cas, la Jurisprudence a reconnu l’existence d’un droit propre à réparation, indépendant de la réparation due à la victime directe. Ce droit à réparation n’est pas soumis à l’existence d’un lien de parenté ou d’alliance avec la victime directe [2]. Ce droit n’est pas non plus limité au décès de la victime directe [3].

Le dommage doit également être certain. Le préjudice purement éventuel ne peut donc pas ouvrir droit à une indemnisation. En revanche, le préjudice futur, s’il est certain, est indemnisable. La perte d’une chance de gain est également réparable. En revanche, les dommages et intérêts alloués à la victime ne sont qu’une fraction de l’avantage espéré, plus ou moins forte selon la probabilité [4], voir pour plus d’information sur ce sujet notre article "Peut-on être indemnisé en cas de perte de chance ?"

Enfin, le dommage doit être légitime. Et pour cause, le préjudice n’est pas réparable si le bienfait supprimé est illégitime. La Jurisprudence refuse, par exemple, l’indemnisation des dommages consistant en la perte de rémunération provenant d’un travail non déclaré [5].

L’indemnisation des préjudices patrimoniaux.

Pour l’indemnisation, en principe, les juges apprécient souverainement les préjudices qui résultent du dommage corporel. Il n’existe donc pas de barème d’indemnisation. Toutefois, une nomenclature des chefs de préjudices corporels a été élaborée par un groupe de travail. Il s’agit de la nomenclature dite Dintilhac, du nom du Président du groupe de travail, Jean-Pierre Dintilhac, ancien président de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation. Le but de cette nomenclature est de permettre aux professionnels de disposer d’un outil clair permettant une harmonisation et une réparation uniforme des dommages identiques. Fréquemment utilisée, la Jurisprudence l’impose depuis peu [6].

Cette nomenclature classe les préjudices en deux catégories. Il existe les préjudices patrimoniaux et les préjudices extrapatrimoniaux. Le dommage corporel, résultant d’une atteinte physique à la personne, présente la particularité de combiner les deux catégories.

Le préjudice patrimonial se définit comme une atteinte aux intérêts patrimoniaux de la victime. Par exemple, un dommage corporel peut entraîner des frais médicaux. Le droit à réparation permet donc à la victime de rembourser ses frais médicaux découlant du dommage corporel. Le dommage corporel peut également entraîner une incapacité de travail. Dans cette hypothèse, la perte de revenus sera remboursée mais des variations existent en fonction du taux d’incapacité fixé. Ce sont les médecins experts qui fixent les taux. Ensuite, pour un même taux d’incapacité, les juges peuvent octroyer une indemnisation plus ou moins grande en fonction de critères spécifiques, comme l’âge par exemple.

L’indemnisation des préjudices extrapatrimoniaux.

Le dommage corporel peut entraîner diverses formes de préjudices extrapatrimoniaux. Ils résultent d’une atteinte à des valeurs non pécuniaires, c’est-à-dire à toutes les formes de sentiments humains. Ainsi, un dommage corporel peut entraîner un déficit fonctionnel comme des douleurs, une perte de la qualité de vie et des troubles ressentis. La nomenclature parle également de préjudice de souffrances éprouvées. On parle alors de "pretium doloris ". Le préjudice d’angoisse de mort imminente, lié à la conscience de sa mort prochaine, est inclus dans ce poste de préjudice (Civ. 2ème, 2 février 2017, 16-11411) : « (…) que le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées, quelle que soit l’origine desdites souffrances, le préjudice lié à la conscience de sa mort prochaine, qualifié dans l’arrêt de préjudice d’angoisse de mort imminente, ne peut être indemnisé séparément, la cour d’appel a réparé deux fois le même préjudice et violé le principe susvisé ; »

De plus, des préjudices d’agrément peuvent survenir. Par exemple, il s’agit des préjudices liés à l’incapacité de pratiquer un loisir ou une activité sportive. Enfin, d’autres préjudices sont reconnus comme les préjudices esthétiques, sexuels et d’établissement. Ainsi, l’impossibilité de fonder une seconde famille à la suite d’un divorce constitue un préjudice d’établissement réparable (Civ, 2ème, 15 janvier 2015, 13-27761) :« Attendu que pour débouter M. Frédéric X... de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice d’établissement, l’arrêt retient que ce préjudice n’existe pas en l’espèce, puisque préalablement à l’accident, M. Frédéric X... avait fondé un foyer et qu’il a eu trois enfants, lesquels, selon l’expertise, continuent à lui rendre visite régulièrement en dépit de la rupture du couple parental ; Qu’en statuant ainsi, alors que le préjudice d’établissement recouvre, en cas de séparation ou de dissolution d’une précédente union, la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un nouveau projet de vie familiale, la cour d’appel a violé le principe et le texte susvisés ; »

Pour indemniser ces préjudices, le juge les évalue en fonction d’une échelle allant de 1 à 7. Plus l’évaluation de la souffrance est élevée, plus l’indemnisation sera importante. Ce système présente l’inconvénient d’une certaine instabilité avec des montants attribués très variables. Ainsi, à titre indicatif, les montants pour des souffrances de niveau 1 s’élèvent jusqu’à 1.500 euros tandis qu’ils s’élèvent à 35.000 euros pour des souffrances de niveau 7.

On observe une tendance à la multiplication des postes de préjudices réparables. Par exemple, la Jurisprudence a reconnu le préjudice spécifique d’anxiété, que la maladie soit avérée [7].

Patrick Lingibé Membre du Conseil National des barreaux Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France Avocat associé Cabinet Jurisguyane Spécialiste en droit public Diplômé en droit routier Médiateur Professionnel Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM) www.jurisguyane.com

[1Cass. 2e civ, 13 sept 2018, n° 17-26.011

[2Ch. Mixte, 27 février 1970, 68-10276

[3Cass. Civ. 2ème, 14 janvier 1988, 96-11690

[4Cass. Civ 1ère, 16 juillet 1998, 96-15380

[5Cass. Civ 2ème, 24 janvier 2002, 99-16576

[6Cass. Civ. 2ème, 28 mai 2009

[7Civ. 1ère, 9 juillet 1996, 94-12868) ou seulement éventuelle (Soc., 11 mai 2010, 09-42241