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Vers une optimisation du recouvrement des créances bancaires en liquidation judiciaire ? Par Boubacar Sidikou, Juriste.
Parution : lundi 14 janvier 2019
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En date du 18 juin 2018, le gouvernement avait présenté au Conseil des ministres le projet de loi n°1088 relatif à la croissance et la transformation des entreprises. Le 9 octobre 2018, ce projet a été adopté en première lecture devant l’Assemblée Nationale et son passage devant le Sénat est prévu courant de janvier 2019.

L’article 16 de ce projet entend habiliter une réforme du droit des sûretés par voie d’ordonnance. C’est dans ce contexte que la commission de l’association Henri Capitant avait été chargée d’élaborer un avant-projet de réforme sur le droit des sûretés, son contenu réserve un meilleur traitement aux créances bancaires garanties par certaines sûretés réelles, dès lors que survienne une liquidation judiciaire.
Ainsi, l’avant-projet permet de limiter l’inefficacité constatée de certaines sûretés réelles, laquelle inefficacité résulte du faible remboursement des créances qu’elles garanties au moment de la répartition de l’actif du débiteur en liquidation judiciaire, c’est le cas notamment du nantissement sur fonds de commerce, ou de l’hypothèque au moment des répartitions.
En effet, la commission prévoit d’apporter des modifications à la situation du créancier titulaire d’une sûreté réelle à travers l’attribution judiciaire et le pacte commissoire.

L’éventuelle application de ces modifications au banquier dont la créance est garantie par un nantissement de fonds de commerce, ou une hypothèque, permet de constater que ce dernier pourrait optimiser le recouvrement de sa créance. Ainsi, lorsque l’ordonnance portant réforme du droit des sûretés verra le jour, il sera possible d’optimiser d’une manière générale le recouvrement des créances bancaires garanties par ces sûretés réelles grâce à l’attribution judiciaire (I) et le pacte commissoire (II).

I- L’optimisation à travers l’attribution judiciaire.

L’ordonnance du 23 mars 2006 a généralisé l’attribution judiciaire dans le domaine du droit civil, donc il est possible pour un créancier titulaire d’une sûreté réelle de demander l’attribution judiciaire d’un bien gagé (art 2347 du Code civil), nanti ou hypothéqué (art 2458 du Code civil).

Par ailleurs, dans le domaine du droit des entreprises en difficulté, c’est l’article L. 642-20-1 du Code de commerce qui permet au créancier gagiste de demander au juge-commissaire l’attribution judiciaire du bien meuble gagé en cas de liquidation judiciaire [1]. Mais, le Code de commerce ne prévoit pas une attribution judiciaire en faveur du créancier hypothécaire, et la Cour de cassation, a dans plusieurs arrêts refusé une telle attribution de l’immeuble grevé [2], aux motifs que cela bouleverserait l’ordre des privilèges et porterait atteinte aux règles de l’arrêt des poursuites individuelles et de l’interdiction des paiements.

Pourtant, hormis la nature du bien donné en garantie qui diffère, le banquier titulaire d’une hypothèque est quasiment dans la même situation juridique que le créancier gagiste qui demande l’attribution judiciaire du bien gagé. Peut-être, c’est ce qui a conduit la commission chargée de la rédaction de l’avant-projet, d’envisager l’attribution judiciaire de l’immeuble grevé en cas de liquidation judiciaire du débiteur. En effet, elle prévoit d’ajouter un alinéa 3 à l’article L. 643-1 du code de commerce « Le créancier titulaire d’une sûreté réelle retrouve, à compter du jugement de liquidation judiciaire, la faculté de demander l’attribution judiciaire du meuble ou de l’immeuble grevé ou, le cas échéant, de se prévaloir d’un pacte commissoire ».

Quant au créancier nanti, il est prévu dans l’avant-projet de réforme du droit des sûretés, qu’il puisse demander au juge-commissaire l’attribution judiciaire du bien sur lequel porte son nantissement. Est-ce à dire que le banquier nanti sur un fonds de commerce pourrait demander au juge-commissaire que le fonds lui soit attribué judiciairement, dès lors que son débiteur fait l’objet d’une liquidation judiciaire ? Nous espérons que la modification prévue par l’avant-projet de réforme sur la situation du créancier nanti aille dans ce sens. Dans ce cas, une modification de l’article L. 142 -2 alinéa du Code commerce s’impose, puisque selon cet alinéa « Le nantissement d’un fonds de commerce ne donne pas au créancier gagiste le droit de se faire attribuer le fonds en paiement et jusqu’à due concurrence. ». La Cour de cassation avait rappelé le principe de l’alinéa 2 de cet article dans un arrêt du 08 mars 2017 [3].

II- L’optimisation à travers le pacte commissoire.

Le pacte commissoire a été introduit par l’ordonnance du 23 mars 2006 portant réforme des sûretés. Il permet à un créancier de s’attribuer conventionnellement un bien donné en garantie. Cependant, l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation judicaire empêche tout créancier de se prévaloir d’un tel pacte pour s’attribuer le bien donné en garantie (L.622-7-I alinéa 3). C’est dire que le banquier qui a octroyé un crédit garanti par une hypothèque ou un nantissement de fonds de commerce ne peut se prévaloir d’un pacte commissoire stipulé dans le contrat de crédit, dès lors que l’emprunteur est soumis à une procédure collective.

La commission de l’association Henri Capitant prévoit dans le nouvel aliéna 3 qu’elle entend ajouter à l’article L. 643-1 du code de commerce, de permettre au créancier titulaire d’une sûreté réelle de se prévaloir d’un pacte commissoire, dès lors que le débiteur est en liquidation judiciaire. Autrement dit, le banquier titulaire d’une hypothèque peut se prévaloir d’un pacte commissoire lorsque son débiteur est en liquidation judiciaire, dès lors que le contrat de prêt contient un article qui stipule un tel pacte. Par ailleurs, cela provoquerait sans nul doute une modification de l’alinéa 1 de l’article L. 641-3 du Code commerce afin de supprimer le renvoi au troisième alinéa I de l’article L. 622- 7 du Code de commerce [4].

Lorsque le banquier est nanti sur un fonds de commerce, nous espérons également qu’il puisse se prévaloir du pacte commissoire, dès lors que son débiteur est en liquidation judiciaire. Bien évidemment, le banquier nanti devrait s’assurer que le contrat de crédit stipule un tel pacte. Quoi qu’il en soit, lorsque l’ordonnance de réforme du droit des sûretés verra le jour, la jurisprudence nous éclaircira certainement, sur la situation d’un créancier nanti sur un fonds de commerce se prévalant d’un pacte commissoire dans le cadre de la liquidation judiciaire de son débiteur.

SEYNI SIDIKOU Boubacar, Docteur en droit privé.

[1Cass.com., 6 mars 1990 n°88- 160336.

[2Cass.com., 28 juin 2017, n°16-10591 ; Cass.com., 19 septembre 2018, n° 17-14964 ; J-J ANSAULT, « L’impossibilité de recourir à l’attribution de l’immeuble grevé en liquidation judiciaire », Gaz. Pal 19 déc. 2017, n°309y9, p. 43.

[3Cass.com., 8 mars 2017, n°15-14632.

[4F. Macorig-Venier, L’avant-projet des sûretés de l’association Henri Capitant et les modifications apportées au livre VI du code de commerce », BJE janvier 2018, n° 115n0, p. 10.