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RNU et constructibilité limitée : l’extension n’a pas à présenter un caractère « mesuré ». Par Alexandre Chevallier, Avocat.
Parution : mercredi 21 août 2019
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Le 29 mai 2019, le Conseil d’État a rendu une décision, code de publication B, n°419921, sur la question de la constructibilité limitée tirée des dispositions de l’ancien article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme (nouvellement articles L. 111-3 et L. 111-4 du même code). La haute juridiction apporte à cette occasion trois précisions utiles sur l’interprétation de cet article en excluant notamment la condition relative au caractère « mesuré » d’une extension projetée.

Cet arrêt du 29 mai 2019 du Conseil d’Etat expose les faits suivants : des pétitionnaires, souhaitant créer une extension à usage d’habitation d’une construction existante sur un terrain situé à Craménil, commune de Normandie dépourvue de plan local d’urbanisme, de carte communale opposable aux tiers et de tout document d’urbanisme en tenant lieu, ont déposé un dossier de demande de permis de construire à la préfecture de l’Orne.

La demande a porté sur une augmentation de 217 mètres carrés de la superficie d’une bâtisse d’une superficie d’origine de 69 mètres carrés.

Par un arrêté en date du 24 juillet 2015, le préfet de l’Orne a refusé la délivrance du permis de construire en ce que le projet litigieux ne respectait pas la règle de constructibilité limitée, figurant à cette époque à l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme, au motif que « le terrain d’assiette du projet, situé à un kilomètre du bourg de la commune de Craménil, dans un secteur à dominante naturelle, ne comportant aucune habitation à proximité immédiate, en dehors des parties urbanisées de la commune et que le triplement de la surface d’origine ne pouvait être regardé comme une extension mesurée ».

Les pétitionnaires ont ainsi engagé un recours contentieux à l’encontre de la décision devant le tribunal administratif de Caen qui a statué par jugement du 18 mai 2016 à l’annulation du refus de permis de construire, lequel a été confirmé par la cour administrative d’appel de Nantes par un arrêt du 16 février 2018.

Bien que le Conseil Etat ait considéré qu’une telle extension procédant à un triplement de la surface d’origine ne pouvait qu’être assimilée à une construction nouvelle, les hauts magistrats ont tout de même tenu à régler la question de l’ajout par le préfet d’une condition à la loi, lequel ayant exigé qu’une extension présente un caractère « mesuré ».

I) L’extension projetée n’a pas à présenter un caractère « mesuré »

D’une part, les dispositions applicables au cas d’espèce de l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme prévoient que la règle de la constructibilité limitée applicable dans les communes dépourvues de tout document d’urbanisme, de carte communale opposable aux tiers ou de tout document d’urbanisme en tenant lieu, limite la délivrance de permis de construire, non-opposition à déclaration préalable, permis d’aménager ou toute autre autorisation de construire aux seules parties actuellement urbanisées.

Il existe néanmoins plusieurs exceptions à ce principe au sein même de cet article (nouvellement l’article L. 111-4 du code de l’urbanisme).

L’une d’entre elles offre la possibilité d’autoriser l’adaptation, le changement de destination, la réfection et l’extension des constructions existantes.

Par conséquent, aucune autre condition non prévue par les dispositions relatives à cette exception ne devrait permettre d’en restreindre son champ d’application.

Or, l’un des motifs sur lequel s’est fondé le tribunal administratif de Caen puis la cour administrative d’appel de Nantes, suivie par le Conseil d’État pour juger de l’illégalité du refus de permis de construire, a tenu au fait que le préfet a ajouté une condition à la loi en imposant que l’extension d’une construction existante soit mesurée, apportant ainsi une restriction supplémentaire.

En d’autres termes, la haute juridiction a considéré à la lumière de cette exception que le projet d’extension d’une construction existante, bien que devant être d’une ampleur limitée en proportion des constructions sur lesquelles elle s’implante, ne peut pas pour autant être refusée au motif que la superficie de la surface de l’extension créée par rapport à la surface des constructions existantes ne serait pas mesurée.

Le Conseil d’État a entendu exclure la condition relative au caractère « mesuré » d’une extension projetée, constituant ainsi le premier apport notable de cet arrêt.

II) Les conditions relatives au périmètre regroupant des bâtiments d’une ancienne exploitation agricole et au respect des traditions architecturales locales ne doivent être respectées que si la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation est projetée

D’autre part, ce même article autorise la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation dès lors qu’il est satisfait aux conditions suivantes :

La question s’est alors posée de savoir si ces deux conditions devaient s’appliquer aussi bien aux projets d’extension qu’aux projets de construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation.

L’arrêt commenté répond par la négative.

En contemplation des travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption des dispositions de l’article 36 de la loi n°2009-33 du 25 mars 2009 dite loi « MOLLE », laquelle a ajouté à l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme « la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole, dans le respect des traditions architecturales locales », les magistrats du Palais Royal ont interprété l’intention du législateur en concluant que l’allongement de cet alinéa a bien eu pour objectif de créer une nouvelle exception spécifique.

En conséquence, ces deux conditions n’ont à s’appliquer que dans l’hypothèse de la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation, constituant ainsi le deuxième apport de cet arrêt.

III) La condition relative à l’intérieur du périmètre regroupant des bâtiments d’une ancienne exploitation agricole est remplie même en l’absence de clôture du terrain

Enfin, le dernier apport intéressant concerne plus précisément l’interprétation de la condition portant sur «  l’intérieur du périmètre regroupant des bâtiments d’une ancienne exploitation agricole ».

Le Conseil d’État vient ici préciser que le périmètre de cette exception n’est pas réservé aux cas dans lesquels le périmètre constitué par les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole est clos, mais peut aussi valoir pour les cas où les bâtiments nouveaux sont implantés dans un espace entouré de bâtiments agricoles suffisamment rapprochés pour pouvoir être regardé comme délimitant, même sans clôture ou fermeture, un périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole.

Ainsi, ce périmètre doit être interprété comme un périmètre permettant de ceindre plusieurs constructions suffisamment rapprochées les unes des autres, sans exiger pour autant l’existence d’une ceinture physique.

Pour conclure

Cet arrêt du Conseil d’État du 29 mai 2019 permet ainsi d’affiner l’interprétation de l’ancien article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme, nouvellement L. 111-3 et L. 111-4 du même code.

Il est donc à retenir d’une part, qu’un projet d’extension ne peut être refusé au motif que l’extension projetée ne présenterait pas un caractère « mesuré », d’autre part que les conditions tenant au périmètre regroupant des bâtiments d’une ancienne exploitation agricole et au respect des traditions architecturales locales ne peuvent être exigées que dans l’hypothèse de la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation, enfin que la condition relative à l’intérieur du périmètre regroupant des bâtiments d’une ancienne exploitation agricole est remplie même en l’absence de clôture du terrain.

Alexandre CHEVALLIER Avocat au Barreau de Paris Equitéo Avocat a.chevallier@equiteo.fr www.equiteoavocat.fr
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