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Confirmation du barème Macron : vers un droit du travail à l’américaine ? Par Françoise de Saint Sernin, Avocate.
Parution : vendredi 19 juillet 2019
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C’est une décision qui fait grand bruit ! La Cour de Cassation s’est prononcée mercredi 17 juillet dans un avis pour la confirmation du barème Macron défendue par le gouvernement et le patronat. Une disposition décriée par les syndicats et les avocats qui défendent les salariés… Les salariés sont prévenus, c’est désormais, comme aux États-Unis, au moment de l’embauche qu’il faut négocier les garanties.

L’objet du débat.

Depuis les ordonnances réformant le Code du travail en 2017, le barème des indemnités pour licenciement abusif fait débat. Il institue un plafond qui se situe entre un et vingt mois de salaire brut, en fonction de l’ancienneté. Cette barémisation ne s’applique pas uniquement s’il y a matière à annulation du harcèlement par exemple en cas de harcèlement moral ou sexuel, discrimination ou encore pour atteinte à une liberté fondamentale. Dans une vingtaine d’affaires, des conseillers prud’homaux sont passés outre, considérant que le barème ne réparait pas le préjudice subi par le salarié et contrevenait aux dispositions du droit social européen et international.

La (non) réponse de la Cour de Cassation.

Comme ils en avaient la possibilité, les conseils de Prud’hommes de Louviers et de Toulouse ont sollicité l’avis de la Cour de cassation pour savoir si le barème était conforme aux textes internationaux.

En effet, d’une façon générale, le barème Macron prévoit pour les salariés victimes de licenciement abusif des indemnités tellement faibles qu’ils n’ont plus intérêt à saisir le Conseil de Prud’hommes. S’il est fait état d’un plafond de 20 mois, la réalité est que ce dernier est l’exception, la grande majorité des salariés ayant une ancienneté restreinte [1] Tel est le cas du salarié de Louviers. Victime d’un licenciement injuste mais avec seulement 1 an d’ancienneté, ce dernier ne peut prétendre qu’à une indemnité qui se situe entre 1 et 2 mois de salaire et ce quel que soit son préjudice.

Pourtant son préjudice peut-être bien plus fort. Prenons l’exemple d’un cadre chevronné qui accepte une proposition attractive à l’extérieur. Il va devoir démissionner et perdre son indemnité d’ancienneté. Alors qu’il s’est investi tant et plus chez son nouvel employeur, ce dernier estimant avoir au bout d’un an suffisamment récupéré son Know How (savoir-faire) et son carnet d’adresses, alors qu’il ne l’avait embauché que pour cela, pourra le remercier en toute impunité. Ce sont bien sûr les cadres chevronnés, ayant accumulé expérience et contacts commerciaux qui sont les premières victimes de ces comportements cyniques favorisés par la nouvelle « fluidité » de l’emploi.

Dans son avis, la Cour de Cassation n’a pas voulu désavouer Emmanuel Macron, qui s’était engagé auprès du Medef, soucieux de pouvoir évaluer avec certitude « le prix » d’un licenciement.

Que font les salariés aux États-Unis ?

Aux États-Unis règne la doctrine de l’ « employment-at-will » qui désigne la possibilité pour l’employeur comme pour le salarié de rompre le contrat de travail sans justification. On semble se diriger vers les mêmes logiques en France avec les mêmes parades pour les salariés. Ceux qui sont en situation de force sur le marché de l’emploi pourront négocier pied à pied avec leur employeur. Les cadres doivent impérativement intégrer cette nouvelle donne et réclamer des garanties afin de ne pas être victime d’un employeur opportuniste en négociant par exemple :
- Absence de période d’essai ou période d’essai limitée ;
- Reprise de l’ancienneté dans le nouvel emploi ;
- Indemnité contractuelle de licenciement (Golden parachute), en veillant à éviter l’écueil de la requalification en clause pénale (l’indemnité contractuelle) ;
- Bonus défini contractuellement et garanti la première année ;
- Absence de clause de non-concurrence ou tout au moins absence de dédit unilatéral de la clause (voir question clause de non-concurrence) ;
- Promesse d’attribution de stock-options – actions gratuites – plan de rémunération différée (LTI) ;
- Welcome bonus (prime à l’embauche) ;
- Émargement au régime de retraite supplémentaire.

A présent, comme aux États-Unis, le nouvel employeur, ne pourra attirer les talents que s’il donne des gages, en proposant spontanément les garanties. Si l’employeur ne le fait pas, le salarié ne doit pas pêcher par timidité. S’il réclame des garanties, l’employeur est obligé de lui donner satisfaction. Il n’est pas question qu’il découvre plus tard que d’autres salariés ont obtenu ce qui lui a été refusé, ce serait le glas de la relation de confiance nécessaire à toute collaboration réussie. S’il n’a rien réclamé, il n’aurait que ses yeux pour pleurer.

Si l’avis de la Cour de cassation ne s’impose pas aux Conseils de Prud’hommes, il influencera les décisions. On peut néanmoins souhaiter que les juges prud’homaux se montrent combatifs pour défendre la justice prud’homale à la Française en attendant la position définitive de la Cour de Cassation et surtout de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui s’oppose depuis 2010 à la forfaitisation des indemnités de licenciement.

Par Françoise de Saint Sernin, Avocate associée - Cabinet SAINT SERNIN