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Fin du congé parental : attention à la discrimination sexiste ! Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : jeudi 12 décembre 2019
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Dans un arrêt du 14 novembre 2019 (Cass. soc. 14-11-2019, n° 18-15.682), la Cour de cassation juge que la violation l’obligation de réemploi pesant sur l’employeur, à l’issue d’un congé parental d’éducation, peut caractériser une discrimination sexiste.

1/ Les obligations de l’employeur à l’issue du congé parental d’éducation.

A l’issue du congé parental d’éducation, le salarié (souvent, dans les faits, la salariée) doit retrouver son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente (C. trav. art. L. 1225-55).

La notion de poste similaire dépend de chaque cas particulier. Il s’agit d’un emploi supposant les mêmes attributions, un lieu de travail inchangé, la même durée du travail et une rémunération identique (majorée, le cas échéant, des augmentations collectives intervenues dans l’entreprise en l’absence du salarié).

A l’inverse, ne constitue pas un emploi similaire celui qui conduit à une modification du contrat de travail (ex. poste de garde-malade proposé à une lingère : Cass. soc. 26-3-2002, n°98-45.176).

La jurisprudence précise que la réintégration du salarié doit se faire en priorité dans le précédent emploi. Ainsi, si ce dernier est disponible, le salarié doit y être réintégré et l’employeur ne peut actionner la clause de mobilité prévue au contrat de travail (Cass. soc. 19-06-2013, n° 12-12.758).

Par ailleurs, le salarié reprenant son activité initiale bénéficie :
- De l’accès à une action de formation professionnelle, notamment en cas de changement de techniques ou de méthodes de travail (C. trav. art. L. 1225-59, al. 1er). Cette action de formation doit être adaptée à l’emploi dans lequel le salarié doit être réintégré (Cass. soc. 11-03-2009, n° 07-41821).
- Du droit à l’entretien professionnel visé à l’article L. 6315-1 du Code du travail, « consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi. »
- De la possibilité de réaliser un bilan de compétences (C. trav. art. L. 1225-58).

2/ Les sanctions pesant sur l’employeur fautif.

Plusieurs années peuvent s’écouler entre le début du congé parental d’éducation et le retour du salarié dans l’entreprise.

Ainsi, il n’est pas toujours aisé, pour l’employeur de restaurer le salarié dans son emploi ou même dans un emploi similaire. Bien entendu, cela est d’autant plus vrai dans les TPE et les PME.

Pourtant, la Cour de cassation considère que le licenciement du salarié ayant refusé un poste modifié est sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 15-01-2014, n° 12-22.751).

A titre d’illustration, est abusif le licenciement d’une salariée dès lors que l’employeur avait engagé, postérieurement, deux vendeuses à temps partiel et que son licenciement n’avait d’autre objet que de réduire l’effectif du personnel (Cass. soc. 29-03-2000, n° 98-42.013).

Dans une telle hypothèse de modification du contrat de travail, le salarié peut prendre acte de la rupture du contrat de travail (Cass. soc. 11-03-2015, n° 13-24.129) ou en solliciter la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur (Cass. soc. 02-04-2014, n° 12-27.849).

Dans ces trois cas de figure, le salarié est éligible à l’indemnité (légale ou conventionnelle) de licenciement, à une indemnité de préavis et à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse encadrée par le « barème Macron » (planchers et plafonds fixés dans un tableau : C. trav. art. L. 1235-3, al. 2).

Enfin, le salarié a droit à des dommages et intérêts en cas d’inobservation par l’employeur de son obligation de réemploi (C. trav. art. L. 1225-71).

L’employeur n’est cependant pas systématiquement fautif. La Cour de cassation a pu juger que repose sur un motif économique le licenciement d’une salariée à l’issue de son congé parental d’éducation, dans la mesure où son poste avait été supprimé dans le cadre d’une réorganisation, pendant son congé (Cass. soc. 13-07-1993, n° 91-41989).

3/ L’arrêt du 14 novembre 2019.

En l’espèce, il s’agissait d’une comptable ayant bénéficié d’un congé parental du 2 juillet 1998 au 23 avril 2001. A son retour dans l’entreprise, l’employeur l’avait affectée à des tâches d’administration et de secrétariat sans rapport avec ses fonctions antérieures.

Devant la Cour d’appel de Lyon, la salariée avait formé des demandes indemnitaires au titre d’une discrimination liée à son état de grossesse. Elle en avait été déboutée, les magistrats ayant jugé :
- Qu’il n’était pas discutable qu’à l’issue du congé parental d’éducation, la salariée n’avait pas retrouvé son précédent emploi ou un emploi similaire ;
- Mais qu’elle n’établissait pas pour autant la matérialité de faits précis et concordants de nature à supposer l’existence d’une discrimination à raison de l’état de grossesse.

L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon (du 24 février 2017) est censuré par la Cour de cassation, aux motifs suivants :

« En se déterminant ainsi, sans rechercher si, eu égard au nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes qui choisissent de bénéficier d’un congé parental, la décision de l’employeur en violation des dispositions susvisées de ne confier à la salariée, au retour de son congé parental, que des tâches d’administration et de secrétariat sans rapport avec ses fonctions antérieures de comptable ne constituait pas un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination indirecte en raison du sexe et si cette décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

La Cour de cassation fonde sa décision sur l’article L. 1132-1 du Code du travail, prohibant les mesures discriminatoires, et sur l’accord cadre européen sur le congé parental figurant à l’annexe de la directive 96/34/CE du 3 juin 1996, promouvant l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes.

4/ Les conséquences juridiques et pratiques.

La Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de Lyon de n’avoir pas vérifié l’existence d’une discrimination « indirecte ». La notion peut sembler subtile et l’employeur peut légitimement ne pas en saisir la portée en fonction des circonstances.

Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence mais susceptible d’entraîner, pour un motif discriminatoire, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, sauf à être objectivement justifié par un but légitime et des moyens nécessaires et appropriés (Loi 2008-496 du 27-5-2008, art. 1er).

Par exemple, sont constitutifs d’une discrimination indirecte :
- Un régime de départ à la retraite qui applique un âge différent selon les métiers dans l’entreprise (Cass. soc. 30-9-2013, n° 12-14.752) ;
- Un mode de rémunération qui, apparemment neutre, pénalise les salariés malades (Cass. soc. 9-1-2007, n° 05-43.962).

Sur le plan probatoire, le salarié invoquant une discrimination indirecte doit produire des éléments laissant supposer l’existence d’un tel manquement de l’employeur, à charge pour ce dernier d’établir que sa décision n’est pas discriminatoire.

Pour en revenir à l’arrêt du 14 novembre 2019, l’employeur pourrait, devant la Cour de renvoi, soutenir qu’il n’existait qu’un seul poste de comptable dans l’entreprise (ce qui était apparemment le cas) et qu’il ne pouvait valablement licencier le salarié en poste.

En conclusion, en cas de discrimination, la nullité de la mesure est encourue, ce qui signifie que la rupture du contrat de travail (licenciement, prise d’acte, résiliation judiciaire) produit les effets d’un licenciement nul et non d’un licenciement abusif.

Dans un tel cas, le « barème Macron » ne s’applique donc pas (C. trav. art. L. 1235-3-1).

Xavier Berjot Avocat Associé SANCY Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b
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