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L’immeuble vendu, motif de responsabilité pour l’agent immobilier. Par Pascal Bellanger, Avocat.
Parution : jeudi 9 janvier 2020
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Pour le professionnel de la vente qu’est l’agent immobilier sa responsabilité ne porte pas que sur la mise en relation entre vendeur et acquéreur mais aussi sur les qualités de la chose vendue.

Lorsqu’il signe un mandat de vente, l’agent immobilier doit vérifier, outre l’état de l’immeuble, les caractères intrinsèques de l’immeuble que sont l’habitabilité et la destination du bien (I), la contenance ou la surface (II) ou les servitudes et renseignements d’urbanisme (III) ou la valeur (IV) afin d’apporter une information vérifiée et suffisante à l’acquéreur.

I - La destination du bien.

Si la consultation du titre de propriété par l’agent immobilier est une obligation d’information incontournable, ce dernier ne doit pas se contenter de contrôler que son mandant est bien le propriétaire du bien à commercialiser.

Il doit également appréhender par la consultation du titre de propriété, la destination et la conformité du bien à l’usage auquel l’acheteur le destine.

C’est ainsi que la Cour de Cassation [1] a consacré ce principe dans le cadre d’une vente d’un bien frappé d’un arrêté préfectoral d’interdiction d’habiter. Le professionnel a été condamné tout comme les vendeurs et le notaire, la vente ayant fait l’objet d’une résolution.

La vérification de la conformité du bien à l’usage auquel l’acheteur le destine peut connaître des errements procéduraux.

C’est ainsi qu’une professeure de piano, assignée par ses copropriétaires en réparation de troubles de voisinage liés à son activité professionnelle, a mis en cause le négociateur immobilier qui ne l’avait pas mis en garde contre l’utilisation qu’elle pouvait faire de l’appartement et de sa mauvaise isolation phonique, alors qu’il connaissait sa profession et qu’il était par ailleurs syndic de la copropriété.

La Cour de Cassation par un arrêt du 3 mars 1993 [2] a rejeté cette prétention au motif que le compromis lui attribuait seulement la qualité d’enseignante et qu’il n’était pas démontré que le type d’enseignement prodigué avait été porté à la connaissance de l’agent immobilier.

A contrario, s’il avait été indiqué au compromis la mention « professeur de piano », il est à penser que la décision aurait pu être différente.

Il en ressort au niveau de l’adéquation entre l’immeuble et la nature de l’activité qu’entend exercer l’acheteur, que l’agent immobilier devra être vigilant et vérifier si la destination de l’immeuble convient bien à l’acquéreur à l’encontre duquel il engage sa responsabilité quasi délictuelle.

Outre la destination de l’immeuble, l’agent immobilier devra également vérifier l’habitabilité de l’immeuble.

Pour des lots de copropriétés, il est tout aussi incontournable pour l’agent immobilier que la consultation du titre, d’effectuer préalablement à la signature du mandat, une lecture du règlement de copropriété et de l’affectation des lots cédés.

Le changement de destination d’un lot de copropriété n’est pas un cas d’école et la vérification de la qualification d’appartement aux lots à vendre est bien mentionnée au règlement de propriété comme un local à usage d’habitation est une précaution à envisager [3].

II - Contenance et surface.

Cette question a fait l’objet d’un contentieux nourri, lequel s’est amenuisé pour les lots de copropriétés depuis la loi Carrez et est sans doute appelé à s’éteindre également pour les autres biens, par la production des diagnostics en annexe du compromis et de l’acte authentique.

Cependant récemment, la Cour d’Appel de Bastia, par un arrêt du 10 février 2016 [4] a écarté la responsabilité d’un agent immobilier dans un cas d’espèce, où l’appartement vendu dépendait de deux copropriétés ce qui entraînait un défaut de concordance entre la désignation du bien et celle du lot vendu dans l’état descriptif de division et le règlement de copropriété.

Si la Cour d’Appel a retenu la responsabilité du notaire pour un défaut de vérification entre le tableau des surfaces de l’immeuble et le mesurage effectué par l’expert loi carrez, elle exclut celle de l’agent immobilier au motif que celui-ci n’avait pas à solliciter un relevé cadastral de l’immeuble, objet de la transaction.

Cette décision bien que favorable à l’agent immobilier risque fort d’être un cas d’espèce isolé, motif pour lequel il semble préférable dès le moindre doute pour l’agent immobilier qu’il vérifie la contenance du bien par la production du cadastre, formalité qui ne semble pas insurmontable.

En revanche, l’agent immobilier n’a pas à vérifier le travail de l’expert ou du diagnostiqueur, ainsi qu’en a jugé la Cour de Cassation par un arrêt du 2 juin 2016 [5] laquelle a jugé que l’agent immobilier n’avait commis aucune faute lorsqu’il « n’avait pas effectué le mesurage, qu’il ne disposait d’aucune compétence particulière en cette matière pour apprécier l’exactitude des informations fournies et qu’il n’avait pas à vérifier le mesurage effectué par un professionnel. »

Dès lors, que lors de la prise du mandat, la vérification de la contenance peut être effectuée par l’agent immobilier par la simple production par son mandat du certificat loi Carrez ou des diagnostics.

III - Servitudes et urbanisme.

Il incombe naturellement au titre de l’obligation d’information et de conseil de l’agent immobilier, de vérifier que le bien proposé à la vente, n’est pas affecté d’une servitude.

Pour les servitudes conventionnelles, la lecture du titre de propriété permettra à l’agent immobilier de remplir son obligation d’information et de conseil.

Pour les servitudes légales, la visite des lieux devra entraîner pour l’agent immobilier un minimum de vigilance au regard des états d’enclave et d’éventuelles servitudes de passage apparentes.

La lecture attentive de l’origine de propriété et notamment des divisions par partages successoraux doit éveiller l’attention du professionnel sur les servitudes civiles.

Pour l’urbanisme, la Cour de Cassation a rappelé à plusieurs reprises, la responsabilité d’un agent immobilier faisant acquérir à son client un terrain grevé de servitudes administratives le rendant impropre à l’usage prévu et ce même pour les ventes antérieures à la loi du 2 janvier 1970 [6].

En la matière, il importe peu que le vendeur n’ait pas révélé la servitude, la Cour de Cassation ayant jugé qu’en qualité de négociateur professionnel, l’agent immobilier, « avait l’obligation de renseigner les parties sur la situation exacte du bien qu’il était chargé de vendre. » [7]

Cette position ne souffre pas de discussion, dans la mesure où il incombe à l’agent immobilier, de vérifier l’existence de servitudes d’urbanisme.

Parmi les renseignements que doit fournir à un éventuel acquéreur, l’agent immobilier, la question de la situation du bien commercialisé au regard de l’urbanisme est essentielle.

En premier lieu, même si les renseignements d’urbanisme sont fournis lors de la réitération de la vente devant notaire, et s’il appartient à celui-ci d’expliquer les tenants et aboutissants du certificat d’urbanisme, il n’en demeure pas moins que l’agent immobilier à un devoir d’investigation en matière d’urbanisme.

La Cour d’Appel d’Angers par un arrêt du 19 mai 2009 [8] a considéré que ce n’était pas à l’acquéreur de prendre l’initiative de rechercher le classement de la zone où l’immeuble était situé, dès lors qu’elle avait décidé, en recourant au service d’une agence immobilière, de s’entourer des informations et conseils d’un professionnel de l’immobilier.

La juridiction ajoute que ce type de renseignements n’appartient pas aux faits qui sont à la connaissance de tous et que les parties sont supposées savoir, il nécessite une démarche en mairie qui relève du devoir d’information du professionnel envers ses clients.

Dans cette espèce, l’agent immobilier intervenait au titre d’un mandat de recherche, étant lié contractuellement avec l’acquéreur. Il semble légitime que recherchant un bien pour un client, l’agent immobilier engage des démarches de nature à proposer à son cocontractant, un bien qui soit conforme aux besoins de celui-ci et qui soit exempt de tout vice. C’est donc sa responsabilité contractuelle qui a été retenue.

Si l’agent immobilier intervient dans le cadre d’un mandat de vente, il n’a aucun lien contractuel avec l’acquéreur, mais il a un devoir d’information et de conseil et il semble légitime qu’il attire l’attention de l’acquéreur sur les particularités en matière d’urbanisme du bien qu’il cède, comme il doit le faire pour les servitudes civiles ou administratives.

Il sera prudent pour le professionnel après la conclusion d’un mandat, de solliciter les renseignements d’urbanisme ou de se rendre en mairie, pour vérifier si les prescriptions administratives risquent d’affecter le bien cédé, voir la valeur de celui-ci.

Ces renseignements pourront également s’avérer utiles pour la rédaction de l’annonce immobilière laquelle comporte parfois des indications purement commerciales qui risquent de poser ensuite difficulté telles que : possibilité d’extension ou terrain piscinable.

La Cour de cassation a du reste récemment écarté la responsabilité d’un agent immobilier dans une hypothèse où une annonce immobilière mentionnait la possibilité d’implantation d’une piscine ce que ne reprenait ni le mandat, ni l’offre d’achat, ni le compromis de vente ou l’acte authentique.

La Cour a écarté la responsabilité de l’agent au motif que les dimensions de la piscine n’étaient pas indiquées à l’annonce et que l’acquéreur pouvait tout à fait envisager la construction d’une piscine plus petite. [9].

Avant de donner des indications écrites ou orales à l’acquéreur, quant à des considérations qui demandent des autorisations administratives, l’agent immobilier devra vérifier au préalable que celles-ci sont conformes aux règles d’urbanisme.

Il en sera également de même lorsque la situation de l’immeuble a été modifiée par des règles d’urbanisme. Ce pourrait être le cas si la construction a été édifiée en vertu d’un permis de construire parfaitement légal mais qu’à la suite d’une modification des règles d’urbanisme, il se trouve dans une zone non constructible ou grevée d’obligations particulières.

Ce sera le cas notamment lorsqu’il existe un PPRI ou une modification du PLU avec création d’une zone agricole ou d’une zone verte. Dans cette hypothèse, même si la construction est légale et bénéficie de toutes les autorisations administratives, l’agent immobilier doit vérifier la situation actualisée de l’immeuble.

Dans une espèce ou l’immeuble avait fait l’objet d’une construction parfaitement légale mais dans une zone qui avait fait l’objet d’une modification de POS, la Cour d’Appel de Paris a retenu par un arrêt du 16 juin 2017 [10], la responsabilité du notaire et de l’agent immobilier qui s’étaient contentés d’indiquer que le bien était dorénavant situé en zone INC du POS, c’est-à-dire en zone non constructible, sans attirer l’attention de l’acquéreur sur cette caractéristique de nature à modifier sa décision d’achat.

L’agent immobilier dans le cas d’une construction relativement récente devra vérifier, outre les autorisations administratives, la situation au regard de l’urbanisme.

Au titre des conditions d’urbanisme et de la situation du bien, l’agent immobilier devra également vérifier les conditions d’assainissement de l’immeuble.

S’il existe un assainissement individuel par fosse septique, en principe, les compromis et les actes authentiques comportent une clause au terme de laquelle le vendeur ne garantit pas la conformité des installations aux normes en vigueur.

La question se pose donc lors de la conclusion d’un mandat pour l’agent immobilier de vérifier s’il y a un raccordement au réseau public et à défaut d’obtenir du vendeur, les justificatifs de l’entretien effectué sur l’assainissement individuel par fosse septique.

Si le vendeur indique que le bien est raccordé au réseau d’assainissement public, il est simple lors de la visite de l’immeuble, de vérifier cette affirmation, qui semble peser sur l’agent immobilier au titre de la description du bien commercialisé.

IV - Valeur.

L’agent immobilier a en la matière une obligation de conseil évidente que la Jurisprudence retient depuis les années soixante.

L’on pourra citer deux décisions consacrant ce principe, toutes deux émanant de la Cour de Cassation :
• celle du 4 juillet 1979, (3° Chambre Civile, bulletin III, numéro 150) retenant que l’agent immobilier a incité le vendeur « à conclure une opération contraire à ses intérêts en raison du prix de vente convenu, qui, selon le notaire rédacteur de l’acte, était inférieur à la valeur réelle de l’immeuble », l’agent immobilier commettant une faute génératrice de préjudices.

• Celle du 30 octobre 1985 (1° Chambre Civile, bulletin I numéro 277, page 248) au terme de laquelle : « l’agent immobilier est tenu d’obligation de renseignement et de conseil vis-à-vis de son mandant, et il doit, notamment, lui donner une information loyale sur la valeur du bien mis en vente, lorsqu’il apparaît que le prix demandé est manifestement sous-évalué sans raison. »

Dans ces hypothèses, l’agent immobilier engagera sa responsabilité contractuelle à l’égard du mandant.

Cette position est habituellement reprise par les juges du fond, ainsi, la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, par un arrêt du 21 juin 2007 [11] a dans d’une espèce ou un immeuble avait été acquis par un marchand de biens dans le but de le revendre, retenu la responsabilité du mandataire pour le motif suivant :

« si le propriétaire qui présente un bien immobilier à la vente est totalement libre de fixer le prix qui lui paraît adapté, il appartient à l’agent immobilier mandataire, qui a accepté le mandat, d’éclairer son mandant sur la valeur du bien selon sa connaissance du marché immobilier. Le mandataire doit agir avec bonne foi et loyauté avec son mandant, donc il est chargé, par l’effet du contrat de mandat, de défendre les intérêts. Il doit rendre compte de sa mission à son mandant.

Un écart de près d’un million d’euros sur trois semaines entre la vente du bien au prix fixé dans le mandat sur les conseils de l’agence immobilière et sa revente par la même agence prouve que le prix proposé était nettement trop bas. Il appartenait à l’agence immobilière d’éclairer la vendeuse à cet effet.  »

Même si le cas d’espèce est sans doute caricatural, il n’en demeure pas moins concernant la valeur, que pèse sur l’agent immobilier, une obligation de sincérité des prix et d’information de son mandant.

Concernant l’acquéreur, dans la mesure où l’agent immobilier n’est pas lié à l’égard de celui-ci par un contrat, il n’a pas d’obligation de conseil, mais a toutefois un devoir d’information des caractéristiques de l’immeuble vendu pour que l’acquéreur puisse apprécier le prix de vente sollicité.

Cependant l’erreur sur la valeur ne permettra pas de remettre en cause, l’intervention de l’agent immobilier, sauf si celle-ci a été provoquée par l’agent qui n’a pas révélé une information dont il avait connaissance, sans laquelle l’acquéreur n’aurait pas procédé à l’acquisition.

En conclusion, l’agent immobilier lors de la mise en vente devra effectuer une analyse succincte mais précise des caractéristiques juridiques de l’opération qu’il entreprend à défaut de quoi, il engage légitimement sa responsabilité.

Pascal Bellanger Avocat au Barreau de Nîmes

[11° Chambre Civile, 26 mars 1996, Bulletin I, numéro 154 pages 108

[21° Chambre Civile, pourvoi n° 90–16108

[3Cour d’Appel de Paris, pôle 4 - Chambre 1, 1er avril 2016, RG 14/25 275

[4RG 14/00 170

[53° chambre civile, bull. III, pourvoi n° 15–16 967

[6Cour de Cassation 1° Chambre Civile, 5 mai 1971, Bull I, n° 147, p 122

[7Cour de Cassation, 3° Chambre Civ., 20 décembre 1971, bulletin III, n° 636, p 455.

[8RG 07/02 686

[95 juillet 2017,1° Chambre Civile, pourvoi n° 16–13630

[10Pole 4– Chambre 1, RG 17/02 4287

[111°chambre B, RG 06/08 333