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L’indemnisation de l’agent commercial exerçant ses prestations en France, par Didier Lebon, Avocat
Parution : lundi 14 janvier 2008
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De nombreux agents commerciaux, exerçant en leur nom ou sous couvert d’une société d’agence commerciale, représentent des sociétés étrangères en France. En cas de cessation du contrat, l’agent peut être fondé à obtenir une indemnisation, risque financier qui n’est pas nécessairement suffisamment considéré et évalué par le mandant étranger, ainsi qu’en témoigne l’important contentieux en la matière. Cependant, pour bénéficier devant les Tribunaux français de l’indemnisation prévue par la loi française, encore faut-il que les juridictions françaises se reconnaissent compétentes d’une part, et d’autre part que la loi française soit applicable au contrat.

Le droit à réparation du préjudice

La loi française du 25 juin 1992, désormais codifiée sous les articles L.134-1 et suivants du Code de Commerce, pris par application de l’article 17 de la directive n°86/653 du Conseil des Communautés européennes du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, prévoit des dispositions très protectrices de l’agent commercial. En particulier, l’article L. 134-12 du Code de commerce stipule que : « en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ». L’indemnisation ne sera pas due dans les seuls cas limitativement énumérés par selon l’article L. 134-13, à savoir lorsque « la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent commercial » ou lorsque « la cessation du contrat résulte de l’initiative de l’agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant… » ou enfin « selon un accord avec le mandant, l’agent commercial cède à un tiers les droits et obligation qu’il détient en vertu du contrat d’agence ». Enfin, pour la jurisprudence « les dispositions de l’article 12 de la loi du 25 juin 1991, devenu l’article L. 134-12 du Code de commerce, qui obligent le mandant à réparer le préjudice subi par l’agent commercial du fait de la cessation du contrat d’agence commerciale, n’interdisent pas la réparation du préjudice spécifique subi par l’agent lorsque les causes de cette cessation ont un caractère fautif ».[1]

La réparation du préjudice intégral

Pour l’évaluation du préjudice, certains Tribunaux ont parfois continué de se référer à la pratique judiciaire observée antérieurement à la loi du 25 juin 1992, fixant l’indemnité à l’équivalent à deux années de commissions. Toutefois, cette méthode ne se révélait pas nécessairement pertinente lorsque la ou les deux dernières années de mandat ne s’avéraient pas significatives pour des raisons non imputables à l’agent mais au mandant. De plus, elle n’était pas conforme à l’option de la directive communautaire retenue par la France : « L’agent commercial a droit à la réparation du préjudice que lui cause la cessation de ses relations avec le commettant. Ce préjudice découle notamment de l’intervention de la cessation dans des conditions qui privent l’agent commercial des commissions dont l’exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier tout en procurant au commettant des avantages substantiels liés à l’activité de l’agent commercial, et/ou qui n’ont pas permis à l’agent commercial d’amortir les frais et dépenses qu’il a engagés pour l’exécution du contrat sur la recommandation du commettant »[2]. L’indemnisation par référence à l’indemnité de clientèle a donc été condamnée par la Cour de cassation[3] qui a consacré le principe de la réparation intégrale selon lequel « l’indemnité de cessation de contrat due à l’agent commercial a pour objet de réparer le préjudice subi qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l’activité développée dans l’intérêt commun des parties sans qu’il y ait lieu de distinguer selon leur nature »[4]. S’agissant de la cessation d’un contrat d’agence commerciale, au demeurant non exclusive, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a souligné que la cessation du contrat fait perdre à l’agent « la part de marché qu’il pouvait espérer de la poursuite du contrat »[5] et retenu récemment que « la cessation du contrat d’agent commercial, même à durée déterminée, donne droit à réparation du préjudice résultant de la perte pour l’avenir des revenus tirés de l’exploitation en commun de la clientèle »[6].

La compétence des tribunaux français

Dans le cadre communautaire, la détermination du tribunal compétent était traditionnellement régie par une convention, la Convention de Bruxelles de 1968 modifiée et révisée au fur et à mesure de l’élargissement des Communautés européennes. Les règles de compétences sont maintenant fixées dans l’Union européenne par le règlement communautaire 44/2001 du 22 décembre 2000.

Sous l’empire de la Convention de Bruxelles, la compétence des juridictions françaises a régulièrement été contestée par le mandant étranger assigné en France par son agent en paiement de l’indemnité de rupture prévue par l’article L.134-12 du Code de commerce à la suite de la résiliation de son contrat d’agence commerciale. Sur le fondement des dispositions de l’article 5.1 de la Convention de Bruxelles qui prévoit la possibilité de saisir le Tribunal où l’obligation qui sert de fondement à la demande a été ou doit être exécutée, l’agent revendiquait la compétence des tribunaux français au motif que l’obligation en paiement de l’indemnité était la conséquence du contrat exécuté en France et qu’elle était donc localisée en France. Cependant, dès l’année 2000, la Chambre civile de la Cour de cassation a retenu que la dette d’indemnité de fin de contrat « qui est une dette indépendante du caractère licite ou non de la rupture du contrat, ne se substitue pas à une obligation contractuelle originaire qui aurait été transgressée et constitue une obligation autonome »[7]. Pour la Cour de cassation, les tribunaux français seront compétents si cette obligation autonome doit être exécutée en France. Or, en droit français l’obligation de paiement est quérable[8] et en conséquence, s’agissant d’un contrat d’agence commerciale soumis au droit français, elle doit s’exécuter au lieu du siège social ou au domicile du mandant établi dans un autre Etat membre. C’est ainsi que des agents commerciaux français représentant en France des sociétés espagnole[9] et italienne[10] n’ont pu valablement saisir les tribunaux français pour demander l’indemnité de cessation de contrat prévue par la loi française. Toutefois, la Cour de cassation a rappelé en 2006 que les juridictions françaises pouvaient néanmoins être compétentes pour connaître d’une demande en indemnisation pour rupture abusive par un mandant portugais d’un contrat d’agent commercial exécuté en France[11].

Il semble que cette solution sévère pour l’agent commercial français ait été abandonnée dans le cadre de l’interprétation de l’article 5-1 du règlement communautaire 44/2001 du 22 décembre 2000 (Bruxelles I). En effet, en octobre 2006, la Cour de cassation a affirmé la compétence des juridictions françaises pour connaître d’une demande formée par un agent français à l’encontre d’une société portugaise en paiement d’une indemnité de clientèle ainsi que de dommages intérêts pour rupture abusive du contrat au motif que « une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite, en matière contractuelle, devant le tribunal d’un autre Etat membre où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ; que sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est, pour une fourniture de services, le lieu de l’Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis » et qu’en l’espèce « les parties étaient liées par un contrat de fourniture de service et que les prestations de service devaient s’exécuter en France »[12]. Un agent français, dont le contrat soumis à la loi française s’exécutait en France, peut donc en principe maintenant saisir les tribunaux français pour réclamer l’indemnité prévue par la loi française contre son mandant situé dans un autre Etat membre.

Dans un cadre non communautaire et sous réserve des éventuelles conventions bilatérales, les juridictions françaises seront compétentes à raison du lieu d’exécution en France du contrat ou, si de besoin, à raison de la nationalité française ou du domicile en France de l’agent commercial, quelle que soit sa nationalité.

L’application de la loi française

Selon les dispositions de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaire et à la représentation, la loi française sera applicable si elle a été choisie par les parties. Selon la Convention, le choix de la loi française « doit être exprès ou résulter avec une certitude raisonnable des dispositions du contrat et des circonstances de la cause ». A défaut de choix dans les conditions précitées, la loi française sera en principe également applicable si l’agent avait son établissement professionnel ou sa résidence habituelle en France au moment de la conclusion du contrat. La protection de l’agent exerçant en France se pose donc avec une acuité particulière lorsque le contrat est soumis à une loi étrangère n’ouvrant pas droit à indemnisation de l’agent en cas de cessation du contrat, ou lorsque le contrat prévoit une clause de non indemnisation.

La Convention de La Haye prévoit que, pour son application, « il pourra être donné effet aux dispositions impératives de tout Etat avec lequel la situation présente un lien effectif, si et dans la mesure où, selon le droit de cet Etat, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi désignée par ses règles de conflit ». Un agent, dont le contrat était soumis au droit de l’Etat de New York qui ne prévoyait pas l’attribution d’une indemnité de rupture avait donc soutenu que les dispositions françaises relatives à l’indemnisation de l’agent commercial, impératives au plan interne, étaient également impératives en matière international et constituaient une « loi de police » qui devait être appliquée par les tribunaux français. Cependant la Cour de Cassation a décidé en novembre 2000 que « la loi du 25 juin 1991, codifiée dans les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, loi protectrice d’ordre public interne, applicable à tous les contrats en cours à la date du 1er janvier 1994, n’est pas une loi de police applicable dans l’ordre international »[13]. De même, une Cour d’Appel a récemment admis que dans un contrat d’agence commercial soumis au droit français, mais exécuté en Israël, les parties pouvaient valablement exclure toute indemnisation en cas de cessation dès lors qu’il s’agissait d’un contrat international[14].

Par précaution, il est donc préférable que l’agent commercial exécutant sa mission en France insère dans son contrat une clause attributive de juridiction au profit d’un tribunal français. Pareille clause sera parfaitement valable dans l’espace communautaire même si l’agent n’a pas la qualité de commerçant : « en matière internationale, l’article 23 du règlement CE du 22 décembre 2000 (Bruxelles I) reconnaît la validité de la clause attributive de juridiction aux seules conditions que l’une des parties au moins soit domiciliée dans un Etat signataire et que la juridiction désignée soit celle d’un Etat contractant »[15]. De plus et surtout il est important que l’agent veille à ce que son contrat soit soumis à la loi française, en ce compris ses dispositions sur les conséquences en cas de cessation de la relation contractuelle.

[1] Com. 26 novembre 2003

[2] Article 17-3) de la directive n°86/653 du Conseil des Communautés européennes du 18 décembre 1986

[3] Com. 25 juin 2002

[4] Com. 5 avril 2005

[5] Com. 8 novembre 2005

[6] Com. 3 octobre 2006

[7] Civ1. 8 février 2000

[8] Article 1247 du Code civil

[9] Civ1. 17 juin 2003

[10] Civ1. 17 juin 2003

[11] Civ1. 14 mars 2006

[12] Civ1. 3 octobre 2006

[13] Com. 28 novembre 2000

[14] Cour d’Appel de Douai, 15 juin 2006

[15] Civ1. 9 janvier 2007

Didier Lebon, Avocat

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