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Salariés, sachez contester les discriminations dont vous êtes victimes en 2019. Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : jeudi 26 septembre 2019
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Suivant une étude récente du défenseur des droits, 1 personne sur 4 déclare avoir déjà fait l’objet d’un propos ou comportement discriminatoire au travail (source : 11ème baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi).
Voici une synthèse de la jurisprudence récente en matière de discrimination des salariés.

En 2017, plus de 600 000 salariés, soit environ 6 % des salariés français exercent un mandat représentatif dans leur entreprise (source Dares analyse 2019-002) et 5,5 % du total des réclamations faites auprès du défenseur des Droits sont en rapport avec l’activité syndicale du salarié, représentant le 6ème motif de discrimination sur les 24 motifs fixés dans le Code du Travail (En savoir plus : Dares n° 145 (2016-1) Travail Emploi, la discrimination syndicale en France).

Pas un jour sans que le sujet ne soit abordé directement ou indirectement dans l’actualité.

Néanmoins, si les Juges exercent un rempart certain à l’encontre des discriminations, obtenir gain de cause est une véritable épreuve de force, tant les salariés sont confrontés à la fois à la longueur de la procédure, et à la difficulté d’établir leur discrimination.

C’est la raison pour laquelle les décisions qui reconnaissent la discrimination du salarié sont suffisamment rares pour être relevées.

En 2019, la Cour de Cassation a été amenée à reconnaître des discriminations aussi variées que la discrimination syndicale (1), celle lié au sexe du salarié (2), à son âge (3), à son origine (4) et à sa santé.

1. La discrimination syndicale.

Cass. Chambre Sociale 16/01/2019 n° 17-24082 et 30 janvier 2019 n° 17-22699

Peut-être parce que les salariés exerçant un mandat syndical sont plus informés de leurs droits, les décisions rendues en matière de discriminations syndicales sont les plus nombreuses.

Le salarié victime de discrimination syndicale a, de longue date, droit à une réparation intégrale, ce que rappelle la Cour de Cassation en sanctionnant la Cour d’Appel qui a reconnu l’existence d’une discrimination en raison des activités syndicales du salarié sans lui accorder les droits qui en découlent, à savoir notamment la reconstitution de sa carrière et le paiement de la rémunération correspondante :

« Vu les articles L. 1132-1 et L. 1134-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause ;
Attendu qu’après avoir retenu l’existence d’une discrimination en raison des activités syndicales du salarié, la cour d’appel l’a débouté de ses demandes tendant à la reconstitution de sa carrière et au paiement du rappel de rémunération correspondant ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le salarié privé d’une possibilité de promotion par suite d’une discrimination peut prétendre, en réparation du préjudice qui en est résulté dans le déroulement de sa carrière, à un reclassement dans le coefficient de rémunération qu’il aurait atteint en l’absence de discrimination et qu’il appartient au juge de rechercher à quel coefficient de rémunération le salarié serait parvenu sans la discrimination constatée, la cour d’appel a violé les textes susvisés » ;

Le Juge doit prendre en compte tous les éléments présentés par le salarié discriminé (Cass. Soc. 30 janvier 2019 n° 17-22699) comme le rappelle cet arrêt :

La demande d’un ingénieur Analyste représentant syndical qui invoquait une discrimination syndicale /mise à l’écart est rejetée par la Cour d’Appel au motif que cette période d’inactivité du salarié reposerait sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination syndicale, car cette inactivité résulterait « du refus (du salarié) d’accepter sans motif légitime les missions par l’employeur (alors même que l’employeur justifierait d’une) « perte… d’un client représentant 35 % de son activité ».

La Cour de Cassation n’est pas de cet avis et constate que la Cour d’Appel n’a pas suffisamment motivé sa décision et tenu compte de l’ensemble des éléments présentés par le salarié et en conclut :
« Qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du salarié qui faisait valoir, sur la base d’une analyse des comptes annuels de 2011 réalisés par un Expert-Comptable, que sa rémunération, comme celles des autres représentant du personnel, était inférieure à celle des autres salariés placés dans une situation identique ou similaire ».

Il en est de même pour ce consultant disposant d’un mandat de Conseiller Prud’homal qui s’estimait victime de discrimination syndicale (Cass. Soc. 13 juin 2019 n° 17-31925), et obtient gain de cause devant la Cour de Cassation qui rappelle aussi que la discrimination syndicale est indépendante de toute comparaison avec la situation d’autres salariés :

« Vu les articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail dans leur rédaction applicable en la cause ;
Attendu que pour rejeter la demande formée au titre de la discrimination, l’arrêt retient par motifs adoptés que le salarié a reçu une formation au logiciel Eurecia, qu’il ne produit aucun élément justifiant de la présence en clientèle des autres consultants et d’une évolution de carrière de nature à le discriminer et que son salaire est supérieur de 82 % au salaire de sa classification, que l’examen des éléments avancés par l’intéressé ne permet pas de retenir l’existence d’éléments de fait laissant supposer une discrimination directe ou indirecte.

Qu’en statuant ainsi, alors d’une part qu’une mesure peut être qualifiée de discriminatoire indépendamment de toute comparaison avec la situation d’autres salariés, d’autre part que le salarié soutenait avoir été privé de ses missions et responsabilités de formation et n’avait pas bénéficié d’entretiens annuels à raison de l’exercice de son mandat prud’homal, tous éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ».

2. La discrimination liée au sexe.

Cass. Soc. 17 avril 2019 n° 17-21175 et 17-21289

La discrimination liée au sexe est difficile à établir judiciairement, les quelques arrêts rendus en la matière méritent toute notre attention :

Une salariée licenciée pour motif économique invoque devant les Juges son licenciement discriminatoire en raison de son sexe et obtient gain de cause auprès de la Cour d’Appel.

L’employeur forme un pourvoi devant la Cour de Cassation en reprochant à la cour d’appel d’avoir reconnu l’absence de discrimination au regard de l’indice, niveau de rémunération et proposition de réembauche faite à la salariée et de l’avoir condamné sans rechercher si l’absence de discrimination sur l’ensemble de ces critères n’excluait pas également toute absence de discrimination dans l’ordre de licenciement ayant abouti au licenciement de cette salariée et non de ses collègues.

Cette argumentation fragile n’a pas manqué d’être rejetée par la Cour de Cassation qui a bien au contraire constaté que (Cass. Soc. 17 avril 2019 n° 17-21175 et 17-21289) :

« Mais attendu qu’ayant constaté qu’il était établi par la salariée que l’application des critères d’ordre des licenciements lui permettait d’obtenir dix-sept points, qu’elle était la plus ancienne dans l’entreprise après un autre salarié, qu’elle avait été désignée par le groupe Quantum Corporation comme la meilleure « channel manager », c’est-à-dire la meilleure ingénieure commerciale partenaire du groupe au cours du dernier trimestre de l’année 2013 ;
que la lecture des contrats de travail des autres salariés concernés par la procédure de licenciement démontre que la plupart n’avait pas ou moins d’enfants que la salariée, moins d’ancienneté, une polyvalence plus modeste et une faculté d’adaptation moindre et qu’elle ne pouvait être celle obtenant le nombre de points le plus faible pour établir l’ordre des licenciements, qu’elle a été la seule femme à être licenciée, l’ensemble de ses homologues masculins ayant été épargnés par cette procédure.

la Cour d’appel a pu en déduire que ces faits laissaient supposer l’existence d’un licenciement discriminatoire en raison du sexe et, ... a estimé que l’employeur n’apportait pas la preuve que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que le moyen n’est pas fondé ».

3. La discrimination liée à l’âge.

Cass. Soc. 19 juin 2019 n° 17-31426

Une salariée statut employée en 1977 ayant évolué aux fonctions de Directrice d’Agence en 2007 est licenciée en 2010, ce qu’elle conteste en évoquant entre autres une discrimination en raison de son âge (Cass. Soc. 19 juin 2019 n° 17-31426).

Sa demande est rejetée par la Cour d’Appel qui s’appuie sur un tableau communiqué par l’employeur établissant que le salaire de l’intéressé n’était pas inférieur à celui de ses collègues « … (que le) portefeuille de clients (géré par la salariée) n’était pas particulièrement élevé (par rapport à ceux de ses collègues)… que la comparaison à l’échelle nationale… ne révèle également aucune différence de traitement et que son salaire était supérieur à son niveau de classification ».

La Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel pour omission de statuer sur la discrimination invoquée en raison de l’âge par la salariée, alors qu’il appartient aux Juges de tenir compte de l’ensemble des arguments et pièces invoqués par les parties :

« Qu’en statuant ainsi, sans répondre aux écritures reprises oralement à l’audience de la salariée qui invoquait une discrimination en raison de l’âge, en ce que trois autres salariés de l’entreprise, nommément visés, exerçant les mêmes fonctions que l’intéressée, dans le même secteur géographique, percevaient un salaire presque identique au sien, alors qu’ils étaient âgés de 20 et 35 ans de moins qu’elle, la Cour d’Appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ».

4. La discrimination liée à l’origine.

Cass. Soc. 15 mai 2019 n° 17-2224

La reconnaissance d’une discrimination liée à l’origine est une des plus difficile à obtenir et rares sont les arrêts de cassation en la matière.

Celui-ci a de particulier de ne laisser passer aucune tentative de banalisation d’une remarque à connotation discriminatoire.

Une salariée juriste consultante conteste son licenciement pour faute grave en invoquant une discrimination liée à son origine. La salariée en est déboutée au motif que : « Si la référence à la culture de la salariée avait pu être mal interprétée par cette dernière, il ne ressortait pas du compte rendu de l’entretien préalable que ces propos auraient été tenus avec une connotation raciste et en raison de ses origines magrébines, et ce d’autant plus que l’employeur faisait référence dans la même phrase à la famille de la salariée ».

Cette motivation inconciliable avec le droit de la discrimination est très logiquement cassée par la Cour de Cassation au motif :

« Qu’en statuant ainsi, alors que le supérieur hiérarchique de la salariée avait, lors de l’entretien préalable, indiqué qu’il se demandait « si culturellement dans la famille de la salariée, la violence n’était pas banale », ce dont elle aurait du déduire que la salariée présentait des éléments de fait laissant supposer une discrimination en raison de l’origine, la Cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ces constatations, a violé les textes susvisés ».

5. La discrimination liée à l’état de santé.

Cass. Soc. 17 avril 2019 n° 18-10035

Un salarié Ingénieur pré-ventes, victime d’un infarctus en 2010, est licencié 2 ans plus tard pour insuffisance professionnelle.

La Cour d’Appel retient l’insuffisance professionnelle du salarié contestée par ce dernier à l’appui d’attestations de salariés du service ressources humaines révélant des manifestations d’insuffisances quelques mois avant le licenciement et confirmées par l’évaluation annuelle de 2012 dans laquelle le salarié faisait l’objet de nombreuses critiques, outre un « recadrage » en mars 2012, ensembles de griefs sur lesquels le salarié ne s’expliquait pas selon les juges du fond.

La Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel qui n’a pas respecté la règle de droit de la preuve en matière de discrimination qui consiste pour le salarié à présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison, en l’espèce, de son état de santé, et à l’employeur d’y répondre en prouvant que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Or, tant les collègues que les clients témoignaient depuis l’infarctus du salarié qu’il était « vite fatigué, confus, avait du mal à s’exprimer, était peu efficace sur les travaux non routiniers ».

Les Juges constatent également que le salarié avait « fait l’objet de 8 visites de contrôles de la part du Médecin du Travail… concluant à son aptitude à deux reprises avec réserves, ce dont (la Cour) aurait dû déduire que le salarié présentait des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de son état de santé ».

En l’absence d’éléments objectifs étrangers à toute discrimination justifiée par l’employeur, l’arrêt d’appel était voué à cassation.

La route est longue pour les discriminés en droit du travail, mais elle peut, après beaucoup d’attente et de pugnacité, aboutir à une réparation comme l’illustrent ces quelques décisions rendues en 2019.

Judith Bouhana, Avocat, Spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com
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