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Indemnisation des victimes : les professionnels du droit disposent d’un monopole d’exercice.
Parution : mardi 8 octobre 2019
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Internet offre un terrain de jeu à de nombreuses sociétés ou associations se disant spécialisées dans l’indemnisation des victimes d’accidents de la route, mais qu’en est-il réellement ?
Est-ce que ces sociétés d’experts d’assurés qui proposent aux victimes d’accident de la route de les aider dans l’évaluation et la négociation de leurs préjudices exercent en toute légalité ou en toute illégalité ?

Une société assurait régulièrement la défense d’assurés, victimes d’accidents de la circulation, sous différentes publicités commerciales, se disant spécialisée dans l’indemnisation des victimes de la route.

La Cour d’appel de Lyon a jugé que cette activité constituait une fourniture illicite de prestations juridiques.

L’article L. 211-10 du Code des assurancesdispose qu’à l’occasion de sa première correspondance avec la victime, l’assureur est tenu d’informer la victime qu’elle peut obtenir de sa part, la copie du procès-verbal d’enquête de police ou de gendarmerie et lui rappeler qu’elle a la possibilité de se faire assister d’un avocat.

Le texte prévoit bien l’assistance d’un avocat et en aucun cas celle d’un expert d’assuré commercial d’une société d’exercice de recours ou autres…

La Cour de cassation s’était déjà prononcée dans un arrêt de 2017 - Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, n° 15-26.353 et avait alors considéré la profession d’expert d’assurés comme illégale.

Dans le cas qui nous concerne, la société mécontente de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon, puisque l’empêchant en théorie et en pratique d’exercer son activité, a alors formé un pourvoi en cassation.
Dans le même temps, cette société d’assistance aux assurés victimes d’accidents, a introduit une question prioritaire de constitutionnalité dite "QPC" visant la non-conformité des articles L. 211-10 du Code des assurances et 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 à la Constitution vis à vis de la liberté d’entreprendre.

En clair, la société invoquait que cette restriction liée au monopole des avocats quant à la délivrance de prestations juridiques, dans ce cas particulier, dans le domaine de l’indemnisation des victimes, portait atteinte à leur liberté d’entreprendre.

La Cour de cassation dispose d’un premier filtre, pour éviter les recours dilatoires et autres quant aux questions prioritaires de constitutionalités.
C’est dans ces conditions que la QPC n’a pas été transmise puisque la question n’était pas nouvelle.
Par ailleurs, la Cour de cassation ne manque pas de rappeler que le monopole dont disposent les professionnels du droit en matière d’assistance à la victime d’un accident de la circulation au cours de la phase non contentieuse de la procédure constitue bel et bien une limitation à la liberté d’entreprendre, mais elle précise toutefois « qu’une telle limitation à la liberté d’entreprendre est justifiée par la nécessité d’assurer le respect des droits de la défense, garantis par l’article 16 de la Constitution, et n’est manifestement pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ».

Enfin, la Cour de cassation rajoute que l’exigence d’une qualification professionnelle posée par les textes en cause « ne porte, en elle-même, aucune atteinte au droit d’obtenir un emploi ».

La question posée via la QPC a alors été considérée comme non recevable puisqu’elle ne présentait pas de caractère sérieux.

Le respect des droits de la défense impose que seules les professions juridiques soient habilitées à assister la victime d’un accident de la circulation durant la phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire.

Dans le même esprit, il sera illusoire pour la victime d’utiliser les barèmes d’indemnisation [1] présents sur les sites de ces sociétés d’experts d’assurés.

J’avais déjà rédigé un article sur le "village de la justice" pour permettre aux victimes d’accidents de la route de bien choisir leur défenseur en réalisant quelques comparaisons entre les différents intervenant que nous vous invitons à relire attentivement si vous deviez être une victime accidentée.

Texte intégral
CIV. 1
Cour de cassation cf
[…]
Audience publique du 25 septembre 2019 NON-LIEU A RENVOI Mme Batut, président Arrêt no 869 FS-P+B+I Pourvoi no X 19-13.413
République française
Au nom du peuple français
La Cour de cassation, Première chambre civile, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité formulée par mémoire spécial reçu le 8 juillet 2019 et présenté par :
1o/ M. E D, domicilié […], 69140 Rillieux-la-Pape,
2o/ la société Centre de défense des assurés, dont le siège est […], […],
à l’occasion du pourvoi formé par eux contre l’arrêt rendu le 8 janvier 2019 par la cour d’appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige les opposant à l’ordre des avocats au barreau de Lyon, dont le siège est […], […],
défendeur à la cassation  ;
Vu la communication faite au procureur général  ;
La Cour, composée conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 24 septembre 2019, où étaient présents : Mme Batut, président, Mme Canas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, Mmes F-G, Teiller, MM. X, Mornet, Mme Y, conseillers, M. Z, Mmes A, […], B, M. C, Mmes Champ, Comte, Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Legohérel, avocat général référendaire, Mme Randouin, greffier de chambre  ;
Sur le rapport de Mme Canas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. D et de la société Centre de défense des assurés, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l’ordre des avocats au barreau de Lyon, l’avis écrit de M. Sudre, avocat général, l’avis oral de Mme Legohérel, avocat général référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi  ;
Attendu qu’à l’occasion du pourvoi qu’ils ont formé contre l’arrêt rendu le 8 janvier 2019 par la cour d’appel de Grenoble, la société Centre de défense des assurés et son gérant, M. D, demandent, par mémoire distinct et motivé, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution des dispositions combinées des articles L. 211-10 du code des assurances et 54 de la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, au regard de la liberté d’entreprendre, garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et du droit d’obtenir un emploi, protégé par le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946  ;
Attendu que les dispositions législatives critiquées sont applicables au litige  ;
Qu’elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel  ;
Mais attendu, d’une part, que la question, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle  ;
Et attendu, d’autre part, que, si, par application combinée des textes contestés, seul un professionnel du droit ou relevant d’une profession assimilée est autorisé à exercer, à titre habituel et rémunéré, une activité d’assistance à la victime d’un accident de la circulation pendant la phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire, dès lors que cette activité comporte des prestations de conseil en matière juridique (1re Civ., 25 janvier 2017, pourvoi no 15-26.353, Bull. 2017, I, no 19), une telle limitation à la liberté d’entreprendre est justifiée par la nécessité d’assurer le respect des droits de la défense, garantis par l’article 16 de la Constitution, et n’est manifestement pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi  ; que cette exigence d’une qualification professionnelle spécifique ne porte, en elle-même, aucune atteinte au droit d’obtenir un emploi  ; que la question posée ne présente donc pas un caractère sérieux  ;
D’où il suit qu’il n’y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel  ;

Par ces motifs :
Dit n’y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité  ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille dix-neuf.

Michel Benezra, avocat associé BENEZRA AVOCATS Droit des victimes de la route & réparation des préjudices corporels https://www.benezra-victimesdelaroute.fr

[1Voir à ce sujet l’article ici.