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La prohibition des violences éducatives ordinaires, une portée uniquement symbolique ? Par Sarah Saldmann, Avocat.
Parution : jeudi 4 avril 2019
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Les parents ont des droits et des devoirs envers leurs enfants. Ils disposent aussi d’un « droit de correction » tacite qui recouvre des définitions à géométrie variable.
Si certains parents considèrent que les fessées et autres violences à visée éducative peuvent avoir une vertu pédagogique, ce comportement pourrait prochainement être prohibé. En effet, le 29 novembre 2018, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi relative aux violences éducatives ordinaires. Le 6 mars 2019, le Sénat a également voté en faveur de ladite proposition de loi visant à lutter contre les « violences éducatives ordinaires ». La particularité est que cette loi ne serait assortie d’aucune sanction. Dès lors, pourquoi ce projet de loi est tellement décrié ?

Une loi visant à réprimer les violences éducatives ordinaires aurait des effets pratiques restreints (I) bien qu’elle disposerait d’une portée symbolique indéniable (II).

I – Une loi aux effets pratiques restreints.

Les jeunes enfants (moins de dix ans) sont les premiers à être la cible de violences éducatives. Les fessées, gifles et humiliations verbales sont les violences éducatives ordinaires les plus représentées.

Cependant, si cette loi était effectivement adoptée, la possibilité pour un enfant de se constituer partie civile contre ce type de violence poserait plusieurs difficultés majeures :
- Un jeune enfant n’a pas conscience de ce qui est autorisé et de ce qui ne l’est pas, surtout quand il s’agit de ses parents ;
- Dans l’hypothèse où l’enfant a conscience de la prohibition de ce comportement, il pourrait être compliqué de trouver un interlocuteur pouvant l’aider ;
- Un enfant doit être représenté par un de ses parents (ou un administrateur ad hoc) pour déposer plainte, il est compliqué que l’un des parents dépose plainte contre l’autre pour une fessée ou une gifle ;
- Même si la violence éducative était caractérisée, il n’y a pas de sanction prévue.

Les violences intrafamiliales sont d’une manière générale plus difficile à dénoncer et à prouver. De plus, les violences éducatives ordinaires peuvent être tant physiques que verbales. Pour les secondes, cela semble difficile de placer un curseur objectif pour déterminer quelles paroles peuvent être qualifiées de violences ordinaires éducatives et celles qui ne peuvent pas l’être.

Aussi, pour les gardes alternées où les ex-époux ne sont pas en bons termes, la prohibition des violences ordinaires éducatives risquerait de donner lieu à des abus puisque cela pourrait inciter les parents à instrumentaliser leurs enfants pour « attaquer » l’autre parent.

En outre, certains parents estiment que l’adoption de cette loi est antinomique avec l’autorité parentale dans la mesure où cela diminuerait leurs prérogatives à l’égard de leurs enfants.

Néanmoins, sans sanction, les parents pourraient être tentés de ne pas tenir compte de cette loi. En cas de plainte ou de signalement, cela n’est pas sans poser de difficulté puisqu’aucune sanction n’est encourue.

Ainsi, cette loi, à défaut d’effets effectifs aurait surtout une portée symbolique.

II – Une portée symbolique affirmée.

Symboliquement, cette loi n’est pas dénuée d’effets.

Elle permet d’inculquer que la violence ordinaire ne peut pas être intrinsèquement liée à l’éducation. L’adoption de cette loi invite à ne pas banaliser la violence. En effet, certains cas de maltraitance ont lieu car des parents ne parviennent pas toujours à « proportionner » la violence qu’ils veulent éducative.

Cette loi participerait néanmoins à un objectif de cohérence. La violence étant combattue dans un État de droit, cette loi permettrait d’exprimer qu’il n’y a pas de « petites violences » et qu’aucune forme de violence ne saurait être tolérée. Cela permettrait également d’alerter sur les risques de maltraitance qui peuvent augmenter en banalisant la violence même « légère ». L’objectif serait ainsi d’inciter les enfants à ne jamais faire usage de la violence.

Aussi, l’adoption de cette loi permettrait à la France de se mettre en conformité avec la Cour européenne des droits de l’Homme et d’être en adéquation avec tous les autres pays qui ont pris l’initiative de réprimer les violences éducatives ordinaires (actuellement 54 pays).

Sarah SALDMANN Avocat à la Cour