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La protection du logement en droit patrimonial de la famille. Par El Mehdi Ouqueddi, Etudiant.
Parution : lundi 9 mars 2020
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Le mariage emporte plusieurs effets importants pour les intérêts pécuniaires des époux, dont le logement de la famille est une partie intégrante. C’est la raison pour laquelle une protection lui a été réservée par le droit patrimonial de la famille.

En effet, chacun des époux peut se voir attribuer des pouvoirs pécuniaires, le pouvoir étant entendu comme l’aptitude à engager des biens par ses actes.

Étudier les pouvoirs pécuniaires des époux, c’est déterminer quels des biens ils peuvent engager par leurs actes. De cette étude ressort la gravité des actes relatifs au logement familial, actes qui relèvent de la cogestion.

Il ne s’agit pas seulement en effet de faire vivre la famille en organisant les dépenses ménagères, il faut aussi que ses crises n’affectent pas le logement, qui a une importance décisive, puisqu’il permet la cohabitation, sans laquelle les activités familiales ne sont pas normales.

La protection du logement familial s’explique par l’intérêt dont il est doté ; La qualification du logement familial n’est pas souvent facile à opérer, notamment lorsque la famille se sépare des principes par lesquels elle était constituée.

La séparation de fait, ou la séparation autorisée pendant l’instance en divorce ne font pas disparaître le logement de la famille ni être aptes à emporter les effets juridiques qui s’y attachent à l’égard des tiers. Seule la dissolution à cause de mort de l’un des époux ou le divorce seront susceptibles d’entraîner la cessation effective de toute protection à laquelle les époux ne pourront plus s’en prévaloir. A défaut toutefois d’attribution judiciaire ou conventionnelle du logement de la famille à titre temporaire à l’un des époux, la jurisprudence est hésitante.

La définition du logement familial comporte un élément matériel : le lieu d’habitation effectif, plus proche du fait que ne l’est le domicile. Elle comprend aussi un élément volontaire, l’affectation à la famille, ce qui exclut la résidence secondaire et le logement de fonction.

Même ainsi cantonnées, ces règles ont une grande importance pratique. La quasi-totalité des ménages et des familles a un logement. Le juste équilibre entre les intérêts en cause n’est pas facile à trouver.

D’ailleurs, Le logement de la famille doit être distingué des autres biens immobiliers que possède un couple marié. Le fait qu’il soit la résidence principale des époux lui confère un statut particulier. Le logement de la famille bénéficie donc d’une protection accrue durant le mariage, pendant la procédure de divorce et en cas de décès [1]. Le logement de la famille est le lieu où vivent effectivement les époux et leurs enfants. Ce critère d’habitation effective exclut donc les résidences secondaires.

A contrario, la protection est étendue aux meubles meublants garnissant le logement familial, c’est-à-dire, aux meubles destinés à son usage et à son ornement. Quant aux pouvoirs que peuvent exercer chaque époux, Le logement de la famille est protégé par la règle de la cogestion, c’est-à-dire qu’un époux ne peut pas accomplir seul des actes qui risqueraient de priver la famille de la jouissance du logement.

Autrement dit, pour passer un acte ayant pour objet un immeuble, l’acte requiert un double consentement à peine de nullité, quel que soit le régime matrimonial qu’ils ont choisi et même si la résidence principale appartient à un seul époux. Cette protection constitue donc pour le couple un véritable gage de sécurité juridique contre eux-mêmes d’abord, lorsque l’un d’eux, à l’insu de la commune volonté passe des actes qui risquent de déposséder le couple de leur immeuble ou d’en déprécier sa valeur vénale. Cette protection octroyée au logement de la famille par le droit matrimonial est-elle efficace.

I) L’étendue de la protection du logement familial.

Le statut particulier - dit impératif de base - dont bénéficie le logement de la famille, serait-il en mesure de déployer tous ses effets sans limites pour atteindre tous les actes juridiques, outre que ceux définis par l’Article 215 ?

A) L’Article 215, vecteur de l’efficacité de la protection.

L’Article 215 du Code civil s’applique au bail du logement de la famille, les époux étant séparés de fait. Il en résulte qu’un époux ne peut unilatéralement "disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille", pour l’application de ce texte, la jurisprudence interprète largement la notion d’acte de disposition relatif à de tels droits.

Jusqu’ici, la question ne semblait pas s’être posée de savoir si le texte précité prohibait la mise en location, par un époux seul, du logement de la famille. Ce silence se comprend car, a priori, la question surprend. En droit, la conclusion d’un bail d’habitation n’est pas considérée, du moins dans une conception classique, comme un acte de disposition mais d’administration.

En fait, l’occupation d’un logement par le propriétaire exclut la possibilité pour celui-ci de le louer. Mais, que se passe-t-il lorsque les époux sont séparés de fait ? La loi a assigné un statut protecteur des biens particuliers, quels que soient les droits par lesquels est assurée l’habitation principale, en ces termes, ce doute qui pourrait naître de cet état de fait est raisonné par les juges du fonds in concerto, c’est à dire selon les circonstances en présence desquelles certains effets peuvent se produire.

Pour les juges, lorsqu’il y a des enfants, qui résident avec l’époux séparé. En tout état de cause seule la résidence principale est qualifiée de logement familial, ce qui ne sera pas le cas de la résidence secondaire. De même, comme il a été jugé "le logement de la famille ne perd pas cette qualité lorsque sa jouissance a été attribuée, à titre provisoire, à l’un des époux pour la durée de l’instance en divorce". La vente sans le consentement de l’épouse était donc nulle.

S’agissant des droits protégés par les dispositions de l’alinéa 3 de l’Article 215 sont ceux "par lesquels est assuré le logement de la famille" ; il peut donc s’agir d’un droit réel comme d’un droit personnel : droit de propriété, d’usufruit, d’usage et d’habitation, bail ou encore parts d’une société civile immobilière permettant l’occupation du bien mis en société. Ainsi un époux ne peut-il disposer seul de l’un de ces droits, quand bien même ce droit lui appartiendrait en propre.

Les droits par lesquels est assuré le logement de la famille peuvent être un droit du bail. Quant à cet acte, l’Article 215 entretient une relation étroite avec l’Article 1751 du même code, lequel institue une sorte de titularité commune du bail du local qui sert effectivement l’habitation des deux époux ; le congé délivré par le bailleur à un seul époux, n’est pas opposable à l’autre, l’efficacité de la résiliation étant subordonnée à la délivrance d’un congé de chacun d’eux.

Cette titularité du bail ne s’applique cependant qu’au bail à usage exclusif d’habitation conclu pour le logement habituel et principal du couple, et ce même pour un temps. La jurisprudence n’exige toutefois pas, qu’il s’agisse d’une cohabitation permanente. La titularité a pour conséquence immédiate de placer les époux dans une situation que l’on qualifier d’indivision forcée en reconnaissant à chacun un droit personnel sur le bail, ce qui impose également des obligations spécifiques pour le bailleur, à condition toutefois que l’existence du conjoint ait été signalée au bailleur. Le non-respect de l’Article 215 alinéa 3 du Code civil peut être sanctionné par la nullité de l’acte [2].

La poursuite de la lecture de l’alinéa 3 de l’Article 215 du Code civil apporte les précisions nécessaires quant au délai pour agir : "(…) Celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous".

B) La protection par la sanction.

Si les conditions posées par l’Article 215, alinéa 3 du Code civil n’ont pas été respectées, la sanction est l’annulation de l’acte. La nullité le prive de tout effet entre les époux ou ex-époux, mais également dans les rapports entre l’auteur de l’acte et son cocontractant. L’époux, prétendant être victime, devra en outre prouver un intérêt à agir. L’époux qui n’a ni consenti ni participé à l’acte peut en demander l’annulation. Mais il doit justifier un intérêt à agir, ce qui relève de la seule appréciation des juges du fond.

Ainsi, une femme divorcée qui, à la date de son action en justice, ne résidait plus l’immeuble qu’elle avait quitté en cours d’instance de divorce, n’avait pas l’intérêt à agir pour demander l’annulation d’une hypothèque contractée par son ex-époux. Dans une affaire similaire, à l’inverse, a été reconnu l’intérêt à agir d’une épouse qui demandait l’annulation d’un bail consenti par son conjoint, alors qu’elle avait abandonné le domicile conjugal, puis engagé une procédure de divorce, mais qu’elle n’était pas encore divorcée au jour de sa requête.

Lorsqu’une action en justice est engagée, presque toujours dans le cadre d’un divorce, le délai d’action est d’un an à partir du jour où l’époux victime a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir agir plus d’un an après la dissolution du régime matrimonial.

Ce terme ne peut pas être dépassé. Le conjoint qui découvrirait l’acte litigieux plus d’un an après le prononcé du divorce ne peut plus le remettre en cause. Cependant, sous le régime de la communauté, ce délai d’un an est évincé par celui de deux ans prévus par l’Article 1427 du Code civil lorsque le logement est un bien commun "l’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté".

Enfin, ce délai d’un an est également écarté dans certaines situations où il est possible d’invoquer la nullité par voie d’exception.

II) Les limites de la protection du logement de la famille.

A) Le principe de l’indisponibilité du logement de la famille.

L’impératif de conservation de la destination familial impose aux époux une cogestion. En effet, par le seul fait du mariage, le conjoint même séparé de bien unique titulaire du droit au bail par lequel est assuré le logement de la famille au moins pour partie, perd la faculté d’en disposer librement. L’étude du domaine de la cogestion fait apparaître une protection efficace mais réduite, sans pour autant qu’il s’agisse d’une règle paralysante puisque des dérogations sont possibles.

En s’intéressant au domaine de l’Article 215 alinéa 3, on constate que la protection du logement contre les agissements de l’époux titulaire du droit au bail est efficace eu égard aux actes soumis au double consentement mais cette protection reste tout de même plus réduite que celle issue de la co titularité.

Comme nous l’avons déjà précisé, l’Article 215 est intéressant dans l’étude de la protection du logement familial assuré par un bail, pour le local à usage mixte. Alors que pour le local exclusivement familial, l’Article 1751 octroi un droit personnel à chaque époux, l’Article 215 impose une cogestion pour certains actes. En permettant de disposer des droits par lesquels est assuré le logement familial, l’Article 215 alinéa 3, suggère a priori de se référer purement et simplement aux actes de disposition, tels qu’entendus en droit commun. Entrent ainsi en principe dans le champ de la prohibition légale toutes les aliénations, à titre gratuit comme à titre onéreux : vente, promesse de vente, donation, apport en société.

Toutefois, marqué du sceau de l’affectation familiale, l’interdiction de disposer, vaut plus exactement pour tout acte comportant ou risquant de compromettre la finalité familiale du logement alors même qu’il présenterait les traits d’un acte d’administration. Ainsi, sont donc également visés le bail consenti sur le logement, et le congé donné au propriétaire. Tous ces actes requièrent l’accord des deux époux. La notion de stabilité du cadre de vie, peut servir de clé d’interprétation des actes interdits. Tant que l’acte garantit à la famille le maintien dans les lieux par un droit équivalent, la règle de l’indisponibilité ne joue pas.

En revanche, la rédaction de l’Article 215, quoique très compréhensive, ne permet pas de protéger la résidence de la famille contre les abstentions même volontaire qui tendent à la compromettre, du fait de l’emploi du terme acte. Faut-il conclure que les abstentions pourront impunément compromettre le logement familial ? Ainsi l’époux titulaire d’un bail peut-il provoquer l’expulsion de sa famille en omettant de payer les loyers ? Ici l’Article 215 n’est d’aucun secours il faut que l’époux demande une autorisation d’agir en justice sur le fondement de l’Article 220-1. Ainsi le conjoint non titulaire du bail à usage mixte est mis à l’abri, comme en matière de co titularité, contre les actes intempestifs de son conjoint. Mais, c’est seulement en ce domaine que joue la protection, ainsi elle va apparaître plus réduite voire inexistante en d’autres domaines par rapport à la co titularité de l’Article 1751.

L’Article 215 alinéa 3 n’est prévu que pour limiter les droits des époux sur un bien dont le droit au bail serait exclusivement attribué à un seul des deux. Il ne prévoit en aucun cas un régime protecteur contre les agissements du bailleur. Le bailleur contrairement à la situation de l’Article 1751 ne se retrouve pas face à deux locataires. Cette différence est fondamentale. En effet, les règles relatives à la double notification ne sont pas ici applicables. Ainsi, le congé donné par le bailleur au seul titulaire du bail sera opposable à l’autre conjoint.

Le conjoint non titulaire du bail est donc beaucoup moins protégé, mais il reste tenu au même titre que le conjoint co-titulaire, des dettes de loyers relatifs au logement commun, laissant entrevoir un déséquilibre des protections et des obligations corrélatives. De plus le conjoint ne bénéficiant pas d’un titre personnel sur le bail, ce dernier ne peut donc se prévaloir au même titre que le co-titulaire, du droit de préemption réservé au locataire. L’Article 215 alinéa 3 n’est qu’un palliatif de protection au bénéfice des locaux à usage mixte sans pour autant octroyer les mêmes droits au conjoint qui ne peut être co-titulaire du bail.

Ce dernier peut donc parfois se retrouver dans des situations plus précaires, d’autant qu’il ne connaît pas une réduction de ses obligations. La cogestion peut, parallèlement devenir source de paralysie lorsque l’époux projetant d’accomplir un acte de disposition ne peut recueillir le consentement de son conjoint. Or, une rigoureuse fixité du logement ne sert pas toujours l’intérêt de la famille, d’où l’existence de dérogations. Le législateur de 1965 a introduit deux mécanismes qui permettent de passer outre le refus ou l’absence de consentement de l’un des époux. Il s’agit tout d’abord de l’autorisation judiciaire pour agir seul.

Que son conjoint soit empêché de manifester sa volonté ou qu’il refuse de consentir, l’époux peut dès lors solliciter l’autorisation judiciaire de passer seul l’acte nécessitant en principe le double consentement sur le fondement de l’Article 217 du Code civil. C’est uniquement si le refus n’est pas justifié par l’intérêt de la famille que l’époux demandeur sera effectivement autorisé à y passer outre. L’action individuelle de l’époux autorisé se substitue à la cogestion, à des fins d’efficacité.

B) La saisissabilité du logement de la famille.

Pour toutes les dettes que l’un des époux peut engager durant sa vie maritale, celui-ci peut exposer l’ensemble des biens dont le logement de la famille à la poursuite des créanciers. La question s’est posée de savoir est ce que le créancier pourrait se faire payer, bien que l’acte qui engage le logement de la famille, était passé par l’autre époux. La jurisprudence considère que l’exécution forcée ne se heurtait pas aux dispositions protectrices de l’Article 215 alinéa 3 du Code civil.

Le logement de la famille est donc saisissable. La surprotection dont il dispose ne doit pas être pour autant un gage d’insécurité pour les tiers de bonne foi. Le législateur a pourtant pris l’initiative de reconnaître à l’époux leur droit de bénéficier de la constitution d’un patrimoine outre que celui que les créanciers peuvent saisir. Le patrimoine d’affectation est une technique qui permet à l’entrepreneur individuel, lequel dispose d’un patrimoine unique qui comprend ses biens personnels et ses biens professionnels. Il s’agit d’une véritable dérogation du principe classique selon lequel le patrimoine est une universalité.

Sans régime de protection, les créanciers personnels et professionnels peuvent indifféremment saisir ses biens personnels notamment sa résidence principale et ses biens professionnels.
Pour pallier à cet inconvénient, la loi du 1er août 2003 a institué la déclaration d’insaisissabilité de l’habitation principale de l’entrepreneur individuel [3] puis la loi du 4 août 2008 a étendu son bénéfice à tout immeuble non affecté à un usage professionnel. A cette technique s’ajoute, depuis peu, le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée connue sous l’acronyme EIRL créé par la loi du 15 juin 2010.

Ces deux mécanismes constituent des exceptions au droit de gage général des créanciers qui s’étend à l’ensemble des biens du débiteur tel que l’on comprend des dispositions des Articles 2284 et 2285 du Code civil.

Etudiant chercheur EL Mehdi Ouqueddi

[1Le conjoint survivant bénéficiant d’une protection d’au moins un an.

[2Vente, donation…

[3Articles L526-1 et s. et R526-1 et s. du Code de Commerce.