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Loi littoral : Thalassothérapie et espace remarquable, les liaisons dangereuses. Par Pierre Jean-Meire, Avocat.
Parution : vendredi 5 juillet 2019
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Le ministre en charge de la Transition écologique et solidaire vient de confirmer dans une réponse parlementaire récente (25 juin 2019) que les établissements de thalassothérapie pouvaient installer des systèmes de pompage de l’eau de mer dans les espaces remarquables de la loi Littoral.

V. par exemple JO AN du 25 juin 2019 p. 5924

Peu de temps après que le ministre en charge de la Transition écologique ait publié pour consultation publique, le projet de décret pris en application de l’article 45 de la loi du 23 novembre 2018 dite loi ELAN, plusieurs parlementaires (M. Olivier FALORNI, M. Daniel Fasquelle ou encore Mme Sylvie ROBERT) ont demandé sa modification afin d’inclure les canalisations aux fins de pompage en mer liées aux établissements de thalassothérapie dans les aménagements légers autorisés.

Il ressortait alors de ces questions parlementaires que de telles installations étaient « indispensables » ou encore « inhérents » aux établissements de thalassothérapie.

Or, la jurisprudence administrative avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur le point de savoir si un établissement de thalassothérapie était une activité exigeant la proximité immédiate de l’eau pouvant bénéficier de la dérogation de l’article L. 121-17 du Code de l’urbanisme (TA de Nice 17 décembre 1987 Mouvement niçois pour la défense des sites et du patrimoine n°157287 – cité par le ministre de l’écologie dans son instruction de février 2016 sur la bande de cent mètres).

Elle avait alors répondu par la négative.

Le pouvoir réglementaire a toutefois totalement fait droit à la demande de ces députés.

Aux termes du décret du 21 mai 2019, adopté en Conseil d’État, l’article R. 121-5 du Code de l’urbanisme a été modifié pour permettre, dans les espaces remarquables : « à la condition que leur localisation dans ces espaces corresponde à des nécessités techniques, les canalisations nécessaires aux services publics ou aux activités économiques, dès lors qu’elles sont enfouies et qu’elles laissent le site dans son état naturel après enfouissement, et que l’emprise au sol des aménagements réalisés n’excède pas cinq mètres carrés ».

Dans le cadre de sa réponse parlementaire (V. par exemple publié au JO de l’AN du 25 juin 2019 p. 5924), le ministre en charge de la Transition écologique a alors confirmé que grâce à cette modification du décret, « l’installation de systèmes de pompage de l’eau de mer nécessaires aux établissements de thalassothérapie demeure donc possible dans le respect des conditions prévues par la réglementation ».

Le fait que précédemment à l’adoption du décret du 21 mai 2019 de telles installations étaient possibles, qui découle implicitement de l’utilisation du terme « demeure », n’est pas aussi évident que le laisse sous-entendre le ministre.

Le Conseil d’État avait par sa jurisprudence fait preuve, à de nombreuses reprises de rigorisme dans l’appréciation du caractère limitatif des aménagements légers autorisés dans les espaces remarquables (V. CE 20 octobre 1995 n° 151282 BJDU n° 5/95 p. 365 pour une aire de jeux ; CE 27 juin 2005 conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres n° 256668, s’agissant d’une aire de stationnement avant son ajout à la liste ; CE 13 février 2009 Communauté de communes du canton de Saint-Malo de la Lande n° 295885, s’agissant d’une cale d’accès à la mer ; CAA Marseille 19 mai 2011 n° 09MA01545 construction d’un abri en bois avec auvent, d’une surface hors œuvre nette de 24 m2 et d’une surface hors œuvre brute de 40 m2 pour entreposer du matériel de jardinage ; CAA Nantes 10 décembre 2010 COMMUNE DE FONTENAY-SUR-MER n° 09NT02090 pour l’extension d’un golf ; CAA Marseille 30 septembre 2013 Société Hôtel Imperial Garoupe n° 11MA00434 pour un module de bar-restaurant démontable sur la plage d’une superficie hors œuvre nette de 18 m2 ; V. enfin pour la formulation du Conseil d’Etat « La protection instituée par l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme implique par elle-même l’inconstructibilité des espaces caractéristiques du littoral, sous réserve de l’implantation d’aménagements légers prévus au deuxième alinéa du même article » CE 27 septembre 2006 Commune du Lavandou n° 275922, mentionné au tables sur ce point).

Il n’avait qu’à deux reprises, et pour des raisons très spécifiques (aménagement liés à la sécurité, et installation d’une clôture qui constitue un droit en vertu de l’article 647 du Code civil), que le Conseil d’Etat avait autorisé à s’écarter, avec des précautions importantes, de la liste de l’article R. 121-5 du Code de l’urbanisme.

L’analyse de ces exceptions et des motivations des juges administratifs font qu’il est peu probable que ces magistrats auraient admis l’installation de canalisations dans des espaces remarquables pour des établissements de thalassothérapie.

C’est désormais chose possible avec ce décret du 21 mai 2019, ainsi que l’a précisé le ministre en charge de l’écologie.

Indéniablement, la « réforme » de la liste des aménagements légers dans les espaces remarquables, réalisée avec le concours du Conservatoire de l’espace littoral et qui se voulait comme étant de nature à « durcir les modalités d’autorisation des aménagements léger implantés dans les espaces remarquables du littoral » (Extrait du rapport n° 630, tome I de Mme Dominique Estrosi Sassone, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 4 juillet 2018 p. 186), conduit à augmenter les aménagements possibles dans ces espaces.

La pauvreté des débats parlementaires sur cette réforme pouvait laisser craindre un tel rétrécissement de la protection de l’environnement.

C’est en cours de séance publique que la loi ELAN est venue modifier l’article L. 121-24 du Code de l’urbanisme.

L’exposé sommaire de l’amendement indiquait uniquement qu’il s’agissait de « préciser les conditions d’implantations de constructions légères dans les espaces remarquables ».

Or, en vertu de l’article R. 121-5 du Code de l’urbanisme, aucune construction n’était autorisée dans les espaces remarquables. Seules quelques extensions et des aménagement très limités pouvaient avoir lieu.

En séance publique, le député Jimmy Pahun expliquera sa proposition d’amendement en indiquant qu’avec cette modification de l’article L. 121-24 : « nous réglons le problème à l’échelle du pays. Les gens qui, toute leur vie, ont économisé, voulu transmettre à leurs enfants, vont pouvoir le faire. C’est vraiment une très bonne chose ».

Les arguments invoqués sont très surprenants pour des espaces remarquables.

Les sénateurs se sont quant à eux interrogés sur l’opportunité d’une telle réforme : « votre rapporteur s’est interrogé sur les raisons qui nécessitent une modification du droit existant, qui encadre déjà les modalités d’implantation d’aménagements légers dans les zones littorales » (Extrait du rapport n° 630, tome I de Mme Dominique Estrosi Sassone, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 4 juillet 2018 p. 187).

Sans minimiser l’importance de telles installations pour les établissements de thalassothérapie, il n’est absolument pas certain que des canalisations de pompage de l’eau de mer soit indispensables à leur activité.

Il existe des établissements qui ne disposent pas de telles installations et aucune réglementation juridique ne vient les exiger (la norme AFNOR XP X50-844 de décembre 2014 ne constituant pas une obligation juridique).

La nécessité de leur ouvrir une dérogation apparaît donc très peu opportune.

La solution du décret du 21 mai 2019 traduit toutefois une nouvelle fois, un victoire des considérations économiques, au détriment de la protection de l’environnement et des espaces remarquables, qui constituent les espaces bénéficiant de la protection de la plus importante en vertu de la loi Littoral.

Les acteurs locaux, et notamment les associations de protection de l’environnement, devront donc suivre de très près les autorisations qui seront accordées à ce titre.

Cabinet d\'avocat OLEX - Maître Pierre JEAN-MEIRE Avocat au Barreau de Nantes www.olex-avocat.com https://twitter.com/MeJEANMEIRE