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Déchets d’activités de soins à risque infectieux et obligations de sécurité. Par Stéphan Denoyes, Avocat.
Parution : jeudi 7 février 2019
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La gestion des déchets d’activités de soins à risques infectieux revêt pour le professionnel comme pour le citoyen une importance fondamentale tant par son impact environnemental que sanitaire.

Le non-respect des filières d’élimination réglementaire a des répercussions sur la santé publique, notamment en engendrant des accidents d’exposition au sang sur les agents de collecte et de tri des déchets.

C’est la raison pour laquelle les agences régionales de santé diligentent régulièrement des contrôles des différents opérateurs (médecins, infirmiers, pompes funèbres, thanatopracteurs, etc).

En effet, qelon l’article L. 541-2 du code de l’environnement :
« Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre.
Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers.
Tout producteur ou détenteur de déchets s’assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge.
 »

A. Quels producteurs ?

Les professionnels de santé, les sociétés des pompes funèbres et/ou de thanatopraxie, les hôpitaux, les tatoueurs, ont l’obligation de pourvoir à l’élimination des déchets d’activités de soins à risques infectieux provenant de leurs activités .

Aux termes de l’article R.1335-2 toute personne qui produit des déchets d’activités de soins est tenue de les éliminer. Cette obligation incombe :
« 1° A l’établissement de santé, l’établissement d’enseignement, l’établissement de recherche ou l’établissement industriel, lorsque ces déchets sont produits dans un tel établissement ;
2° A la personne morale pour le compte de laquelle un professionnel de santé exerce son activité productrice de déchets ;
3° Dans les autres cas, à la personne physique qui exerce à titre professionnel l’activité productrice de déchets.
 »

Les Thanatopracteurs et les sociétés de Pompes Funèbres, comme les établissements de santé, figurent donc au rang des producteurs de déchets d’activités de soin à risques infectieux (DASRI).

B. Quels déchets ?

Les Déchets d’Activités de Soins (DAS) présentent un Risque Infectieux (RI) du fait qu’ils contiennent des microorganismes viables ou leurs toxines, dont on sait ou dont on a de bonnes raisons de croire qu’en raison de leur nature, de leur quantité ou de leur métabolisme, ils causent la maladie chez l’homme ou chez d’autres organismes vivants.
Les déchets d’activités de soins sont définis comme des « déchets issus des activités de diagnostic, de suivi et de traitement préventif, curatif ou palliatif, dans les domaines de la médecine humaine et vétérinaire » [1].

Sont également considérés comme des DASRI, même en l’absence de risques infectieux, les déchets d’activités de soins relevant de l’une des catégories suivantes :
- matériels et matériaux piquants ou coupants destinés à l’abandon, qu’ils aient été ou non en contact avec un produit biologique ;
- les déchets mous présentant un risque infectieux (compresses, pansements, bandes, drains, mèches ; tubes à prise de sang...),
- produits sanguins à usage thérapeutique incomplètement utilisés ou arrivés à péremption ;
- déchets anatomiques humains, correspondant à des fragments humains non aisément identifiables [2] tels que grains de beauté, kystes, peau, liquides biologiques.
- les Petits matériels évocateurs de soins pouvant avoir un impact émotionnel (seringues non serties, tubulures, perfusion, sonde..).

Sont assimilés aux déchets d’activités de soins, les déchets issus des activités d’enseignement, de recherche et de production industrielle dans les domaines de la médecine humaine et vétérinaire, ainsi que ceux issus des activités de thanatopraxie, des activités de chirurgie esthétique, des activités de tatouage par effraction cutanée et des essais cliniques ou non cliniques conduits sur les produits cosmétiques et les produits de tatouage, lorsqu’ils présentent les caractéristiques mentionnées ci-dessus [3].

C. Quelles obligations ?

Les producteurs de DASRI ont l’obligation de respecter les prescriptions inhérentes à ce type de déchets comme par exemple :

a) Concernant la collecte
- Ces déchets doivent être séparé des autres déchets dès leur production [4].
- L’emploi de conditionnement à usage unique tenant compte caractère perforant, solide ou liquide de ces déchets. Les emballages doivent répondre à des critères stricts d’étanchéité, de fermeture, de volume et de remplissage, être conformes à certaines normes et satisfaire à des essais techniques réalisés par les organismes agréés par le ministère chargé des transports pour homologuer les emballages destinés au transport des matières dangereuses [5].

Les emballages doivent [6] :
- pouvoir être fermés temporairement lors du tri effectué au sein du service hospitalier producteur ;
- être fermés définitivement avant leur enlèvement ;
- être placés dans des grands récipients pour vrac (GRV).
- Un étiquetage spécifique mentionné sur les emballages (C. santé publ., art. R. 1335-6).

b) Entreposage et transport :

Des modalités d’entreposage, de regroupement et de transports adaptés [7] :
- 72 heures lorsque la quantité de DASRI et assimilés produite sur un même site est supérieure à 100 kg par semaine ;
- 7 jours lorsque la quantité de DASRI et assimilés produite sur un même site est inférieure ou égale à 100 kg par semaine et supérieure à 15 kg par mois ;
- 1 mois lorsque la quantité de DASRI et assimilés produite sur un même site est inférieure ou égale à 15 kg par mois et supérieure à 5 kg par mois, à l’exception des DASRI et assimilés perforants exclusivement, pour lesquels cette durée ne doit pas excéder 3 mois.
- Les dispositions concernant les locaux d’entreposage portent sur l’implantation, la construction, l’aménagement, la signalisation et le nettoyage de ceux-ci et visent les producteurs de DASRI et assimilés dont la production en un même lieu dépasse 5 kg par mois.
- Le transport de matières dangereuses est régi par l’accord européen du transport de marchandises dangereuses par la route (ADR). L’arrêté du 29 mai 2009 relatif aux transports de marchandises dangereuses par voies terrestres (dit « arrêté TMD ») complète les dispositions de l’ADR pour les transports effectués sur le territoire national.

Un professionnel peut transporter jusqu’à 15 kg sans obligation particulière d’équipement dans son véhicule. Toutefois, pour une production supérieure à 15kg/mois, il convient de recourir à un transporteur agréé (respect de la règlementation ADR).
- Le suivi des opérations d’élimination doit faire l’objet de documents de contrôle [8].

L’élimination de ces déchets peut toutefois, dans le cadre d’une convention écrite, être confiée par ces personnes à une autre personne capable de réaliser ces opérations [9].

Cette convention ne décharge pas le producteur de ses responsabilités puisque l’alinéa 2 de l’article L. 541-2 du code de l’environnement prévoit que « Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. ». Il sera donc difficile de se retrancher purement et simplement derrière les défaillances de son opérateur.

c) Exemple de sanctions.

Le manquement à ses obligations peut être lourd de conséquence. Sans que cela ne soit exhaustif, le contrevenant pourrait être poursuivi et condamné à deux ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende pour avoir :
- Gérer, au sens de l’article L. 541-1-1, sans satisfaire aux prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques et financières de prise en charge des déchets et les procédés de traitement mis en œuvre fixées en application des articles L. 541-2, L. 541-2-1, L. 541-7-2, L. 541-21-1 et L. 541-22 ;
- Abandonner, déposer ou faire déposer, dans des conditions contraires aux dispositions du présent chapitre, des déchets ;
- Remis ou fait remettre des déchets à tout autre que l’exploitant d’une installation agréée, en méconnaissance de l’article L. 541-22 ;

Ou encore à 1.500 euros pour la personne physique à 7.500 euros pour la personne morale pour :
- Transport de matière dangereuse sans satisfaire aux prescriptions de règlements édictés pour leur transport (absence des documents de transport, emballage non conforme, absence d’étiquetage ou mauvais étiquetage, etc).

Ces sanctions sont également applicables « à tous ceux qui, chargés à un titre quelconque de la direction, de la gestion ou de l’administration de toute entreprise ou établissement, ont sciemment laissé méconnaître par toute personne relevant de leur autorité ou de leur contrôle les dispositions mentionnées audit article. ».

Enfin, le contrevenant pourrait également se voir interdire d’exercer.

Et du côté de l’employeur ?

L’employeur, est naturellement soumis au code du travail, notamment concernant l’obligation d’évaluer les risques (chimiques, biologiques et liés à la manutention en particulier), de substituer les agents chimiques dangereux ou cancérogènes ou à défaut de limiter les expositions, par des mesures de prévention collective voire par des équipements de protection individuels.

L’employeur est donc créancier d’une obligation de sécurité.

Aux termes de l’article R 4424-7 du code du travail :
« Dans les lieux où des travailleurs sont susceptibles d’être en contact avec des agents biologiques pathogènes pouvant être présents dans l’organisme de patients ou de personnes décédées ou chez des animaux vivants ou morts, des mesures appropriées sont prises pour préserver la santé et la sécurité des travailleurs, notamment par une information sur les procédés de décontamination et de désinfection et la mise en œuvre des procédés permettant de manipuler et d’éliminer sans risque les déchets contaminés.
Un arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de l’agriculture et de la santé fixe, en tant que de besoin, des procédures d’élimination des déchets contaminés
 ».

Les manquements de l’employeur à cette obligation constituent une faute pour ce dernier. C’est ce que vient de rappeler récemment une cour d’appel [10].
Dans cette affaire la salariée, démissionnaire, reprochait à son employeur le non-respect de ses obligations en matière des DASRI. La plaignante justifiait avoir demandé à son employeur, à plusieurs reprises, ce « qu’elle devait faire de ce type de déchets mais également pour l’informer des difficultés rencontrées et notamment du fait qu’elle transportait ces déchets dans son véhicule dans de simples sacs poubelles ».

Or il est ressorti des débats et pièces qu’elle « ne disposait pas des moyens et outils nécessaires pour procéder à l’élimination des déchets dangereux. Ainsi, la salariée s’est plainte à de multiples reprises auprès de son employeur du fait qu’elle transportait dans son véhicule, sans protection ces déchets, indiquant notamment par mail du 18 juin 2013 son mécontentement et sollicitant que son employeur lui indique par écrit la marche à suivre.
Madame X précise qu’elle avait pu accumuler 150kg de déchets dans son véhicule, qu’elle trouvait illégal de la part de son employeur de la contraindre à entreposer les déchets dans l’allée de son garage, de le laisser vider les bocaux de ponction ou se débarrasser des pacemakers ’n’importe où’…
 ».

Si l’employeur est parvenu à expliquer que le traitement des déchets était confié aux hôpitaux dans lesquels sa salariée intervenait, il n’en a pas été de même sur « les procédures mises en place pour le transport de ces déchets et la protection de sa salariée ».

La Cour d’appel en a conclu « que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité à l’égard de sa salariée dans des conditions qui ont porté préjudice à cette dernière, Madame X établissant avoir été régulièrement en contact avec des déchets à risques infectieux » et a condamné l’employeur à lui verser la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.

L’employeur aurait également pu être poursuivi pour infraction aux règles d’hygiène et de sécurité au travail, sur le fondement des articles L. 4111-1, L. 4111-6, L. 4741-1 et L. 4741-5 du code du travail, punissable de 10.000 euros d’amende pour les personnes physique et de 50.000 € d’amende pour les personnes morales., sans parler des infractions pénales afférentes comme la mise en danger d’autrui ou l’atteinte à l’intégrité physique d’une personne.

Me Stéphan DENOYES Avocat au Barreau de Paris

[1Art. R. 1335-1.

[2C. santé publ., art. R. 1335-1.

[3C. santé publ., art. R. 1335-1.

[4R. 1335-5.

[5Arr. 24 nov. 2003, NOR : SANP0324585A, mod. : JO, 26 déc.

[6Art. R. 1335-6.

[7Arr. 7 sept. 1999, NOR : MESP9922895A : JO, 3 oct. Arr. 7 sept. 1999, NOR : MESP9922896A : JO, 3 oct. mod. par arr. 14 oct. 2011, NOR : ETSP1125380A : JO, 27 oct.

[8Art. R. 1335-4) avec la signature de bordereau de prise en charge ou bordereau se suivi de déchets (BSD), une attestation de destruction.

[9Art. R. 1335-3.

[10CA Amiens, 5ème ch. Prud. , 9 janv. 2019, n° 16/01260.