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Conjoint collaborateur, attention aux conséquences en cas de divorce. Par Brigitte Bogucki, Avocat.
Parution : vendredi 29 novembre 2019
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Le conjoint collaborateur qui ne cotise pas pour sa retraite peut se retrouver, en cas de divorce dans une situation bien difficile car il peut avoir beaucoup de mal à obtenir compensation tant de sa perte de revenus de retraite que des années de travail bénévole.

Lorsqu’un époux est travailleur indépendant, artisan, commerçant ou gérant d’une TPE, il est très courant que le conjoint vienne bénévolement travailler avec lui pour permettre le développement de l’entreprise dans l’intérêt de la famille.

Bien que depuis 2005 existe un statut du conjoint collaborateur qui permet notamment une cotisation retraite, nombre de conjoints collaborateurs ne cotisent pas, préférant faire d’autres choix financiers pour la famille.

Sans compter qu’en outre, et malgré l’obligation légale de se déclarer comme conjoint collaborateur, beaucoup de conjoints qui collaborent quotidiennement à l’activité de leur époux.se ne sont pas même déclarés, inconscients d’ailleurs du fait qu’il s’agit aux yeux de la Loi (et donc de l’URSSAF) d’un travail dissimulé.

La définition du conjoint collaborateur est assez simple, c’est la participation active et régulière à l’activité professionnelle du conjoint (pacs ou mariage) sans revenu et sans statut (ni salarié, ni associé…). C’est par exemple, l’épouse du boucher qui tient la caisse ou le mari de l’avocate qui fait le secrétariat mais sans être rémunérés…
Cela ne concerne cependant que les entreprises artisanales, commerciales ou libérales, les EURL et les SARL de moins de 20 salariés.

La situation des conjoints collaborateurs s’est un peu améliorée mais seulement pour ceux qui voient leur statut de conjoint collaborateur déclaré (auprès du centre de formalités des entreprises ou de la chambre de commerce ou des métiers).

Ce statut quoique précaire permet au conjoint collaborateur de bénéficier d’une protection sociale et de pouvoir cotiser pour sa retraite.

Malheureusement, pour des raisons d’économies, le conjoint collaborateur fait souvent le choix de ne pas cotiser pour sa retraite, sans bien en mesurer les conséquences à long terme, notamment en cas de divorce.

La première question que se pose la plupart du temps le conjoint collaborateur qui divorce est d’obtenir la juste contrepartie financière du travail effectué gratuitement, parfois pendant des années et qui a souvent permis le bon développement de l’entreprise.

La Loi ne prévoit rien de spécifique à cette situation de sorte qu’en cas de divorce, les demandes devront être formulées dans le cadre soit de la prestation compensatoire, ce qui est le plus courant, soit pour enrichissement sans cause ce qui peut s’avérer très difficile voire impossible dans un cadre de régime de communauté.

En effet, la Cour de Cassation a clairement indiqué dans un arrêt de la 1ère chambre civile du 17 avril 2019 (FS-P+B n°18-15.486) que dans le cadre d’un régime communautaire, les gains et salaires sont des biens communs. En conséquence, l’époux commun en biens, conjoint collaborateur (déclaré ou non), « ne subit aucun appauvrissement personnel lui permettant d’agir au titre de l’enrichissement sans cause ».

Le seul bémol qui peut être apporté à cette jurisprudence serait bien entendu si le travail du conjoint collaborateur avait augmenté la valeur d’un bien personnel de l’autre époux ou enrichi une personne tierce (une SARL par exemple).

La voie de l’enrichissement sans cause est donc limitée aux époux qui ne seraient pas en régime de communauté ou dont le travail n’a pas bénéficié à la communauté.

Se pose également le problème des cotisations de retraite que nombre de conjoints collaborateurs décident de ne pas régler.

En effet, que ce soit pour éviter des frais à l’entreprise, pour avoir des disponibilités financières ou pour permettre d’acquérir des biens, il est assez fréquent que même le conjoint collaborateur ayant bien déclaré son statut choisisse de ne pas user de son droit à cotiser pour sa retraite. Lorsque la collaboration dure des années, voire des dizaines d’années, ce qui est courant, la situation du conjoint qui divorce tardivement se trouve particulièrement obérée au moment de la retraite.

Là encore, il n’existe rien de spécifique qui soit prévu par les textes d’autant que c’est légalement le libre choix du conjoint collaborateur de cotiser ou non, il ne saurait donc en faire reproche à son conjoint, ni demander un quelconque remboursement. Il peut tout au plus en arguer dans le cadre de sa demande de prestation compensatoire.

Mais pour que ces problématiques soient posées au titre de la prestation compensatoire, encore faut-il que les conditions légales des articles 270 et suivants du code civil soient remplies.

Le mot compensatoire est bien souvent mal compris du justiciable qui pense que cette prestation a pour objet de compenser les pertes subies. Or, il n’en est rien. Elle doit compenser dans la mesure du possible la disparité entre les époux qui sera créée par le divorce.

Dans certains cas, c’est tout simplement impossible. Ainsi, prenons à titre d’exemple le cas de Madame Duchmol. Elle a été durant toute la durée de son mariage, soit plus de 35 ans, la comptable et la secrétaire de son plombier de mari. Elle a bien déclaré son statut dès que cela a été possible et est donc sans conteste « conjoint collaborateur », cependant n’a jamais cotisé pour sa retraite. Ils s’étaient mariés sans contrat.
Arrivé à la retraite, Monsieur Duchmol perçoit 2000€/mois de retraite et Madame Duchmol seulement 700€/mois. Ils vivent dans leur maison et ont un peu d’économie suite à la vente de l’entreprise de plomberie.
Peu après avoir pris leur retraite, ils décident de divorcer.
Madame Duchmol trouverait normal de recevoir à titre compensatoire un capital lui permettant une retraite équivalente à celle de son mari.
Malheureusement les parents de Madame Duchmol sont décédés et lui ont laissé une maison qui vaut autant, voire plus que le domicile familial.
De son côté Monsieur Duchmol n’a aucun bien personnel et n’est pas en très bonne santé.
Il est fort probable qu’un juge considère que Madame Duchmol ne remplit pas les conditions d’attribution d’une prestation compensatoire… Elle n’aura donc droit à rien, malgré sa retraite minimaliste et ses années de travail gratuit …

Dans d’autres cas, la prestation compensatoire est une bonne solution mais les montants obtenus sont faibles au regard du travail effectué.

À titre d’exemple, intéressons-nous à la situation de Madame Trucmuche : elle a passé 20 ans à être l’assistante dentaire de son dentiste de mari.
Elle n’a pas cotisé à sa retraite et d’après ses évaluations, elle va percevoir le minimum alors que son mari reçoit 4000€ par mois de retraite.
Les époux sont mariés sans contrat.
Madame Trucmuche a 55 ans et son mari 65 ans.
Il vient de vendre son cabinet dentaire et l’argent a servi à rembourser les dettes du couple et le crédit de leur maison de campagne, qui vaut 300.000€. Ils n’ont pas d’autres biens ni économies et aucun d’eux n’a de patrimoine personnel.
Madame Trucmuche va bien entendu pouvoir obtenir une prestation compensatoire car son revenu est bien inférieur à celui de son mari et ils ont exactement le même patrimoine puisqu’ils n’ont l’un comme l’autre que leur bien commun. Mais le montant qu’elle recevra sera et de très loin, inférieur à la somme qu’il lui faudrait pour percevoir une retraite décente car Madame Trucmuche n’a pas de légitimité légale à demander une prestation sous forme de rente viagère et Monsieur Trucmuche n’a en tout que ses revenus mensuels et sa moitié du patrimoine commun… Cela ne suffira absolument pas à ce qu’elle obtienne suffisamment pour compenser la perte de retraite...

Et cette problématique risque encore de s’aggraver avec le projet de réforme des retraites qui entend supprimer les pensions de réversion.

En conclusion, si vous êtes conjoint collaborateur, pensez à cotiser pour votre retraite.

Me Brigitte BOGUCKI, spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine, Professionnel collaboratif Avocat à Paris et Lille http://www.adr-avocats.com