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Provision pour dépréciation de fonds de commerce d’officine de pharmacie. Par Rodolphe Mossé, Avocat et Laura Jaricot, Fiscaliste.
Parution : mardi 17 mars 2020
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Provision pour dépréciation de fonds de commerce d’officine de pharmacie : l’Administration fiscale n’a pas toujours raison de tirer sur l’ambulance !!!

Après l’opération nationale « Caducée » qui s’inscrivait dans le contexte de lutte contre la fraude fiscale découlant de l’utilisation, dans certaines officines de pharmacie, de logiciels que la DGFIP considère comme permissifs, les pharmaciens font l’objet, depuis quelques mois, d’une nouvelle série de contrôles fiscaux ciblés (vérification de comptabilité/examen de comptabilité) portant sur la [non] déductibilité des dotations aux provisions pour dépréciation de fonds de commerce dont les conséquences financières sont souvent assorties de la majoration de 40% pour manquement délibéré.

Un minimum de recherches sur la toile ou la consultation de statistiques révèlent que « l’âge d’or » des prix de marché des pharmacies est bel et bien révolu.

De ce constat, à l’examen des liasses fiscales des entreprises exploitant une officine de pharmacie, il n’est pas rare de relever la comptabilisation d’une provision pour dépréciation de la valeur du fonds de commerce inscrit à l’actif afin de constater que la valeur probable de réalisation du fonds est inférieure à sa valeur comptable, destinée à anticiper la moins-value qui serait dégagée lors de la revente ultérieure de la pharmacie.

Conformément aux articles 214-16 et suivants du plan comptable général (PCG), les entreprises doivent apprécier à chaque clôture des comptes, s’il existe un indice, interne ou externe, de perte de valeur d’un actif.

En présence d’un tel indice, elles doivent effectuer un test de dépréciation consistant à comparer la valeur nette comptable de l’immobilisation concernée à sa valeur actuelle, définie comme la valeur la plus élevée de la valeur vénale ou de la valeur d’usage.
La valeur vénale s’entend du montant qui pourrait être obtenu, à la date de clôture, de la vente d’un actif lors d’une transaction conclue à des conditions normales de marché, net des coûts de sortie.

La valeur d’usage est la valeur des avantages économiques futurs attendus de l’utilisation de l’actif et de sa sortie.
Ceux-ci correspondent à l’estimation des flux nets de trésorerie actualisée attendus de l’actif [1].
Les modalités de dépréciation des immobilisations ont été précisées par le règlement du Comité de la réglementation comptable (CRC) 2002-10.
Cette déductibilité est subordonnée à la condition que la méthode de calcul de la valeur vénale s’appuie sur des éléments suffisamment probants et objectifs déjà survenus à la clôture de l’exercice.

Si économiquement et comptablement, les professionnels s’accordent sur le bien-fondé de la comptabilisation d’une telle provision, du point de vue fiscal, pour être admise en déduction des résultats d’un exercice, les provisions doivent, conformément aux dispositions de l’article 39 1-5° du CGI, répondre aux cinq conditions suivantes :
- la provision doit être destinée à faire face à une perte ou à une charge déductible de l’assiette de l’impôt ;
- la perte ou la charge doit être nettement précisée ;
- la perte ou la charge doit être probable ;
- la probabilité de la perte ou de la charge doit résulter d’évènements en cours à la clôture de l’exercice ;
- la provision doit avoir été comptabilisée dans les écritures de l’exercice.

Le caractère probable de la perte doit être étayé par l’existence d’une dépréciation effective, par référence soit à des événements particuliers ayant affecté la valeur de l’immobilisation, soit à une valeur de marché s’il en existe un, soit à une valeur d’expertise indépendante.

D’une manière générale, la simple baisse de performance, la baisse de valeur liée à une évolution purement financière (taux d’intérêt ou de rendement), ou une évolution défavorable de l’environnement économique général ou des anticipations de marché de l’entreprise (mauvaise appréciation des flux de trésorerie, cash-flows futurs) ne peuvent être admises comme seule justification d’une perte probable, en particulier si la dépréciation porte sur des actifs isolés, mais peuvent seulement être prises en compte en tant qu’éléments d’un faisceau d’indices justifiant la dépréciation.

Selon une Jurisprudence d’avant-guerre du Conseil d’Etat, la provision pour dépréciation n’est déductible que dans l’hypothèse où une dépréciation effective du fonds de commerce est établie.
Ainsi, les juges du Palais-Royal estiment que celle-ci peut résulter d’une diminution notable du chiffre d’affaires et des bénéfices [2].

En revanche, une baisse du chiffre d’affaires n’ayant entraîné qu’une faible diminution des bénéfices n’est pas suffisante pour établir cette dépréciation [3].

Les juges du fond ont néanmoins jugé que constitue une dépréciation effective du fonds de commerce justifiant la constitution d’une provision la baisse significative du chiffre d’affaires d’environ 30% même si elle ne s’est pas accompagnée d’une baisse simultanée des résultats courants avant impôts dès lors que le maintien de la rentabilité de l’entreprise n’a été rendu possible que par le licenciement d’un salarié [4].

Ceci étant, cette Jurisprudence ne peut effectivement trouver à s’appliquer que si la valeur vénale du fonds ne résulte pas du jeu de l’offre et de la demande.
Autrement dit, si elle n’est pas la résultante d’une vente lors d’une transaction conclue à des conditions normales de marché.
Le Conseil d’Etat a également eu l’opportunité de rappeler que si d’un exercice à l’autre la baisse de valeur n’apparaissait pas significative, celle-ci devait s’analyser sur la durée et de manière constante.
Autrement dit, la dépréciation d’un fonds de commerce doit être estimée par rapport à sa valeur d’acquisition [5].

Dans la bataille qui s’est engagée entre les services vérificateurs et les contribuables, la toile s’est déjà fait l’écho d’avis défavorables aux rehaussements notifiés par l’Administration fiscale, sur le même sujet, rendus par des Commissions Départementales des Impôts Directs et des Taxes sur le Chiffre d’Affaires (CDIDTCA).
Récemment, la CDIDTCA de Lyon a rendu un nouvel avis négatif à l’encontre des services fiscaux.

Les données de la pharmacie étaient les suivantes (appréciées entre l’exercice d’acquisition du fonds et l’exercice de comptabilisation de la provision pour dépréciation) :
- diminution du chiffre d’affaires : - 24,97% (soit environ 396 K€ de chiffre d’affaires entre les exercices clos en 2008 et 2016) ;
- diminution du résultat d’exploitation : - 26,9% (soit environ 35,5 K€ en huit ans) ;
- diminution de l’excédent brut d’exploitation : - 78% ;
- réduction de la masse salariale (réduction du temps de travail de la pharmacienne adjointe).

La CDIDTCA a considéré que le calcul de la provision pour dépréciation avait été réalisé avec une approximation suffisante.
Elle a constaté que pour calculer la valeur de la dépréciation du fonds de commerce, le contribuable avait appliqué à son chiffre d’affaires HT de l’exercice clos en 2016 le taux de valorisation du fonds de commerce retenu lors de l’acquisition en 2008, fixé à 93% du chiffre d’affaires au cas d’espèce.
Les membres de la CDIDTCA ont relevé que cette méthode, quoique précise et fondée sur des données propres de l’entreprise, manquait de nuances mais que la valeur qui en résultait n’était pas contredite par les données comparables ressortant des cessions de pharmacies intervenues en 2015 et 2016 dans des communes avoisinantes dont le prix de vente variait de 75 à 87% du chiffre d’affaires.
En outre, la CDIDTCA a estimé que la provision pour dépréciation n’était pas incohérente car elle représentait seulement 12% de la valeur du fonds.

Il convient, par ailleurs, de préciser que la provision pour dépréciation avait également été chiffrée sur la base des statistiques publiées chaque année par le cabinet d’expertise INTERFIMO sur la base des deux méthodes de détermination des prix de ventes des officines : un pourcentage de chiffre d’affaires et un multiple de l’EBE.
Sur ce point, comme souvent, la CDIDTCA refuse de tenir compte de ces études statistiques qui, selon les membres de la Commission, ne caractériseraient pas des éléments propres au fonds de commerce dont la provision a été remise en cause.

Dans ce dossier, l’Administration fiscale a décidé de suivre l’avis de la Commission ce qui est rarement le cas.

L’affaire est donc close !

Rodolphe MOSSÉ, Avocat associé et Laura JARICOT, Fiscaliste senior MOSSÉ & ASSOCIÉS

[1PCG, art. 214-6.

[2CE, 11 juill. 1936, n°51511 ; CE, 27 déc. 1937, n°65712.

[3CE, 24 oct. 1938, n°61938.

[4TA DIJON, 31 janvier 2002, n°2903, 1e ch., Springeaux.

[5CE 23 décembre 2011 n°329282, 9e et 10e s.-s., SARL Hôtel Arriel Astrid.