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Même informatif, un certificat d’urbanisme méconnaissant la loi Littoral engage la responsabilité d’une commune. Par Pierre Jean-Meire, Avocat.
Parution : mardi 26 février 2019
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Le Conseil d’État vient de confirmer en cassation la lourde condamnation (284.431,60 euros) de la commune de l’Houmeau (Charente-Maritime), qui avait délivré à des particuliers souhaitant acquérir la parcelle cadastrée section ZA n° 251, située route du port, un certificat d’urbanisme informatif (L. 410-1 a) du Code de l’urbanisme) indiquant qu’une partie de cette parcelle était située en zone constructible (Ueb) au PLU. Or, selon les juges du Palais Royal, ce classement de la parcelle au PLU n’était pas conforme à la loi Littoral (article L. 121-16 du Code de l’urbanisme – urbanisation interdite dans la bande de cent mètres) et en reproduisant cette illégalité dans le certificat d’urbanisme, la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

1. Les faits relatifs à cette jurisprudence sont assez classiques et font écho aux différents mouvements des PLUmés, particulièrement actifs en Bretagne.

Par acte notarié du 21 novembre 2006, des particuliers ont acquis, pour la somme de 400.000 euros, une parcelle cadastrée section ZA n° 251 située rue du port à L’Houmeau, en vue d’y édifier une maison d’habitation.

Dans le cadre du PLU approuvé par délibération du 25 février 2005, une partie de cette parcelle située dans la bande de cent mètres, avait été classée en zone Ueb, c’est-à-dire, en zone urbanisée pouvant faire l’objet d’une extension d’urbanisation.

Préalablement à leur acquisition, le vendeur de la parcelle avait fait dresser un certificat d’urbanisme informatif conformément à l’article L. 410-1 a) du Code de l’urbanisme.

Ce certificat d’urbanisme indiquait au titre des dispositions applicables au terrain la loi littoral n°86-2 du 3 janvier 1986 et le classement de la parcelle en litige en trois zones, la zone Nm dans laquelle sont autorisées les constructions nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau, la zone UEb d’habitat de faible hauteur et la zone Aor, espace naturel sur territoires terrestres et maritimes où sont autorisés les aménagements de 50 m² maximum, nécessaires aux activités.

En toute logique, une fois cette parcelle acquise, les acheteurs ont déposé et obtenu un permis de construire pour l’édification de leur maison d’habitation.

Un voisin a déposé un recours contentieux contre ce permis de construire et a obtenu gain de cause dès lors que, par un arrêt du 15 juin 2009, devenu irrévocable, ledit permis de construire a été annulé au motif qu’il méconnaissait la loi Littoral, à savoir l’interdiction d’urbaniser la bande de cent mètres en dehors des espaces urbanisés (article L. 121-16 du Code de l’urbanisme).

2. Par courrier du 16 avril 2012, reçu le 19 avril suivant, les acheteurs ont formé auprès de la commune de l’Houmeau une demande préalable d’indemnisation des préjudices qu’ils estiment liés à l’illégalité fautive du permis de construire mais également à celles entachant le classement de la parcelle en zone constructible et le certificat d’urbanisme informatif délivré le 30 janvier 2006 préalablement à l’achat du terrain.

En l’absence de réponse, ces derniers ont sollicité auprès du tribunal administratif de Poitiers la condamnation de la commune à leur verser la somme de 525.409,69 euros en réparation des préjudices subis.

3. Par un jugement 13 mai 2015, les premiers juges, après avoir estimé que seule l’illégalité du permis de construire était constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de l’Houmeau, ont condamné cette dernière à verser à acheteurs la somme de 18.365,90 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 avril 2012, au titre des frais de géomètre et d’architecte.

Les acheteurs ont fait appel de ce jugement en sollicitant alors la condamnation de la commune à leur verser la somme de 636 317,88 euros.

4. En appel, la cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé que la commune de l’Houmeau avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en délivrance un certificat d’urbanisme, même simplement informatif, illégal car faisant référence à un classement de la parcelle en zone Ueb contraire à la loi Littoral.

Aux termes de sa décision la cour administrative d’appel a estimé que : « alors même que ce certificat ne revêtait qu’un caractère informatif, (les acheteurs) sont recevables à exciper de l’illégalité du classement de leur parcelle en zone UEb. Ce terrain est situé dans la bande dite des cent mètres à partir du rivage, dans un secteur à vocation ostréicole, éloigné d’environ 500 mètres du centre-ville de L’Houmeau et comportant un habitat diffus. Dans ces conditions, la mention du classement du terrain en zone Ueb, alors que le terrain ne peut être regardé comme un espace urbanisé au sens des dispositions du III de l’article L. 146-4 (désormais L. 121-16) du code de l’urbanisme, est de nature à constituer un motif d’illégalité du certificat d’urbanisme. Les requérants sont donc fondés à soutenir que cette mention d’un classement illégal est de nature à engager la responsabilité de la commune de L’Houmeau ».

La commune défenderesse invoquait une imprudence fautive des acheteurs qui n’avaient pas assorti le contrat d’acquisition de la parcelle litigieuse d’une condition suspensive d’obtention d’un permis de construire définitif.

Il ressortait effectivement de l’acte authentique que le notaire avait précisé que : « l’acquéreur déclare vouloir faire la présente acquisition sans attendre l’obtention d’un permis de construire pour l’édification d’une maison à usage d’habitation. Il déclare avoir été parfaitement informé par le notaire soussigné des conséquences pouvant résulter de cette circonstance, notamment : - des difficultés qu’il pourrait rencontrer pour l’obtention de ce permis de construire au cas où son projet de construction ne respecterait pas les dispositions du Plan Local d’Urbanisme, ou à défaut le Règlement National d’Urbanisme , (...) - et enfin des difficultés ou retards qu’il pourrait rencontrer pour la réalisation de son projet en cas de recours par des tiers contre son permis de construire dans le délai de deux mois suivant son affichage en mairie et sur le terrain. Malgré ces mises en garde, il déclare acheter le terrain en toute connaissance de cause, et vouloir en faire son affaire personnelle. »

Selon la Cour administrative d’appel de Bordeaux, « en se portant cependant acquéreurs de la parcelle sans soumettre le contrat à une clause suspensive d’obtention du permis de construire purgé de recours, (les acquéreurs) ont commis une imprudence fautive qui, dans les circonstances de l’espèce, exonère la commune de sa responsabilité à hauteur de la moitié des conséquences dommageables ».

5. S’agissant des préjudices subis par les acheteurs, la cour administrative d’appel a admis que ces derniers étaient recevables à demander l’indemnisation de la perte de valeur vénale du terrain.

En l’espèce : « il résulte de l’acte notarié établi le 21 novembre 2006 que les époux B...ont acquis la parcelle 251 pour la somme de 400 000 euros. Ce terrain est à ce jour insusceptible de recevoir une maison d’habitation. Il ressort d’une attestation d’un agent immobilier non contestée par la commune que la valeur d’un terrain non constructible s’évalue à un euro le mètre carré. Si la commune de L’Houmeau fait valoir que seuls 730 m² des 2 320 m² achetés étaient classés en zone Ueb, il résulte de l’instruction que le prix de la parcelle a été majoré en son entier du fait des possibilités de construire qui étaient ouvertes sur une partie. Ainsi, le préjudice subi par les acheteurs peut être évalué à la somme de 397 680 euros correspondant à la différence entre le prix d’acquisition du terrain et sa valeur en tant que terrain non constructible ».

Par ailleurs, les frais d’acte notariés, les honoraires d’agent immobilier, les frais bancaire et les taxes foncières, constituent également selon la cour administrative d’appel des préjudices indemnisables, en plus des frais d’architecte et de géomètre mis à la charge de la commune par le jugement attaqué.

Au total, les préjudices des acheteurs ont été évalués à la somme de 532.131,39 euros, auxquels s’ajoutent les 18.365,90 euros de condamnation résultant du jugement du tribunal administratif de Poitiers.

La prise en compte de l’imprudence fautive des acquéreurs a conduit la Cour administrative à condamner la commune de l’Houmeau à indemniser les acheteurs de la somme totale de 284.431,70 euros.

6. La commune de l’Houmeau s’est pourvue en cassation contre cette décision.

Dans sa décision du 18 février 2019, mentionnée dans les tables du recueil Lebon sur ce point, les juges de cassation ont totalement entériné la décision de la Cour administrative d’appel et ont rejeté le pourvoi de la commune.

D’après les juges du Palais Royal le certificat d’urbanisme délivré le 30 janvier 2016 était illégal du seul fait de sa mention du fait qu’une partie de la parcelle en cause était située dans une zone urbanisée, « alors même que le certificat, délivré sur le fondement du premier alinéa de l’article L. 410-1 du code de l’urbanisme, avait vocation non à préciser si le terrain pouvait être utilisé pour la réalisation d’une opération particulière mais seulement à indiquer les dispositions d’urbanisme applicables au terrain, ainsi que les limitations administratives au droit de propriété, le régime des taxes et participations d’urbanisme et l’état des équipements publics existants ou prévus ».

En conséquence, la délivrance du certificat d’urbanisme du 30 janvier 2006, qui mentionnait le classement illégal d’une partie du terrain d’assiette en zone UEb, était de nature à engager la responsabilité de la commune de L’Houmeau.

Enfin, s’agissant du préjudice résultant de la perte de valeur vénale du terrain, les juges de cassation ont totalement validé la méthode d’évaluation de ce préjudice par la cour en jugeant que : « le préjudice financier résultant de la baisse de la valeur vénale du terrain des époux A...devait être évalué à la différence entre son prix d’acquisition, alors même qu’il était pour une partie seulement classé en zone constructible par le plan local d’urbanisme, et sa valeur comme terrain inconstructible ».

Cabinet d\'avocat OLEX - Maître Pierre JEAN-MEIRE Avocat au Barreau de Nantes www.olex-avocat.com https://twitter.com/MeJEANMEIRE