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Licenciement sans cause : la Cour de cassation valide le barème Macron. Par Frédéric Chhum, Avocat et Nina Bouillon.
Parution : jeudi 18 juillet 2019
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L’avis de la Cour de la Cour de cassation était très attendu. Les conseils de prud’hommes de Toulouse et Louviers avaient sollicité l’avis de la Cour de cassation quant à la compatibilité des normes européennes et internationales avec l’article L. 1235-3 du code du travail, qui instaure un barème applicable à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dit « Barème Macron ».

La Cour de cassation a validé ce mercredi 17 juillet 2019 (à 14h) le barème "Macron".

Dans deux avis rendus de manière assez inédite en matière de contrôle de conventionnalité (1), la formation plénière de la Cour de cassation a en effet considéré que l’article L. 1235-3 du code du travail n’était pas incompatible avec le droit international (2).

1) Sur la recevabilité des demandes d’avis.

En 2000, la Cour de cassation avait admis la possibilité de contrôler la conventionalité d’une disposition nationale dans le cadre de la procédure d’avis (Avis de la Cour de cassation, 25 septembre 2000, n° 02-00.011).

Toutefois, depuis 2002, elle décide de manière constante que la question de la compatibilité d’une disposition de droit interne avec des normes internationales ne relève pas de la procédure d’avis mais de l’examen préalable des juges du fond (Avis de la Cour de cassation, 16 décembre 2002, n° 00-20.008).

Cependant, la saisine pour avis de la Cour est un moyen d’assurer une unification rapide de la jurisprudence sur des points de droit nouvellement soulevés, points parmi lesquels figure la question de la compatibilité du droit interne aux normes internationales.

C’est ainsi que certains avis récents ont été rendus en faisant expressément référence à certaines normes internationales (Avis de la Cour de cassation, 7 février 2018, n° 17-70.038 ; Avis de la Cour de cassation, 12 juillet 2018, n° 18-70.008).

C’est dans la continuité de cette évolution que la Cour de cassation a décidé que la compatibilité d’une disposition de droit interne avec les dispositions de normes européennes et internationales pouvait faire l’objet d’une demande d’avis « dès lors que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond ».

2) Le barème Macron est conforme aux traités internationaux selon la Cour de cassation.

Les conseils de prud’hommes de Louviers et de Toulouse questionnaient la compatibilité de l’article L. 1235-3 du code du travail avec les articles 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, en ce qu’ils prévoient le droit pour le salarié licencié de percevoir une indemnité adéquate, ainsi qu’avec le droit au procès équitable protégé par la Convention européenne des droits de l’homme.

La formation plénière pour avis a conclu à la compatibilité de ces normes internationales avec l’article L. 1235-3 du code du travail.

2.1) Le barème Macron n’entre pas dans le champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

S’agissant de l’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de cassation a considéré que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail n’entraient pas dans son champ d’application.

En effet, si le droit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est un droit à caractère civil au sens de la Convention, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qu’il convient de distinguer entre ce qui est d’ordre procédural et ce qui est d’ordre matériel, l’article 6 de la Convention ne pouvant s’appliquer aux limitations matérielles d’un droit consacré par la législation interne (CEDH, 29 novembre 2016, Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie, n° 76943/11).

Dès lors, les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, qui limitent le droit matériel des salariés quant au montant de l’indemnité susceptible de leur être allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne constituent pas un obstacle procédural entravant leur accès à la justice, de sorte qu’elles n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1.

2.2) L’article 24 de la Charte sociale européenne n’est pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

C’est la première fois à notre connaissance que la Cour de cassation statuait sur cette question de l’effet direct de l’article 24 de la Charte sociale européenne.

Rappelons que l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée, selon la partie II de ce dernier texte dispose que : « Les Parties s’engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes ci-après.
[...]
Article 24 – Droit à la protection en cas de licenciement
En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :
a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;
b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial
 ».

S’agissant des dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée, la Cour de cassation affirme que « Eu égard à l’importance de la marge d’appréciation laissée aux parties contractantes par les termes précités de la Charte sociale européenne révisée, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte, les dispositions de l’article 24 de ladite Charte ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ».

2.3) Le barème Macron est compatible avec la convention internationale du travail n° 158 sur le licenciement de l’Organisation internationale du travail (OIT).

La formation plénière pour avis a enfin estimé que l’article 10 de la Convention n° 158 sur le licenciement de l’OIT, était, quant à lui, d’application directe en droit interne.

Selon cet article, « si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » .

Examinant la compatibilité de cette disposition avec l’article L. 1235-3 du code du travail, la Cour a retenu que le terme “adéquat” devait être compris comme réservant aux états parties une marge d’appréciation.

En droit français, si le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise. Lorsque la réintégration est refusée par l’une ou l’autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux. Le barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail est écarté en cas de nullité du licenciement, par application des dispositions de l’article L.1235-3-1 du même code.

La formation plénière en a déduit que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, qui fixent un barème applicable à la détermination par le juge du montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et prévoient notamment, pour un salarié ayant une année complète d’ancienneté dans une entreprise employant au moins onze salariés, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal d’un mois de salaire brut et un montant maximal de deux mois de salaire brut, étaient compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, l’Etat n’ayant fait qu’user de sa marge d’appréciation.

3) Conclusion provisoire : le barème Macron, fin du débat ?

La Cour de cassation a mis fin au suspens en validant la conformité du barème Macron aux traités internationaux.

Il faut cependant garder à l’esprit que l’avis rendu ne lie pas la juridiction qui a formulé la demande.

Il ne lie donc pas, a fortiori, l’ensemble des juges du fond, qui restent parfaitement libres d’écarter le barème Macron.

La Cour de cassation lorsqu’elle statuera sur un arrêt « au fond » sur le barème Macron en cas de licenciement sans cause, pourrait aussi procéder ne pas suivre l’avis qu’elle a formulé.

Les Cours d’appel de Paris et de Reims seront les prochaines à se prononcer à ce sujet le 25 septembre 2019. A suivre.

Sources :

- Avis n° 15012 et 15013 de la Cour de cassation relatifs au barème d’indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

- Note explicative relative aux avis n° 15012 et 15013 du 17 juillet 2019.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum