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Apparence physique au travail : comment éviter toute discrimination ? Par Emmanuelle Destaillats, Avocat.
Parution : jeudi 13 février 2020
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Les discriminations fondées sur l’apparence physique sont prohibées par le droit français.

Ainsi, lors de l’embauche et tout au long de la carrière des salariés, l’employeur doit être vigilant et veiller à ce que ses décisions ne constituent pas une forme de discrimination.

Nous vous proposons un tour d’horizon des dispositions applicables en la matière et vous conseille sur les bonnes pratiques à adopter.

Le cadre juridique en matière de discrimination sur l’apparence physique.

En France, l’apparence physique constitue un critère prohibé de discrimination.

En effet, le Code du travail interdit tout traitement défavorable fondé sur l’apparence physique [1].

Par conséquent, l’apparence physique ne doit pas être prise en compte ni lors de l’embauche, ni au cours de la relation de travail.

Si des restrictions à ce principe sont admises, elles doivent toutefois répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Par ailleurs, l’objectif doit être légitime et l’exigence proportionnée [2].

De manière générale, les restrictions aux droits et libertés des travailleurs doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché [3].

Les thèmes récurrents de discrimination fondée sur l’apparence physique.

Dans une décision cadre du 2 octobre 2019, le Défenseur des droits a désigné cinq thèmes dont il a observé la récurrence en matière de discrimination fondée sur l’apparence physique.

Obésité et grossophobie :

Il est discriminatoire d’embaucher, de sanctionner ou de licencier un salarié en raison de son poids et ce, quand bien même celui-ci serait en contact avec la clientèle.

Par ailleurs, les clauses « couperet », qui permettraient à un employeur de sanctionner un salarié en cas de prise de poids, paraissent déraisonnables et abusives.

Seules des circonstances exceptionnelles sont admises par la jurisprudence. Ainsi, est justifié le licenciement d’une danseuse de revue du Moulin Rouge ne répondant plus aux exigences physiques et esthétiques que lui imposait son poste [4].

Au-delà de la discrimination, les propos humiliants et en lien avec le surpoids d’un salarié, qu’ils soient tenus par un supérieur hiérarchique ou un collègue, peuvent caractériser des faits de harcèlement discriminatoire lié à l’apparence physique.

Codes vestimentaires et coiffure :

En raison de l’évolution de la société et des phénomènes de mode, les salariés disposent d’une plus grande liberté quant au choix de leurs tenues vestimentaires et de leur coiffure.

Toutefois, certaines restrictions sont admises, dès lors qu’elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

C’est le cas par exemple :
- Du port d’une tenue de travail destinée à protéger la santé ou la sécurité du salarié ou à garantir des conditions d’hygiène, notamment dans le monde médical ou pour les salariés en contact avec des aliments ;
Du port d’une tenue de travail correcte et soignée pour les salariés en relation permanente avec la clientèle ;
- Du port d’une tenue décente afin de ne pas créer un trouble au sein de l’entreprise ou de choquer la clientèle ;
- Du port d’un uniforme ou d’un insigne commercial en raison d’un contact avec la clientèle et à l’identification par celle-ci des salariés.

Au même titre que pour les tenues vestimentaires, des restrictions peuvent être apportées à la liberté de porter la coiffure de son choix.

Ainsi, des restrictions d’hygiène et de sécurité peuvent notamment imposer aux salariés d’avoir les cheveux propres, de les attacher ou de porter une charlotte de protection. Cela sera particulièrement le cas lorsque les salariés travaillent dans le milieu médical ou manipulent des denrées alimentaires [5].

Des restrictions ont également été admises lorsque le salarié portait une coiffure considérée comme excentrique [6].

En tout état de cause, les restrictions vestimentaires ou de coiffure apportées ne doivent pas être liées à des stéréotypes de genre, au risque de caractériser une discrimination fondée sur l’apparence physique et le sexe du salarié.

Tel est le cas, par exemple, d’un serveur licencié pour avoir refusé de retirer ses boucles d’oreilles pendant le service, alors que cela était autorisé pour les serveuses [7].

Port de la barbe :

Les employeurs doivent également s’adapter aux nouveaux phénomènes de mode, tels que le port de la barbe.

Les hommes peuvent ainsi porter la barbe en raison de l’interdiction des discriminations fondées sur l’apparence physique mais aussi sur les convictions religieuses.

La barbe peut en effet être analysée comme un signe religieux lorsqu’elle représente, pour celui qui la porte, une manifestation de sa foi [8].

Les restrictions possibles au port de la barbe sont les suivantes :
- Des raisons de sécurité, obligeant par exemple un salarié à couper sa barbe en raison du fait que celle-ci est incompatible avec le port d’un masque de protection respiratoire [9] ;
- L’obligation de porter une barbe entretenue et soignée, notamment au regard de l’image de marque de la société.

Tatouages et piercings :

Tout comme la barbe, les tatouages et les piercings sont devenus, ces dernières années, un phénomène de mode et tendent à se banaliser.

De ce fait, le Défenseur des droits estime que les employeurs doivent s’adapter à ces changements et que les « tatouages discrets et non choquants devraient donc être tolérés dans le cadre professionnel pour les personnes en contact avec la clientèle ».

Toutefois, les tatouages comportant des représentations ou des messages violents, racistes, antisémites, sexistes ou contraire à la morale peuvent être interdits sur le fondement de l’obligation de santé et de sécurité de l’employeur qui lui exige notamment d’interdire la violence ou la discrimination.

Concernant les piercings, les juridictions sont devenues plus permissives et ce, quand bien même les postes concernés supposent d’être en contact avec la clientèle.

Les bonnes pratiques a adopter :

Consigner les restrictions au sein d’un document écrit.

Le Défenseur des droits recommande aux employeurs de définir dans un document écrit « toutes les contraintes et restrictions éventuelles en matière d’apparence physique et de présentation ».

L’existence de ce document clarifiera les règles applicables en matière d’apparence physique au sein de l’entreprise et en cas de sanction, il permettra à l’employeur de prouver que le salarié ne respecte pas des consignes dont il a eu préalablement connaissance.

Ce document écrit peut être le règlement intérieur, le contrat de travail, une note de service, une circulaire diffusée au sein de l’entreprise…

Justifier les restrictions.

Pour chacune des restrictions consignées dans le document choisi, l’employeur doit s’interroger et vérifier qu’elles sont justifiées par la nature de l’emploi occupé et de la tâche à accomplir et respectent le principe de proportionnalité.

A défaut, elles ne pourront être opposées aux salariés.

En outre, l’employeur doit définir avec précision les exigences requises et éviter les formulations ambiguës ou trop larges. En effet, celles-ci pourraient apparaître arbitraires et subjectives et de ce fait, être discriminatoires.

Prévenir les discriminations au sein de l’entreprise.

Afin de lutter contre les discriminations au sein de son entreprise, et dans le cadre de son obligation de sécurité, le Défenseur des droits conseille à l’employeur de veiller à « prévenir toute discrimination ou harcèlement discriminatoire fondé sur l’apparence physique ».

Pour ce faire, il peut mettre en place des outils de prévention tels que des formations pour le personnel, des campagnes de sensibilisations ou des dispositifs d’alertes.

Par ailleurs, il est primordial de sanctionner les agissements avérés relevant de la discrimination ou du harcèlement, au sein de l’entreprise.

Emmanuelle DESTAILLATS Avocat; https://sileas-avocats.info

[1C. trav., L1132-1.

[2C. trav., L1133-1.

[3C. trav., L1121-1.

[4Cass. Soc., 5 mars 2014, n°12-27.701.

[5CA Colmar 15-01-2013 n° 11/05558.

[6CA Paris 7 janvier 1998 n° 86-34010.

[7Cass. Soc., 11 janvier 2012, n°10-28.213.

[8CA Versailles, 27 septembre 2018, n°17/02375.

[9CAA Versailles, 19 février 2008, n°06VE02005.