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Le Conseil d’Etat prend tout son temps ! Par Nicolas Pillet, Avocat.
Parution : mardi 29 octobre 2019
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« Time is on my side, yes it is. » Tel est certainement le titre des Rolling Stones qui résonnait au Palais Royal lorsque la cinquième et la sixième chambre, réunies pour l’occasion, ont jugé que le délai raisonnable d’un an pour contester une décision n’indiquant pas régulièrement les délais et voies de recours n’était pas applicable au contentieux de la responsabilité.

Selon les Hauts juges mélomanes, le délai d’un an, posé par la fameuse décision Czabaj (CE, Ass.,13 juillet 2016, req. n° 387763. [1]) « ne trouve pas à s’appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique qui, s’ils doivent être précédés d’une réclamation auprès de l’administration, ne tendent pas à l’annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés » (CE, 17 juin 2019, Centre Hospitalier de Vichy, req. n° 413097. [2]).

Dans cette hypothèse, et selon le Conseil d’État, la sécurité juridique :

« est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l’article L. 1142-28 du code de la santé publique ».

C’est donc, selon les cas, soit dans le délai de quatre ans, soit dans le délai de dix ans, que le tribunal administratif peut être saisi.

Toutefois, attention :

D’une part, cette nouvelle précision jurisprudentielle ne permet pas à une personne, qui n’a pas contesté « à temps » une décision administrative dont l’objet est purement pécuniaire (ex : un titre exécutoire), de se « rattraper » en adressant une réclamation préalable à l’administration puis, en saisissant le tribunal du rejet de cette réclamation (CE, 9 mars 2018, communauté de communes du pays roussillonnais, req. n° 405355. [3]).

D’autre part, la décision du 17 juin 2019 ne semble, hélas, pas faire gagner de temps aux agents publics lorsque l’administration qu’ils ont saisie d’une demande indemnitaire préalable, n’y accuse pas réception et refuse implicitement d’y faire droit.

Dans cette hypothèse :

« le délai de deux mois pour se pourvoir contre une telle décision implicite court dès sa naissance à l’encontre d’un agent public, alors même que l’administration n’a pas accusé réception de la demande de cet agent, les dispositions de l’article L. 112-3 du code des relations entre le public et l’administration n’étant pas applicables aux agents publics » (CE, 3 décembre 2018, req. n° 417292. [4] ; CAA Douai, 26 septembre 2019, req. n° 18DA02555. [5]).

Il faut donc garder à l’esprit qu’en cas de défense d’un agent public et lorsque celui forme une demande indemnitaire préalable auprès de l’administration, qui n’y répond pas, le délai pour saisir le tribunal est de deux mois à compter de la date à laquelle la décision implicite de rejet est née.

Le temps est donc bien du côté du Conseil d’Etat [6] et cela est d’ailleurs si vrai, que cet article n’a pas été publié en même temps que la publication des arrêts précités !

Nicolas PILLET, avocat inscrit au barreau de Paris