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La loi sur la protection du secret des affaires et les mesures d’instruction in futurum. Par Anne Baudoin, Avocat.
Parution : vendredi 30 août 2019
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Par la loi du 30 juillet 2018, le législateur français a transposé la directive (UE) 2016/943 du 8 juin 2016 et créé un Titre V dans le Code de commerce relatif à la protection du secret des affaires.
Cette protection s’applique t-elle lorsque les informations couvertes par le secret des affaires sont nécessaires à la résolution d’un litige ?

1/ La protection du secret des affaires, qu’est-ce que c’est ?

Le nouvel article L151-1 du Code de commerce dispose qu’est désormais protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

« 1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;

2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »

Aux termes de l’article L 151-3 du Code de commerce, constituent des modes d’obtention licite d’un secret des affaires :
- Une découverte ou une création indépendante,
- L’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l’information, sauf stipulation contractuelle interdisant ou limitant l’obtention du secret.

En revanche, l’obtention d’un secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime et qu’elle résulte :

- D’un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d’une appropriation ou d’une copie non autorisée de ces éléments,

- De tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale (Article L 151-4 du Code de commerce),

- D’une violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation (Article L 151-5 du Code de commerce).

Toute atteinte au secret des affaires engage la responsabilité de son auteur dans un délai de cinq ans à compter des faits qui en sont la cause (Article L152-1 et 2 du Code de commerce).

Le cas échéant, la victime de la violation du secret des affaires peut solliciter la réparation de son entier préjudice (notamment défini à l’article L152-6 du Code de commerce), outre solliciter du Juge qu’il ordonne toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une telle atteinte, y compris en référé (Article L152-3 et L152-4 du Code de commerce).

2/ Quelles difficultés dans le cadre de mesures d’instruction in futurum ?

L’article 145 du Code de procédure civile énonce que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Ainsi, les mesures d’instructions in futurum de l’article 145 du Code de procédure civile permettent aisément de collecter des preuves avant tout procès au fond.

Pour conserver l’effet de surprise, de telles mesures peuvent être sollicitées par requête, c’est-à-dire sans débat contradictoire préalable, dès lors qu’il est démontré l’existence d’un litige et l’intérêt probatoire du requérant.

Dans le cadre de l’application de cette disposition, la Cour de cassation avait admis une protection du secret des affaires.

Depuis 1999, la Cour de cassation estime que la mesure d’instruction demandée ne doit pas être détournée en une « mesure générale d’investigation ».

(Ch., civ, 2, 7 janvier 1999 n°97-10831)

Néanmoins, à son sens, « le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile, dès lors que le Juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées. »

(Ch., civ, 2, 7 janvier 1999 n°95-21934)

La Cour de cassation avait donc admis une protection du secret des affaires, bien que le seul fait de l’invoquer comme moyen de défense ne pouvait en soi suffire à s’opposer à une mesure d’instruction.

Les juges devaient mettre en balance le droit de la preuve et le droit à la protection du secret des affaires, qui n’était alors pas légalement défini, et s’assurer que le demandeur démontrait un intérêt légitime à se voir communiquer les documents.

(Cass. Civ 1, 5 avril 2012, n°11-14177, Cass., civ. 2, 17 mars 2016, n°15-11412)

Les juges étaient ainsi soumis à un principe de proportionnalité. Dans un récent arrêt, la Cour de cassation avait invité les juges du fond à rechercher « si cette mesure d’instruction, confiée à un tiers soumis au secret professionnel, n’était pas proportionnée » au droit de la requérante d’établir la preuve d’actes de concurrence interdite ou déloyale attribués à l’agent général et à la préservation des secrets d’affaires de la défenderesse.

(Cass., civ, 1, 22 juin 2017, n°15-27845)

La loi du 30 juillet 2018 et le décret d’application du 11 décembre 2018 ont apporté des éclaircissements sur la protection du secret des affaires dans ce cadre.

Au préalable, toute personne qui invoque le secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée doit remettre au juge la version confidentielle intégrale de cette pièce, une version non confidentielle ou un résumé et un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires (Article R153-3 du Code de commerce).

L’article L 153-1 du Code de commerce dispose désormais que s’il est demandé la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut :
- Prendre connaissance seul de cette pièce et, s’il l’estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis, pour chacune des parties, d’une personne habilitée à l’assister ou la représenter, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection,
- Décider de limiter la communication ou la production de la pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter,
- Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil,
- Adapter la motivation de sa décision et les modalités de la publication de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.

Plus précisément, le Code du commerce envisage désormais un placement sous séquestre provisoire des pièces demandées lorsque le Juge est saisi sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile (Article R153-1 du Code de commerce).
Si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire est levée et les pièces sont transmises au requérant.

Par ailleurs, plus largement en cas de demande de communication de pièces en cours de procès, le Juge peut décider de restreindre l’accès à la pièce aux seules personnes habilitées à assister ou représenter les parties (Article R153-2 du Code de commerce).

Afin de préserver les droits de la personne bénéficiant du secret des affaires, il a également été mis en place une obligation de confidentialité pour toute personne ayant accès à une pièce ou au contenu d’une pièce considérée par le juge comme étant couverte ou susceptible d’être couverte par le secret des affaires (Article L153-2 du Code de commerce).

Après un examen, le juge peut refuser la communication ou la production de la pièce lorsque celle-ci n’est pas nécessaire à la solution du litige. En revanche, si elle est nécessaire sa communication est autorisée, en totalité ou partiellement selon les cas, même en cas d’atteinte au secret des affaires. Le cas échéant, le Juge doit désigner la personne habilitée à avoir accès à la pièce (Article R 153-5 et suivants du Code de commerce).

Anne Baudoin Avocat