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Employeur de salarié étranger : obligations, risques et bonnes pratiques. Par Mouna Ben Thabet Alibert, Avocat.
Parution : mercredi 26 février 2020
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L’embauche d’un salarié étranger est soumise à des règles strictes que l’employeur se doit de respecter au risque d’engager sa responsabilité et de s’exposer à des sanctions importantes.
Observer de bonnes pratiques lui permet d’éviter les éventuels manquements et les risques qui en découlent.

Aux termes de l’article L8251-1, alinéa 1, du Code du travail, « Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ».

Cette interdiction s’applique tant au moment de l’embauche que durant l’exécution du contrat de travail, et quelle que soit la durée de la mission.

Quelle obligation au moment de l’embauche ?

Outre les obligations requises pour l’embauche de tout salarié, l’employeur qui recrute un étranger ressortissant d’un pays tiers [1] est tenu, en application des dispositions de l’article L5221-8 du Code du travail, de s’assurer « auprès des administrations territorialement compétentes de l’existence du titre autorisant l’étranger à exercer une activité salariée en France ».

Il n‘est exonéré de cette formalité préalable que « si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi tenue par l’institution mentionnée à l’article L5312-1 », auquel cas la vérification est réputée avoir été accomplie par les services de pôle emploi lors de l’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi.

La méconnaissance de cette obligation expose l’employeur à des sanctions financières pouvant atteindre des sommes importantes et serait même de nature à engager sa responsabilité pénale, avec un risque de peine d’emprisonnement.

Quelles sanctions en cas de méconnaissances de ces obligations ?

L’emploi d’un salarié étranger dépourvu d’autorisation de travail et/ou séjour est considéré comme une situation de travail illégal susceptible de plusieurs types de sanctions [2] :
- Redressement de cotisations sociales.
- Condamnation du dirigeant à 5 ans d’emprisonnement et 15.000 € d’amende par personne, portée à 75.000 € pour une société.

L’amende est appliquée autant de fois qu’il y a d’étrangers en situation irrégulière dans l’entreprise.

Ces sanctions peuvent aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et 100.000 € d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée.

Une amende de 1.500 €, même lorsqu’il s’agit du simple fait d’embaucher un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles mentionnées sur le titre de travail.

Ainsi que plusieurs autres sanctions administratives et complémentaires, telles que l’interdiction d’exercer certaines activités professionnelles, ou la suppression des aides publiques, telles que les exonérations de charges sociales ou des aides attachées au contrat d’apprentissage pour une période allant jusqu’à 5 ans.

Lorsque l’employeur auteur de l’infraction est lui-même étranger titulaire d’un droit au séjour et au travail en France, il s’expose, également, au risque de se voir retirer son titre de séjour avec une obligation de quitter le territoire et une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée pouvant aller jusqu’à 10 ans selon la gravité des faits [3].

Quelles bonnes pratiques à mettre en place pour lutter contre les situations de fraude et d’usurpation d’identité ?

La méconnaissance de ces obligations est, dans plusieurs cas, le résultat d’un manque de communication entre le service de ressources humaines et les autres départements de l’entreprise, ou de l’absence de processus d’authentification et de suivi des titres de séjours de salariés étrangers dans la gestion du personnel.

La mise en place d’un processus clair préalablement défini s’avère, donc, la meilleure garantie pour bien gérer ce type de problématiques.

À égard, il convient de :
- Demander systématiquement les originaux des pièces d’identité et titre de séjour et/ou travail.
- Convoquer le candidat à un entretien présentiel avant la signature du contrat de travail pour vérification.
- Accomplir les formalités de vérifications requises auprès des services préfectoraux compétentes avant toute validation de l’embauche [4].
- Conserver les copies de l’autorisation de travail et de séjour en cours de validité dans le registre du personnel.
- Mettre en place un mécanisme d’alerte relatif à la date de fin de validité du titre de séjour et/ou de l’autorisation de travail.

Quelle attitude à adopter à l’expiration du délai de validité du titre de séjour ?

Il est important de noter que cette obligation de vigilance ne se limite pas au processus de l’embauche : elle pèse sur l’employeur tout au long de la relation du travail. Il incombe, dès lors, à l’employeur d’accorder une attention particulière à de telles situations.

À cet effet, il est fortement recommandé de :
- Mettre en place des mécanismes de surveillance interne en vue d’un suivi rigoureux des délais de validité des autorisations de travail et de séjour des salariés étrangers en poste.
- Demander la production de justificatifs des démarches entreprises en vue du renouvellement du titre de séjour en temps utile.
- Demander les copies des autorisations de travail et séjour renouvelées à la date de fin de validité de documents présentés.

Il va sans dire que le mécanisme de l’article L8251-1 du Code du travail rendrait la rupture de la relation de travail inévitable en cas de perte d’autorisation de séjour et/ou de travail, même lorsque celle-ci devrait survenir durant l’exécution d’un contrat de travail régulièrement établi.

Il est à noter, toutefois, que le licenciement du salarié ne peut être engagé durant le délai de tolérance de trois mois, à compter de la date de fin de validité de la carte de séjour, durant lequel le salarié continue à jouir de ses droits sous couvert de son titre de séjour expiré, en application de l’article L311-4 du CESEDA.

Quelles mesures prendre en cas découverte de l’absence ou de la perte de l’autorisation de travail et/ou son titre de séjour ?

La jurisprudence ne considère pas la perte d’autorisation de travail et/ou séjour, comme faute grave en soi justifiant son licenciement pour ce motif [5]. Cependant, le maintien de la relation contractuelle étant illégale, le licenciement est prononcé pour « cause objective ».

Il est important de distinguer deux situations :

1. Situation du salarié qui agit de sorte à induire, sciemment, son employeur en erreur en produisant des documents frauduleux ou en dissimulant l’absence ou la perte de son autorisation de séjour et/ou de travail.

Dans cette hypothèse, une procédure de licenciement disciplinaire pour faute grave peut être engagée à l’encontre du salarié en application des règles propres à cette procédure [6], qui sont privatives de l’indemnisation forfaitaire prévue par l’article L8252-2 de Code du travail. Encore faut-il que l’employeur ait respecté ses obligations de vérification de l’authenticité du titre de séjour valant autorisation de travail et ce avant la date effective d’embauche [7] ; dans le cas contraire, il serait préférable de recourir à la rupture du contrat pour « cause objective ».

2. Situation du salarié qui se retrouve dépourvu de son autorisation de séjour et/ou de travail à la suite d’un refus de renouvellement ou d’un retrait de titre de séjour, qui selon la jurisprudence de la Cour de cassation, ne peut justifier un licenciement pour faute grave [8], mais constitue plutôt une « cause objective » de rupture de contrat [9].

Il s’agit d’une procédure dérogatoire qui implique pour l’employeur la dispense de :
- L’obligation de motiver son licenciement par une cause réelle et sérieuse, la situation irrégulière étant considérée en soi, la « cause objective » de la rupture du contrat ;
- L’obligation d’organiser un entretien préalable ;
- La procédure d’autorisation de licenciement par l’inspecteur du travail dans l’hypothèse où il s’agirait d’un salarié protégé.

L’employeur reste, toutefois, tenu des obligations suivantes en application de l’article L8252-2 du Code du travail :
- Observer un délai de trois mois à partir de la fin de validité du titre de séjour et/ou de l’autorisation de travail du salarié étranger, notamment si une demande de renouvellement est initiée par ce dernier, en application des dispositions de l’article L311-4 du CESEDA, avant de notifier la rupture du contrat de travail.
- Payer les salaires et les accessoires dus, même ceux au titre de la période d’emploi illicite, conformément aux dispositions légales, conventionnelles et aux stipulations contractuelles applicables à son emploi, déduction faite des sommes antérieurement perçues au titre de la période considérée.
- Verser une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire, à moins que l’application des règles figurant aux articles L1234-5, L1234-9, L1243-4 et L1243-8 du Code du travail ou des stipulations contractuelles correspondantes ne conduise à une solution plus favorable. L’indemnité forfaitaire peut varier selon qu’il s’agit d’un contrat à durée déterminée ou d’un contrat à durée indéterminée.
- Le cas échéant, la prise en charge par l’employeur de tous les frais d’envoi des rémunérations impayées vers le pays dans lequel le salarié est parti volontairement ou a été reconduit.

Il convient de préciser, enfin, que cette procédure dérogatoire propre à la rupture de contrats de travail de salariés en situation irrégulière, est distincte des procédures de licenciement pour cause réelle et sérieuse ; il s’agit d’ailleurs à proprement parler non pas d’un licenciement mais d’une « rupture de contrat pour cause objective », dans le sens de la législation et de la jurisprudence.

En conséquence, la rupture sera fondée sur « l’irrégularité de la situation administrative du salarié, cause objective de la rupture de son contrat de travail » afin d’éviter toute confusion.

Mouna BEN THABET ALIBERT, Avocat

[1Étrangers hors ressortissants des États membres de l’espace économique européen, soit les pays de l’UE, l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège.

[2Cf. articles L8224-1 à L8224-6, L8256-2, R8115-1 à R8115-4, R8211-1 à R8211-8 du Code du travail ; articles L242-&-2, L133-4-2, L243-7-7 du Code de la sécurité sociale ; article 131-39 du Code pénal, et articles L313-5, R11-15 et L626-1 du CESEDA.

[3Cf. articles L313-5, R311-15 et L626-1 du CESEDA

[4Aux termes de l’article R5221-41 du Code du travail, l’employeur est tenu de vérifier la validité de l’autorisation de travail auprès de la préfecture l’ayant délivré par l’envoi d’une LRAR ou d’un e-mail auquel est jointe la copie du justificatif fourni par le candidat étranger, au moins deux jours ouvrables avant la date effective de l’embauche.

[5Cour de cassation, chambre sociale, 18 février 2014, n° 12–19214 et Cour de cassation, chambre sociale, 3 avril 2019, n° 17-17.106.

[6Cour de cassation, chambre sociale, 12 octobre 2016, n° 15-20979 et Cour de cassation, chambre criminelle, 22 mai 1985, n°84-94187.

[7Article R 5221-41 et suivants Code du travail.

[8Cour de cassation, chambre sociale, 1er octobre 2014, n° 13-17745.

[9Cour de cassation, chambre sociale,9 juillet 2014, n°13-11027.

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