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Candidature publique et privée : comment assurer une mise en concurrence « loyale » ? Par Sébastien Palmier, Avocat.
Parution : vendredi 6 septembre 2019
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Le Conseil d’Etat rappelle les conditions dans lesquelles une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération peuvent se porter candidat à l’attribution d’un contrat public pour répondre aux besoins d’une autre personne publique. (CE 14 juin 2019, Société Vinci construction maritime et fluvial, req. n°411444.)

Enseignement n°1 : L’admission de principe de la candidature des personnes publique pour l’obtention des contrats publics.

Dans son avis en date du 8 novembre 2000, Sté Jean-Louis-Bernard Consultants, le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de rappeler qu’aucun texte ni aucun principe n’interdit, en raison de sa nature, à une personne publique, de se porter candidate à l’attribution d’un marché public .

L’article L 1220-1 du Code de la commande publique consacre désormais cette solution puisqu’il indique qu’un opérateur économique peut être toute personne physique ou morale, « publique » ou privée, qui offre sur le marché la réalisation de travaux ou d’ouvrages, la fourniture de produits ou la prestation de services.

Une personne publique peut donc désormais concourir avec d’autres personnes publiques et/ou des entreprises privées en vue de l’obtention d’un marché public.

Mais comme le précise l’article L 3 du même code, les marchés publics doivent respecter les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes se sont vus reconnaître le caractère de principes généraux du droit par le Conseil d’État avant que le Conseil constitutionnel ne les érige au rang de principes à valeur constitutionnelle.

Et c’est précisément au regard de ces principes que la participation des personnes publiques aux procédures de marchés ne cesse de poser un certain nombre de questions notamment en ce qui concerne le respect du principe d’égalité. L’égalité des candidats concerne en effet aussi bien l’accès à la commande publique que son organisation ; elle a également des implications lors de l’attribution du marché. Ainsi, même si le principe de libre concurrence n’a jamais signifié que soit assurée une égalité absolue entre les candidats , les personnes publiques candidates à un marché public n’ont aucune raison de bénéficier d’un traitement de faveur par rapport à leurs concurrents privés.

Le contrôle du respect du principe d’égalité de traitement entre les opérateurs publics et privés doit donc s’opérer au cas par cas, en tenant compte des contraintes particulières qui pèsent sur chacun d’eux.

Les dernières décisions de jurisprudence montrent que le contrôle du juge administratif est de plus en plus vigilant sur le seul point tranché à ce jour par le Conseil d’Etat qui concerne les conditions dans lesquelles l’offre d’une personne publique peut loyalement concurrencer celle d’une personne privée. L’examen des conditions de participation des personnes publiques aux procédures de mise en concurrence relève quant à lui plus d’une approche in concreto que l’on peut qualifier de compensatoire par rapport aux opérateurs privés

Dans son arrêt du 14 juin 2019, le Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération peuvent se porter candidat à l’attribution d’un contrat public pour répondre aux besoins d’une autre personne publique en indiquant qu’une telle participation n’est possible que si elle répond à un tel intérêt public, c’est-à-dire si elle constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité ou l’établissement public de coopération a la charge, dans le but « notamment » d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son équilibre financier, et sous réserve qu’elle ne compromette pas l’exercice de la mission.

Le Conseil d’Etat ajoute cependant que cet amortissement ne doit toutefois pas s’entendre dans un sens précisément comptable, mais plus largement comme traduisant l’intérêt qui s’attache à l’augmentation du taux d’utilisation des équipements de la collectivité, dès lors que ces derniers ne sont pas surdimensionnés par rapport à ses propres besoins.

Dans cette affaire, le département de la Vendée avait engagé une procédure de publicité et de mise en concurrence en vue d’assurer des travaux de dragage. Le département de la Charente-Maritime a décidé de candidater à la procédure et s’est vu déclaré attributaire du contrat.

Le Conseil d’Etat valide la candidature du département de la Charente-Maritime au motif que la drague qu’il a acquise a été dimensionnée pour faire face aux besoins et aux spécificités des ports de son territoire mais n’est utilisée qu’une partie de l’année pour répondre à ces besoins.

Partant la Haute Juridiction considère que l’utilisation de cette drague hors du territoire départemental peut être regardée comme s’inscrivant dans le prolongement du service public de création, d’aménagement et d’exploitation des ports maritimes de pêche dont il a la charge, sans pour autant compromettre l’exercice de cette mission et que la mise à disposition de cette drague pour le compte d’un autre département permet d’amortir l’équipement et de le valoriser. Par suite, le moyen tiré de ce que la candidature du département de la Charente-Maritime n’aurait pas répondu à un intérêt public local doit être écarté.

Enseignement n°2 : L’épineuse appréciation de la concurrence loyale entre opérateur public et privé dans le cadre de la passation des contrats publics.

Une fois admise dans son principe, le Conseil d’Etat rappelle que cette candidature ne doit pas fausser les conditions de la concurrence. En particulier, le prix proposé par la collectivité territoriale ou l’établissement public de coopération doit être déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à sa formation, sans que la collectivité publique bénéficie, pour le déterminer, d’un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de ses missions de service public et à condition qu’elle puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d’information approprié.

Ainsi, lorsque le prix de l’offre d’une collectivité territoriale est nettement inférieur aux offres des autres candidats, il appartient au pouvoir adjudicateur de s’assurer, en demandant la production des documents nécessaires, que l’ensemble des coûts directs et indirects a été pris en compte pour fixer ce prix, afin que ne soient pas faussées les conditions de la concurrence. Si l’offre de la collectivité est retenue et si le prix de l’offre est contesté dans le cadre d’un contentieux, il appartient au juge administratif de vérifier que le pouvoir adjudicateur ne s’est pas fondé sur un prix manifestement sous-estimé au regard de l’ensemble des coûts exposés et au vu des documents communiqués par la collectivité candidate.

En l’espèce, le département de Charente-Maritime a fait une offre inférieure par rapport aux autres sociétés, mais aussi au regard des estimations du pouvoir adjudicateur. Le département de la Vendée a donc demandé des précisions et a pu vérifier que le prix inférieur était justifié en raison d’un procédé technique intégré dans la drague « Fort Boyard » qui permettait de baisser grandement les coûts de fonctionnement. Le Conseil d’Etat considère donc la procédure régulière.

Me Sébastien PALMIER-Spécialiste en Droit Public Cabinet Palmier & Associés- Experts en marchés publics [->http://www.sebastien-palmier-avocat.com]