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L’application de l’article L 133-8 du Code de commerce en matière de transport international sous CMR. Par Chloé Ebert, Avocat.
Parution : jeudi 29 août 2019
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De la mauvaise interprétation de l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 13 juillet 2010 ​​​​​​​(n° 10.12.154).
En matière de transport international, notamment routier, il est fréquent que le transporteur terrestre se retrouve face à des co-contractants ( donneur d’ordre) indélicats, ou plus simplement devenus insolvables postérieurement au transport effectué, laissant le transporteur impayé.

En droit français, l’article L. 132-8 du Code de Commerce prévoit une action directe du transporteur à l’encontre du destinataire ou de l’expéditeur de la marchandise, lui permettant ainsi dans certaines conditions d’actionner ces derniers afin d’obtenir règlement du fret.

La question s’est posée à plusieurs reprises de savoir si cette disposition pouvait bénéficier à un transport étranger, en l’occurrence européen.
La réponse retenue est éminemment claire en ce que l’application de cette disposition du Code de commerce ne concerne que les contrats régis par la loi française, quel que soit la nationalité du transporteur. Il a en outre été précisée par la Cour de cassation qu’ une telle disposition ne saurait être considérée comme une loi de police.

C’est cette position qui a été consacrée par un arrêt du 13 juillet 2010 (n° 10-12.154) censurant un arrêt de la Cour d’Appel de Montpellier ayant condamné un destinataire à payer la dette d’un expéditeur espagnol.

La Cour de Cassation a en effet eu l’occasion de confirmer à de nombreuses reprises que l’article L132–8 du code de commerce ne visait pas à protéger contre un défaut de paiement tout transporteur international opérant pour partie en France.

En ce sens, il faut effectivement comprendre que l’action directe du transporteur routier n’est pas une loi, dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation quelle que soit la loi applicable et ainsi constituer une loi de police.

Cependant, il ne faut pas faire dire à la Cour, ce qu’à notre sens, elle n’a pas souhaité exprimer. En effet, il nous semble que cette solution est parfois - voire souvent - mal interprétée par des expéditeurs/destinataires, tentant d’échapper à "l’obligation" que que met pourtant à leur charge l’article L 132-8 du code de commerce ;
Ainsi, s’il est clair que l’action directe ne peut être opposé par un transporteur étranger à l’encontre d’un destinataire/expéditeur français ( et inversement) dès lors que la loi française n’est pas applicable au contrat... A contrario, il faut comprendre que si la loi française est la loi applicable à ce contrat, alors l’action directe de l’article L 132.8 du code de commerce, doit trouver à s’appliquer et ce quel que soit la nationalité du transporteur qui tente de recouvrer sa créance.

Ainsi, après avoir fait un point sur la prescription de l’action judiciaire intentée dans le cadre d’un transport réalisé sous CMR (I) nous rappellerons dans quelles conditions la loi française peut trouver à s’appliquer (II) avant d’énoncer les conséquences de son application dans le cadre de l’action directe (III).

I - La prescription en matière d’action "sous" CMR.

Il est souvent soutenu que la demande en paiement d’une facture de frêt d’un transport effectué sous CMR est prescrite dès lors que l’assignation est délivrée plus d’une année après l’émission de la facture dont il est réclamé paiement.

Cependant et comme cela a été jugé à plusieurs reprises et est désormais bien établi, il s’agit ici d’appliquer les dispositions de l’Article 32 de la CMR, lequel énonce notamment dans son c) :

« 1.Les actions auxquelles peuvent donner lieu les transports soumis à la présente Convention sont prescrites dans le délai d’un an. Toutefois, dans le cas de dol ou de faute considérée, d’après la loi de la juridiction saisie, comme équivalente au dol, la prescription est de trois ans. La prescription court :

a) dans le cas de perte partielle, d’avarie ou de retard, à partir du jour où la marchandise a été livrée ;

b) dans le cas de perte totale, à partir du trentième jour après l’expiration du délai convenu ou, s’il n’a pas été convenu de délai, à partir du soixantième jour après la prise en charge de la marchandise par le transporteur ;

c) dans tous les autres cas, à partir de l’expiration d’un délai de trois mois à dater de la conclusion du contrat de transport. Le jour indiqué ci-dessus comme point de départ de la prescription n’est pas compris dans le délai. »

Ainsi, conformément à ce texte, il est parfaitement et indéniablement établi, que la prescription annale, court à l’expiration d’un délai de trois mois partant de la conclusion du contrat de transport.
Ainsi, au regard des règles de computation des délais une action en paiement intentée dans le cadre d’un transport international se prescrira au terme d’un délai de 15 mois partant de la conclusion du contrat.

II – Sur l’application de la loi française et l’article L132-8 du code de commerce au regard du Règlement (CE) N° 593/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008.

Il est constant que la question du recouvrement des frais de transport, n’étant pas abordée par le texte relatif au transport sous CMR, celui-ci ne peut donc faire échec à cette procédure, pas plus qu’il ne fait obstacle à l’application du droit local régissant l’action en paiement.

Ainsi, dans le cadre d’un transport soumis à la CMR, celle-ci ne règlementant pas l’action directe du transporteur, il convient de se reporter au Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dès lors que les pays concernés l’ont ratifiée, afin de déterminer la loi applicable au dit contrat et de s’y référer.
Il convient en ce sens d’appliquer le texte en vérifiant les points ci-dessous.

A – L’application de la loi française : choix des parties.

L’article 3 dudit règlement stipule :

« 1. Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat »

Dès lors et s’il résulte des éléments du dossier que les parties ont expressément fait état d’une clause de loi applicable, c’est celle-ci qui devra trouver application dès lors, conformément à l’article précité, qu’il « résulte de façon certaine (…) des circonstances de la cause » que les parties ont entendu soumettre le contrat à l’application de cette loi ; par exemple la loi française.

B – L’application de la loi française à défaut de choix des parties.

Toutefois et si ce choix, ne devait pas être considéré comme exprès, il conviendrait dès lors de se reporter à l’article 5 dudit Règlement CE, lequel envisage le défaut de choix par les parties de loi applicable.

Dans ce cas, il convient alors de déterminer la loi applicable au contrat comme celle du « du pays dans lequel le transporteur a sa résidence habituelle, pourvu que le lieu de chargement ou le lieu de livraison ou encore la résidence habituelle de l’expéditeur se situe aussi dans ce pays. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, la loi du pays dans lequel se situe le lieu de livraison convenu par les parties s’applique. »

Ainsi et dès lors que le pays de la résidence habituelle du transporteur est différent du pays dans lequel le déchargement a eu lieu ou dans lequel la livraison a eu lieu ou enfin dans lequel l’expéditeur a sa résidence habituelle, c’est bien la loi du pays dans lequel la livraison telle qu’elle a été convenue entre les parties a eu lieu, qui’l conviendra d’appliquer.

Dès lors si la France est le pays de livraison de la marchandise, alors même qu’aucun autre des critères ne se rapporte à ce pays ( transporteur, destinataire et expéditeur ont tous trois des résidences habituelles hors de France), c’est bien la loi française qui pourra trouver à s’appliquer.

Ainsi, le Règlement CE N° 593/2008, apporte une plus grande sécurité juridique en prévoyant, à titre subsidiaire, « si ces conditions ne sont pas satisfaites… » ; L’application de la loi du lieu de livraison convenu entre les parties.
En conséquence, le juge devra faire application de la loi qu’il aura déterminer de la sorte ;

III - L’application de la loi française : L’action directe du transporteur contre le destinataire en application de l’article L 132-8 du Code de commerce.

En conséquence, si en application des textes précédemment cités, la loi française peut être déterminée comme applicable au contrat de transport, l’article L132-8 du code de commerce trouvera donc à s’appliquer.

Ce texte prévoyant que le transporteur routier « a une action directe en paiement de ses prestations à l’encontre de l’expéditeur, et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport. Toute clause contraire est réputée non écrite ».

De fait, le Juge français, fait régulièrement application de l’article L 132-8 du code de commerce soit de la loi française, dans le cadre de contrats internationaux, sous CMR. La Cour de Cassation en a d’ailleurs incontestablement admis et affirmé le principe depuis maintenant plusieurs années, les différentes chambres des Cours d’Appel nationales saisies de cette difficulté faisant une stricte application de cette règle.

En outre, il est également acquis que le fait que la facture de frêt ait d’ores et déjà été réglée par le destinataire / expéditeur entre les mains du commissionnaire, ne prive en rien le transporteur de cette action.

Un transporteur européen, dont le contrat est soumis à CMR, pourra donc tout à fait, et dans certaines conditions, invoquer l’action directe en paiement, afin d’obtenir règlement du fret devant les juridictions françaises.

Chloé EBERT Avocat Ebert-avocat.fr