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La régularité de l’affichage d’un permis de construire et le point de départ du délai de recours. Par Pierrick Salen, Avocat et Laura Jouffre, Stagiaire.
Parution : vendredi 21 février 2020
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Les contentieux d’urbanisme amènent souvent à traiter des questions d’affichage du permis sur le terrain d’assiette du projet.

Et pour cause, car la régularité de cet affichage n’est pas sans conséquence sur l’issue de certains contentieux, s’agissant d’une éventuelle tardiveté de la requête.

En droit administratif, il est admis classiquement que l’irrégularité de la notification ou de la publication n’emporte aucune conséquence quant à la légalité de la décision [1].

Cela vaut évidemment tout particulièrement en matière de panneau d’affichage des permis de construire [2].

L’enjeu est ailleurs, dans la sécurité juridique du projet, dès lors qu’en vertu de l’Article R600-2 du Code de l’urbanisme, le délai de recours contentieux à l’encontre des autorisations d’urbanisme court à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain.

Mais pour qu’il y ait déclenchement du délai, encore faut-il que l’affichage soit régulier, tant sur la forme (1) que sur son contenu (2).

1. Les règles de forme à respecter.

Soumis aux exigences de l’Article A424-15 du Code de l’urbanisme, le panneau doit être de forme rectangulaire et de dimensions supérieures à 80 centimètres.

Ainsi, un affichage présentant des dimensions nettement inférieures à celles-ci sera jugé insuffisant [3].

Dans le même sens, l’Article A.424-18 du Code impose que le panneau soit visible de la voie publique ou des espaces ouverts au public, pendant la durée des travaux [4].

A noter que ne sont pas au nombre des exigences de visibilité, la hauteur de vue et la lisibilité du panneau par les automobilistes [5].

A titre indicatif, le Conseil d’Etat a estimé que le parking d’un magasin pouvait être considéré tel un espace ouvert au public [6].

A l’inverse, une « impasse bordée de deux maisons privées sur une voie privée non ouverte à la circulation publique et utilisée par un riverain » a été considérée ni comme une voie publique ni comme un espace ouvert au public [7].

De même s’agissant d’une voie privée peu fréquentée, bien qu’ouverte à la circulation [8].

2. Le contenu du panneau d’affichage.

Doit tout d’abord figurer, en vertu de l’Article A424-17, la mention dudit délai de recours contentieux, ce qui est après tout - et par analogie avec les notifications de décisions individuelles - une condition assez logique.

D’après le même article, le panneau doit aussi rappeler l’obligation de notification des recours au pétitionnaire et à l’autorité administrative, prévue par l’Article R600-1 du même Code.

Le Conseil d’Etat a toutefois rappelé que : « l’obligation de notification à peine d’irrecevabilité du recours contentieux résultant de l’Article R600-1 du Code de l’urbanisme n’est pas au nombre des éléments dont la présence est une condition au déclenchement du délai de recours, son omission fait obstacle à ce que soit opposée à l’auteur du recours l’irrecevabilité qu’il prévoit. » [9].

Au-delà, c’est l’Article R424-16 du Code qui énonce les autres mentions tout aussi évidentes devant figurer sur le panneau : le nom, la raison sociale ou dénomination sociale du bénéficiaire, la date, le numéro du permis, la nature du projet, la superficie du terrain, et l’adresse de la mairie où le dossier pourra être consulté.

S’ajoutent à cela la surface de plancher autorisée et la hauteur des constructions, exprimée en mètres par rapport au sol naturel, si le projet prévoit des constructions.

Le panneau doit également indiquer, en fonction de la nature du projet, si le projet porte sur un lotissement, le nombre maximum de lots prévus, si le projet porte sur un terrain de camping ou un parc résidentiel de loisirs, le nombre total d’emplacements et, s’il y a lieu, le nombre d’emplacements réservés à des habitations légères de loisirs.

Bien que la liste des mentions exigées sur le panneau d’affichage se soit allongée, la jurisprudence, imprégnée de pragmatisme, ne sanctionne pas l’irrégularité ou l’absence de certaines mentions.

Le premier élément essentiel que va vérifier le juge, c’est que la lecture du panneau d’affichage permette aux tiers d’apprécier l’importance et la consistance du projet [10].

Sera sanctionné l’affichage ne comportant qu’une ou deux mentions, à l’exclusion de l’ensemble des autres [11].

Dès lors, le panneau ne sera pas entaché d’irrégularité s’il permet aux tiers d’identifier le permis litigieux [12]. Tel est le cas du défaut de mention de la date de délivrance du permis de construire, dès lors qu’est répertorié l’ensemble des mentions exigées [13]. De même s’agissant de l’absence du numéro de permis [14] ou du nom du bénéficiaire [15].

L’absence de mention de l’adresse de la mairie n’entache pas d’irrégularité l’affichage, eu égard à la taille de la commune, dans la mesure où les intéressés n’ont pas été empêchés ou dissuadés d’exercer leur droit [16]. Cela a par exemple été admis pour une commune de 5.000 habitants [17].

En revanche, si le projet prévoit des constructions, le défaut de mention de la hauteur des constructions sera de nature à vicier la régularité de l’affichage. Il en sera de même si cette dernière est affectée d’une erreur substantielle et qu’aucune autre indication ne permet au tiers de rectifier cette erreur [18].

Sont également considérées comme des mentions substantielles la superficie du terrain ainsi que la surface de plancher [19].

A savoir que ne sera pas qualifiée d’erreur substantielle, celle qui n’est pas de nature à fausser l’information des tiers sur la consistance du projet [20]. Une telle analyse constitue en effet la clé de voûte du raisonnement du juge administratif.

A titre d’exemple, la hauteur mentionnée inférieure de 24 centimètres à la hauteur réelle n’est pas entachée d’une erreur substantielle [21], de même pour une hauteur annoncée à 6,52 mètres au lieu de 7,27 mètres. [22]. Sachant que, le Conseil d’Etat précise que la hauteur maximale de la construction doit être calculée par rapport au sol naturel, telle qu’elle ressort de la demande de permis de construire [23].

Dans le même sens, la superficie du plancher annoncée à 75,55 m2 au lieu de 80 m2 n’est pas considérée comme un manquement substantiel de nature à rendre l’affichage en cause insuffisant [24].

Pareillement, difficile d’imaginer le juge s’offusquer d’un affichage mentionnant des dimensions ou surfaces supérieures à la réalité du projet. N’étant pas de nature à sous-estimer la réalité du projet, une erreur comme telle n’aurait pas pour dessein de tromper le tiers.

A l’inverse, et c’est bien normal, l’omission des mentions relatives à la superficie de plancher autorisée, à la nature des travaux et à l’adresse de la mairie sera de nature à vicier la régularité de l’affichage [25].

Alors que l’affichage indiquant le nom du bénéficiaire, la surface de terrain d’assiette, la surface de plancher, le délai de recours sera jugé suffisant, quand bien même le numéro de permis serait erroné et la nature des travaux imprécise [26].

A noter que la mention de la surface des bâtiments à démolir devra figurer sur le panneau, si le projet prévoit des démolitions, sous peine de rendre l’affichage irrégulier [27].

Pierrick Salen, Avocat et Laura Jouffre, Stagiaire. Cabinet Salen Avocat au Barreau de Saint-Etienne Docteur en droit public www.cabinet-salen.com

[1V. pour la publication : CE, 7 juillet 1999, n°197499, Glaichenkass ; V. pour la notification : CE, 18 novembre 2011, n°321410, Société Quinto Avesio.

[2CE, 15 avril 1988, n°66838, Commune de Lespignan.

[3CE, 18 novembre 1987, n°711380, Maloiseaux.

[4Article A424-18.

[5CAA Nantes, 11 décembre 2015, n°14NT02550.

[6CE, 21 juin 2013, n°360860.

[7CE, 11 juillet 2013, n°362977.

[8CAA Bordeaux, 23 février 2006, n°02BX02437, Association action missionnaire des assemblées de Dieu de la Réunion.

[9CE, 13 février 2019, n°422283.

[10CE, 25 février 2019, n°416610, Mentionné aux Tables.

[11CE, 22 avril 1992, n°91436, SA HLM Ville de Laval ; CE, 19 juin 1992, n°129053, Preda et Piemonte.

[12CE, 12 décembre 1994, n°139421 ; CE, 14 novembre 2003, n°254065, Ville de Nice et Schiller.

[13CE, 18 mars 1979, n°03137.

[14CAA Lyon, 18 juin 2015, n°14LY00006.

[15CE, 14 novembre 2003, n°254003.

[16CAA Lyon, 30 mai 2017, n°15LY00542 ; CAA Nancy, 22 novembre 2018, n°17NC03123.

[17CAA Lyon, 19 février 2013, n°11LY02109, SNC Ateliers Louis Vuitton.

[18CE, 6 juillet 2012, n°3398883 ; CE, 27 juillet 2015, n°387361 ; CE 25 février 2019, n°416610.

[19CAA Versailles, 20 octobre 2016, n°14VE01159.

[20CAA Versailles, 9 mai 2016, n°14VE02833.

[21CAA Paris, 17 novembre 2016, n°16PA01831.

[22CAA Versailles, 20 octobre 2016, n°14VE01159.

[23CE, 25 février 2019, n°416610.

[24CAA Versailles, 20 octobre 2016, n°14VE01159.

[25CAA Bordeaux, 16 janvier 2006, n°02BX00614, n°02BX00615.

[26CAA Lyon, 18 juin 2015, n° 14LY00006.

[27CAA Nancy, 9 juin 2011, n°10NC01632 ; CAA Nantes, 12 octobre 2012, n°11NT02900.