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Gouvernance, RSE, entreprise à mission : nouvelles responsabilités pour les conseils d’administration et les administrateurs ? Par François Bavoillot, Avocat.
Parution : vendredi 31 mai 2019
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La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises contient 221 articles qui traitent de sujets très vastes pour l’ensemble du domaine économique privé et public.
Sur le plan du droit des sociétés, des questions relatives notamment aux administrateurs représentant les salariés, à la rémunération des dirigeants et à la diversité au sein des organes de direction ont fait l’objet de dispositions spécifiques dans la nouvelle loi.
S’agissant de la place et du rôle joué par les entreprises, la loi est venue modifier notre arsenal législatif.
Cette évolution législative va entraîner un ajustement de la mission et des responsabilités des organes exécutifs que sont les Conseils d’Administration et Directoires.

Le législateur a complété le droit applicable en élargissant la notion d’intérêt social de l’entreprise aux principes sociaux et environnementaux de son activité (I). Les entreprises de droit privé sont concernées mais également les secteurs du monde mutualiste et coopératif agricole, les sociétés de groupe d’assurance mutuelles, les institutions de prévoyance et les unions d’institution de prévoyance et les sociétés de groupe assurantiel de protection sociale.

Les missions et rôles des organes exécutifs ont par voie de conséquence été modifiés pour donner aux Conseils d’Administration et Directoires les missions et responsabilités leurs permettant de mettre en œuvre ces nouvelles missions (II).

Enfin, il a été déterminé les conditions dans lesquelles une société, y compris les sociétés relevant du secteur mutualiste coopératif, pouvait se doter du statut d’entreprise à mission (III).

I. La RSE et l’élargissement de la notion d’intérêt social.

Les dispositions générales relatives au contrat de société contenues dans le Code Civil ont été modifiées afin de compléter l’article 1833 qui prévoyait que « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ». Cet article a été complété par un alinéa qui dispose que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

On comprend que la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux de l’activité de l’entreprise n’est pas une option mais s’inscrit dans les principes initiaux du contrat de société comme la licéité de l’objet social. Les actionnaires, mais surtout les dirigeants sociaux, auront à respecter ces nouveaux principes dans la gestion quotidienne de la société et dans les choix de développement stratégique.

II. Le rôle et la mission des organes exécutifs.

Le Conseil d’administration.

Le rôle et la mission du Conseil d’Administration qui sont définis à l’article L 225-35 du Code de Commerce en son alinéa 1 qui dispose que : « Le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre. Sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux assemblées d’actionnaires et dans la limite de l’objet social, il se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent » sont complétés par la loi du 22 mai 2019 qui précise que le Conseil d’Administration agit : « conformément à son intérêt social (celui de l’entreprise), en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Il est par ailleurs inséré une autre phrase précisant que le Conseil d’Administration « prend également en considération, s’il y a lieu, la raison d’être de la société définie en application de l’article 1835 du Code civil ».

Le directoire.

Le premier alinéa de l’article L. 225-64 du Code de commerce qui détermine les missions et responsabilités du Directoire est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Il détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre, conformément à son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Il prend également en considération, s’il y a lieu, la raison d’être de la société définie en application de l’article 1835 du code civil. »

Le rôle et les missions de ces organes.

Ces nouvelles dispositions vont impacter directement les rôles, missions et responsabilités des organes exécutifs de la société. L’extension des missions du Conseil d’Administration et du Directoire va entrainer par voie de conséquence un élargissement des droit et obligations de ces organes et des administrateurs ou directeurs qui les composent.

Pour se conformer à ces nouvelles règles, les sociétés auront à ‘réformer’ certaines règles de fonctionnement interne de leur Conseil d’Administration en ajustant les termes de leur Règlement Intérieur afin de donner au Conseil les moyens de fonctionner et d’appliquer pleinement sa mission [1].

Le rôle et la composition des comités spécialisés devront également être ajustés en conséquence. Le cas échéant, la société devra considérer la nécessité de créer ou non un comité spécifique.

III. Les Sociétés à Mission.

Le statut de l’entreprise à mission.

L’article 1835 du Code Civil qui prévoyait que « les statuts doivent être établis par écrit. Ils déterminent, outre les apports de chaque associé, la forme, l’objet, l’appellation, le siège social, le capital social, la durée de la société et les modalités de son fonctionnement » est complété par une phrase aux termes de laquelle « les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».

Les conditions à remplir pour faire état de la qualité de société à mission.

Les dispositions préliminaires du livre II du code de commerce relatif aux sociétés commerciales et groupements d’intérêt économique sont complétées par trois nouveaux articles qui déterminent les conditions préalables à l’obtention du statut de société à mission.

Le nouvel article L. 210-10 du Code de Commerce dispose qu’ « une société peut faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsque les conditions suivantes sont respectées :
« 1° Ses statuts précisent une raison d’être, au sens de l’article 1835 du code civil ;
« 2° Ses statuts précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ;
« 3° Ses statuts précisent les modalités du suivi de l’exécution de la mission mentionnée au 2°. Ces modalités prévoient qu’un comité de mission, distinct des organes sociaux prévus par le présent livre et devant comporter au moins un salarié, est chargé exclusivement de ce suivi et présente annuellement un rapport joint au rapport de gestion, mentionné à l’article L. 232-1 du présent code, à l’assemblée chargée de l’approbation des comptes de la société. Ce comité procède à toute vérification qu’il juge opportune et se fait communiquer tout document nécessaire au suivi de l’exécution de la mission ;
« 4° L’exécution des objectifs sociaux et environnementaux mentionnés au 2° fait l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant, selon des modalités et une publicité définies par décret en Conseil d’Etat. Cette vérification donne lieu à un avis joint au rapport mentionné au 3° ;
« 5° La société déclare sa qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce, qui la publie, sous réserve de la conformité de ses statuts aux conditions mentionnées aux 1° à 3°, au registre du commerce et des sociétés, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’Etat.
 »

Au-delà de la conformité au nouvel article 1833 du Code Civil, le statut d’entreprise à mission s’entoure de contraintes spécifiques et notamment la création d’un comité de mission distinct des organes sociaux qui est chargé exclusivement du suivi de la mission spécifique de la société et présente annuellement un rapport joint au rapport de gestion.

Le Conseil d’Administration devra adapter ses règles internes de fonctionnement pour s’aligner avec les principes de gouvernance de l’entreprise à mission.

Dans les entreprises de taille intermédiaire, le législateur a prévu que le comité de mission pouvait être remplacé par un référent. En effet aux termes du nouvel L. 210-12 du Code de Commerce : « Une société qui emploie au cours de l’exercice moins de cinquante salariés permanents et dont les statuts remplissent les conditions définies au 1° et 2° de l’article L. 210-10 peut prévoir dans ses statuts qu’un référent de mission se substitue au comité de mission mentionné au 3° du même article L. 210-10. Le référent de mission peut être un salarié de la société, à condition que son contrat de travail corresponde à un emploi effectif. »

Les sanctions en cas de non-respect des conditions d’éligibilité fixées par la loi.

Le statut d’entreprise à mission entraîne des responsabilités pour la société qui sont décrites à l’article L. 210-11 du Code de Commerce. Cet article prévoit que « lorsque l’une des conditions mentionnées à l’article L. 210-10 n’est pas respectée, ou lorsque l’avis de l’organisme tiers indépendant conclut qu’un ou plusieurs des objectifs sociaux et environnementaux que la société s’est assignée en application du 2° du même article L. 210-10 ne sont pas respectés, le ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal statuant en référé aux fins d’enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au représentant légal de la société de supprimer la mention “société à mission” de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de la société ».

Le Ministère Public, mais également l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, auront intérêt à agir en référé à l’encontre de l’entreprise si celle-ci ne remplit plus les conditions fixées par les textes pour répondre aux conditions d’obtention du statut d’entreprise à mission, ou si l’avis de l’organisme tiers indépendant conclut qu’un ou plusieurs des objectifs sociaux et environnementaux que la société s’est fixée ne sont pas respectés.

La sanction est constituée par la perte du statut d’entreprise à mission (dont la mise en œuvre par l’entreprise peut faire l’objet d’une astreinte décidée par le tribunal saisi), ce qui sur le plan de la gouvernance, deviendra un indicateur négatif, notamment pour les investisseurs qui conditionnent leur entrée dans les entreprises au respect du statut d’entreprise à mission.

François BAVOILLOT Avocat au Barreau de Paris Fondateur BavoillotAvocats

[1Article 1833 du Code Civil et sur option l’article 1835 du Code Civil.