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Les Conseils de Prud’hommes font fi des avis rendus par la Cour de Cassation quant au « barème Macron ». Marie Teullet, Avocat.
Parution : mardi 6 août 2019
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Si les deux avis rendus le mercredi 17 juillet 2019 par la Cour de cassation étaient particulièrement attendus, ils ne permettent toutefois pas de mettre un coup d’arrêt aux décisions prud’homales visant à écarter le plafonnement des indemnités de licenciement introduit par le barème fixé à l’article L.1235-3 du code du travail.

I. Sur les avis rendus par la Cour de Cassation en date du 17 juillet 2019.

1.1. Position du problème.

Parce que différents conseils de prud’hommes ont jugé la « barémisation » introduite à l’article L. 1235-3 du Code du travail inconventionnelle en ce que ce barème viole les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention n°158 de l’OIT et le droit au procès équitable [1], de plus en plus de justiciables invoquent ce moyen à l’appui de leurs prétentions indemnitaires.

Confrontés à cet argument, les Conseils de prud’hommes de Louviers [2] et Toulouse [3] ont saisi pour avis la Cour de cassation afin qu’elle se prononce sur ce point.

La question posée par les deux Conseils à la Cour de cassation peut se résumer comme suit : l’article L.1235-3 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2018-217 du 29 mars 2018, instaurant un barème d’indemnisation du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, est-il compatible avec les dispositions de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT, l’article 24 de la Charte sociale européenne et le droit au procès équitable protégé par la Convention européenne des droits de l’homme ?

Par deux avis rendus le même jour, soit le 17 juillet 2019, la Cour de Cassation procède donc à un contrôle de conventionnalité, juge conforme et valide le plafonnement des indemnités fixé à l’article L.1235-3 du code du travail [4].

1.2. L’analyse opérée par la Cour de cassation.

En premier lieu, la Cour de cassation a déclaré comme recevable les demandes d’avis qui lui ont été formulées par les Conseils de prud’hommes de Louviers et Toulouse. En effet elle juge que « la compatibilité d’une disposition de droit interne avec les dispositions de normes européennes et internationales peut faire l’objet d’une demande d’avis, dès lors que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond ».

La chose n’était pas aisée dans la mesure où, comme l’a souligné l’avocat général dans son rapport commun, depuis 2002 la Cour de cassation décide de manière constante que le contrôle de conventionnalité ne relève pas de la procédure d’avis [5].

En second lieu, si la Cour de cassation juge recevable ladite demande, elle restreint néanmoins le champ de son contrôle à la compatibilité de l’article L. 1235-3 du code du travail au seul article 10 de la Convention n°158 de l’OIT.

C’est ainsi que la Cour de cassation a tout bonnement écarté l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme sur le droit au procès équitable.

Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation a jugé que l’article L.1235-3 du code de travail pouvait s’analyser en une limitation matérielle et non procédurale pour les salariés de se voir allouer un certain montant d’indemnité en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Raison pour laquelle, elle juge l’article 6§1 inopérant par rapport à la problématique soulevée.

De même qu’elle écarte l’article 24 de la Charte sociale européenne sur le droit à la protection en cas de licenciement, dans la mesure où elle considère que les dispositions dudit article « ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ».

A cet endroit, il n’est pas inutile de souligner que le Conseil d’État a, pour sa part, jugé, contrairement à la Cour de cassation, que l’article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996, ratifiée par la France le 7 mai 1999, est d’effet direct [6]. Signifiant qu’il crée des droits directement dans le chef des particuliers qui peuvent en conséquence directement l’invoquer.
Il s’était par ailleurs prononcé sur la conventionnalité du barème au regard dudit article dans son ordonnance du 7 décembre 2017 [7].

Il en résulte que la Cour de Cassation a opéré un contrôle de conventionnalité uniquement au regard de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT.

Pour rappel, cet article dispose : « Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

L’analyse opérée par la Cour de cassation a consisté à définir ce qu’il fallait entendre par « indemnité adéquate ou tout autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

De son point de vue, le terme « adéquat » doit être entendu comme une marge d’appréciation laissée à la discrétion des États parties.

De sorte que le barème figurant à l’article L.1235-3 du code du travail qui prévoit le versement, par le juge, d’une indemnité de licenciement à la charge de l’employeur encadrée par un montant minimal et un montant maximal satisfait aux dispositions de l’article 10.

En effet, la Cour de cassation relève le fait que le juge bénéficie d’une marge d’appréciation laissée à sa discrétion, puisque l’indemnité qu’il peut allouer est encadré par un montant minimal et un montant maximal.

Étant précisé, en outre, que ledit barème est écarté en cas de licenciement nul.

II. Sur la résistance des Conseils de prud’hommes.

Bien que la Cour de cassation s’est prononcée sur la compatibilité du « barème Macron » à l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT, cela n’a pas empêché des Conseils de prud’hommes d’écarter le barème, et donc, de ne pas suivre les avis rendus.

A titre liminaire, rappelons que les avis rendus par la Cour de cassation ne sont pas juridiquement contraignants, signifiant que les juges du fond ne sont pas tenus de les suivre.

Par jugement de départage en date du 22 juillet 2019 [8], le Conseil de prud’hommes de Grenoble a décidé d’écarter le barème fixé à l’article 1235-3 du code du travail afin de permettre une réparation adéquate du préjudice de la salariée en cause.

Ce jugement est intéressant à plusieurs titres.

Tout d’abord, il s’agit d’un jugement de départage.

En outre, il relève que l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée n’a pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Enfin, il vise explicitement l’avis rendu par la Cour de cassation le 17 juillet dernier et juge qu’il « ne constitue pas une décision au fond ».

L’autre jugement a été rendu par le Conseil de prud’hommes de Troyes en date du 29 juillet 2019.

Au-delà de ces deux jugements, et potentiellement d’autres à venir, il est permis de s’interroger sur l’opportunité de telles décisions dans la mesure où le barème fixé à l’article L. 1235-3 du code du travail a été validé tant par le Conseil d’État que le Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, si les avis de la Cour de cassation ne sont pas juridiquement contraignants, il est peu probable qu’en cas d’appel, puis de cassation, la Cour de cassation ne suive pas ses propres avis...

Reste que pour l’heure, ce sont les arrêts des Cour d’appel de Paris et de Reims qui sont attendus sur le sujet et ce le 25 septembre 2019.

Marie TEULLET Avocat à la Cour Docteur en droit mt@teullet-avocat.fr

[1Voir notamment CPH Troyes, 13 décembre 2018, n°F18/00036 ; CPH Amiens, 19 décembre 2018, n°F18/00040 ; CPH Lyon, 21 décembre 2018, n°F18/01238, CPH Lyon, 7 janvier 2019, n°F15/01398 ; CPH Grenoble, 18 janvier 2019, n°F/00989

[2Demande d’avis n°R 19-70.010, saisine du 10 avril 2019.

[3Demande d’avis n°S 19-70.011, saisine du 4 avril 2019.

[4Cass. Avis 17 juillet 2019, formation plénière, avis n°19-70010 PBRI et n°19-70011 PBRI.

[6CE, 10 février 2014, M. Fischer, n°359892.

[7CE ord. 7 décembre 2017, n°415.243.

[8CPH Grenoble, 22 juillet 2019, n°F18/00267.