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La notion d’« accident aérien » : bientôt une définition européenne ? Par Anastasia Etman, Avocat.
Parution : lundi 7 octobre 2019
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Y a-t-il « accident » fondant la responsabilité du transporteur aérien au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international conclue à Montréal le 28 mai 1999, signée par la Communauté européenne le 9 décembre 1999 sur le fondement de l’article 300, paragraphe 2, CE, approuvée au nom de celle-ci par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001 (convention de Montréal) lorsqu’un gobelet de café chaud, posé sur la tablette d’un siège d’un avion en vol, glisse pour une raison inconnue, se renverse et cause des brûlures à un passager ?

La question préjudicielle a été posée à la CJUE, le 14 août 2018, par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême autrichienne) concernant l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, de la Convention de Montréal, disposition qui détermine les conditions dans lesquelles un passager ayant subi une lésion corporelle au cours d’un vol peut engager la responsabilité du transporteur aérien ayant opéré ce vol (affaire C‑532/18 : en cours).

La question préjudicielle était libellée ainsi :

Y a-t-il « accident » fondant la responsabilité du transporteur aérien au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international conclue à Montréal le 28 mai 1999, signée par la Communauté européenne le 9 décembre 1999 sur le fondement de l’article 300, paragraphe 2, CE, approuvée au nom de celle-ci par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001 (convention de Montréal) lorsqu’un gobelet de café chaud, posé sur la tablette d’un siège d’un avion en vol, glisse pour une raison inconnue, se renverse et cause des brûlures à un passager ?

Cette question préjudicielle s’inscrit donc dans le cadre d’un litige opposant une passagère mineure, représentée par son père, au responsable de la liquidation d’une compagnie aérienne.

Pour rappel, la Convention de Montréal consacre une véritable responsabilité objective du transporteur aérien de passagers.

Son article 17, paragraphe 1, énonce que le « transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l’accident qui a causé la mort ou la lésion s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement ».

Le système de « Montréal » supprime quasiment toute possibilité d’exonération pour le préjudice n’excédant pas 100.000 DTS. Ni la preuve des mesures prises pour éviter le dommage ni la force majeure ne libère le transporteur de sa responsabilité.

Seule la preuve de la “négligence”, d’un “acte” ou d’une “omission” de la personne qui demande réparation, ou de celle dont elle tient ses droits à l’origine du dommage, permet au transporteur de s’exonérer “en tout ou partie de sa responsabilité” (art. 20).

La faute de la victime est par conséquent le seul et unique cas d’exonération en transport de passagers. Il permet au transporteur de se dégager totalement ou partiellement de sa responsabilité.

Dès lors, la notion d’accident aérien revêt une importance considérable comme étant l’unique (ou presque) défense du transporteur lui permettant de contester la survenance même du sinistre aérien et, partant, de repousser immédiatement la réclamation de son passager.

L’accident aérien est un événement extérieur au passager qui s’interprète restrictivement pour ne pas rendre le transporteur aérien responsable au titre des réclamations artificielles des passagers et en dehors du périmètre de sa responsabilité.

La CJUE devra donc prochainement se prononcer sur la définition d’accident au sens de l’article 17 de la CM, question non réglée à ce jour ni par la Convention de Montréal, ni par la Convention de Varsovie.

La Cour de cassation a déjà eu plusieurs occasions de préciser le contenu de la notion d’accident.

Ainsi, la Haute juridiction a débouté un passager qui se plaignait d’une douleur aux oreilles lors de la descente aux motifs que le passager « n’invoquait pas d’incident de vol, mais seulement des douleurs ressenties lors des phases de descente et d’atterrissage ». Pour les juges suprêmes, les dommages corporels dont le passager demande réparation doivent être imputables à « un accident survenu à bord de l’aéronef ou pendant les opérations d’embarquement et de débarquement », de sorte que « la simple concomitance entre le vol et l’apparition de lésions ne suffisant pas à faire jouer la présomption de responsabilité édictée par l’article 17 de la Convention de Montréal » (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 11-21.394). Dès lors, une douleur ressentie lors de la descente n’est pas un « accident » aérien engageant la responsabilité du transporteur.

De la même manière qu’une crise d’asthme au cours d’un transport n’est pas un événement extérieure à la personne (Cass. 1re civ., 29 nov. 1989, n° 88-13.772) : « qu’il ne résultait d’aucun des éléments produits que l’embolie pulmonaire, survenue plusieurs jours après la fin du voyage, puisse être imputée à un événement extérieur à la personne de Mme Y... qui se serait produit à bord de l’avion ou au cours des opérations d’embarquement ou de débarquement qui seul, serait de nature à faire jouer la présomption de responsabilité édictée par l’article 17 de la Convention de Varsovie ; que dès lors, elle a pu en déduire, sans encourir les griefs du moyen, que la responsabilité du transporteur aérien ne pouvait être retenue ».

La surdité, apparue après le vol n’est pas en lien causal avec l’atterrissage du seul fait de la concomitance entre la lésion et le vol (Civ. I, 6 déc. 1988) : "Attendu que pour accueillir dans son principe la demande de M. X..., la cour d’appel a énoncé que la responsabilité de la société TAT se trouve engagée par la simple concomitance entre le vol et l’apparition de la lésion subie par M. X..., lequel n’a pas d’autre preuve à rapporter que celle d’avoir été victime d’un dommage au cours du transport ; qu’elle ajoute que l’état pathologique de M. X... ne permet pas d’écarter cette responsabilité dès lors qu’il ne peut lui être imputé à faute ; qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé qui lui faisait obligation de rechercher si le dommage avait eu pour cause un événement extérieur à la personne de la victime (...)"

Dans la même veine, l’arrêt cardiaque d’un passager à l’arrivée d’un vol international suivi d’un coma subséquent et le décès. Le fait que le malaise est survenu au moment où le passager empruntait le tapis roulant n’est pas imputable à un événement accidentel extérieur à la victime, car il s’agit d’une simple concomitance entre le vol et le malaise (CA Paris, 5 mars 1999, n° 1997/10677).

La notion d’accident renvoie donc au principe juridique plus large, à savoir le lien de causalité.

Ni la Convention de Varsovie ni celle de Montréal n’exigent la preuve d’un lien de causalité.

La jurisprudence française considère, de manière constante, que pour qu’il y ait un accident au sens de la Convention de Montréal, il faut que ce soit produit un événement soudain ou inhabituel extérieur à la personne du passager.

Autrement dit, l’accident doit se produire dans le périmètre de la responsabilité du transporteur, c’est-à-dire, lors des phases où le transporteur conserve un large pouvoir de contrôle des événements.

Sur ce point, un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse est particulièrement « parlant ».

« L’article 17 de la convention de Montréal applicable en l’espèce dispose que le transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l’accident qui a causé la mort ou la lésion s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement. Le fait générateur doit être un accident. L’accident est une atteinte corporelle provoquée exclusivement par un événement extérieur, imprévu et soudain dont l’assuré est involontairement victime.

Il n’y a pas d’accident lorsque la lésion est uniquement liée à un état pathologique préexistant et qu’elle résulte des propres réactions de la victime au fonctionnement normal et prévisible de l’avion » (CA Toulouse, 6 juillet 2015).

Reste à savoir si la CJUE va emprunter la logique jurisprudentielle adoptée par les tribunaux français.

A ce stade de ce contentieux européen, les conclusions de l’Avocat général, rendues disponibles le 26 septembre 2019, semblent s’aligner sur la jurisprudence française en la matière.

« L’article 17, paragraphe 1, de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001, doit être interprété en ce sens que constitue un « accident » susceptible de fonder la responsabilité du transporteur aérien, en vertu de cette disposition, tout événement ayant causé la mort ou la lésion corporelle d’un passager et s’étant produit à bord de l’aéronef, ou bien au cours des opérations d’embarquement ou de débarquement, qui revêt un caractère soudain ou inhabituel et a une origine extérieure à la personne du passager concerné, sans qu’il soit nécessaire de rechercher si ledit événement est dû à un risque inhérent au transport aérien ou est directement lié à ce transport ».

Affaire à suivre.

Anastasia Etman Avocat au Barreau de Paris ASKOLDS -AARPI www.askolds.com