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Droit de l’urbanisme : petite étude de l’impact de l’ordonnance du 25 mars 2020. Par Marie-Laure Vanlerberghe, Huissier de Justice.
Parution : vendredi 3 avril 2020
Adresse de l'article original :
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La période d’Etat d’Urgence Sanitaire (EUS) porte-t-elle atteinte au principe continuité de l’affichage ? La période de Période Juridiquement Protégée (PJP) n’entache-t-elle pas la régularité de l’affichage ? Les constats d’affichage de permis peuvent-ils être dressés pendant la période de PJP ? Ou doivent-ils être reportés après la PJP ?
Article vérifié par l’auteur en septembre 2023.

Pour rappel, le délai de recours contentieux à l’encontre d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir court à l’égard des tiers à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l’article R424-15. (Art. R600-2 code de l’urbanisme).

L’article 2 de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020, reproduit ci-dessous, donne des éléments utiles pour mieux appréhender la question de l’affichage des permis et gérer le recours des tiers en période de confinement sanitaire.

« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.
Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit.
 »

Tout d’abord, l’impact sur le délai de recours des tiers.

Très clairement l’ordonnance précitée organise un mécanisme général de prorogation des délais de procédure y inclus le délai de recours des tiers.

Mais attention, la prorogation n’est ni une suspension des délais qui arrête temporairement le cours du délai sans effacer le délai déjà couru, ni une interruption des délais qui efface le délai acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien.

Mécaniquement la prorogation est l’action de reporter à une date ultérieure un acte ou un évènement ou ici un délai. Ex. proroger une réunion, c’est mettre fin à une réunion et la tenir à nouveau à une date ultérieure.

Ainsi, l’ordonnance précitée reporte l’écoulement du délai de recours des tiers non expiré avant ou pendant la période de prorogation des délais dite aussi période juridiquement protégée (PJP) pour le reporter après la période de PJP.

Sont donc exclus du report les délais de recours des tiers qui ont expiré avant la période de PJP fixée au 12 mars 2020 et les délais de recours qui expireront après la PJP.

Ce délai reporté est équivalent au délai légal initial sans toutefois pouvoir excéder deux mois. Soit le délai initial était inférieur à deux mois et l’acte doit être effectué dans le délai imparti par la loi ou le règlement, soit il était supérieur à deux mois et il doit être effectué dans un délai de deux mois.

Le délai reporté commence le premier jour suivant le jour de fin de la PJP.

En conséquence le délai de recours contentieux des tiers à l’encontre d’un permis de construire devant le tribunal administratif qui est initialement de deux mois sera prorogé dans son entièreté.

Les dates importantes à retenir pour le calcul du délai prorogé de recours sont les suivantes :
• 12 mars : date de début de la période à prendre en compte pour entrer dans le champ d’application du régime de prorogation des délais ;
• 24 mars + 2 mois = 24 mai à minuit : date de fin du régime d’EUS ;
• 24 mai + 1 mois = 24 juin à minuit : date de fin de la période à prendre en compte pour le régime de prorogation des délais.

La date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (EUS) sera donc en principe le 24 mai 2020 à 0 h, sauf à ce qu’une loi la repousse ou un décret l’avance.

Ensuite, l’impact sur les constats d’affichage du permis sur le terrain.

La période d’EUS porte-t-elle atteinte au principe continuité de l’affichage ? Les constats d’affichage de permis peuvent-ils être dressés pendant la période de PJP ? Ou doivent-ils être reportés après la PJP ?

La question à un intérêt pour le bénéficiaire du permis en raison de l’objet même des constatations.

Les constatations ont pour objet d’établir la preuve de l’affichage effectif et régulier sur le terrain pendant une durée de deux mois continus et sans interruption.

La question à un intérêt pour le tiers bénéficiaire du recours car le point de départ du délai de recours contentieux à l’encontre d’un permis de construire est le premier jour de l’affichage régulier et continu. L’article R. 424-15 du Code de l’urbanisme impose notamment que la « mention du permis doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l’extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l’arrêté …et pendant toute la durée du chantier ».

Rappelons que l’ordonnance précitée ne prévoit pas la suppression de l’obligation de réaliser tous les actes ou formalités dont le terme échoit dans la période visée. Aussi, le bénéficiaire du permis ayant l’obligation de procéder à l’affichage sur le terrain des mentions du permis « dès l’obtention de la décision » a la possibilité d’y procéder pendant la période de PJP à charge pour lui d’apporter la preuve de la continuité, sans interruption de cet affichage durant deux mois consécutifs y inclus la période de PJP.

La preuve de l’affichage continu se fait par tous moyens. Nota Bene : les mesures recommandées liées au « confinement » sanitaire n’empêchent pas les huissiers de justice de réaliser les constatations durant la période d’état d’urgence sanitaire (EUS) et ainsi constituer la preuve utile et nécessaire au bénéficiaire.

A défaut d’affichage ou faute de pouvoir en apporter la preuve, le recours au tiers est sensé ne pas avoir débuté.

Mais quand bien même la continuité de l’affichage ne serait-elle pas entachée, la période de PJP n’entache-t-elle pas la régularité de l’affichage ?

Se pose la question de la notion de « régularité » de l’affichage pendant la période de PJP quand bien même serait-il conforme aux prescriptions des articles A. 424-15 à A. 424-19 du code de l’urbanisme rappelées ci-dessous :

L’affichage sur le terrain est assuré par les soins du bénéficiaire du permis un panneau rectangulaire dont les dimensions sont supérieures à 80 centimètres. Le panneau indique le nom, la raison sociale ou la dénomination sociale du bénéficiaire, le nom de l’architecte auteur du projet architectural, la date de délivrance, le numéro du permis, la nature du projet et la superficie du terrain ainsi que l’adresse de la mairie où le dossier peut être consulté.

Il indique également, en fonction de la nature du projet :
a) Si le projet prévoit des constructions, la surface de plancher autorisée ainsi que la hauteur de la ou des constructions, exprimée en mètres par rapport au sol naturel ;
b) Si le projet porte sur un lotissement, le nombre maximum de lots prévus ;
c) Si le projet porte sur un terrain de camping ou un parc résidentiel de loisirs, le nombre total d’emplacements et, s’il y a lieu, le nombre d’emplacements réservés à des habitations légères de loisirs ;
d) Si le projet prévoit des démolitions, la surface du ou des bâtiments à démolir.
Le panneau d’affichage comprend la mention suivante :
" Droit de recours :
Le délai de recours contentieux est de deux mois à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain du présent panneau (art. R. 600-2 du code de l’urbanisme).
Tout recours administratif ou tout recours contentieux doit, à peine d’irrecevabilité, être notifié à l’auteur de la décision et au bénéficiaire du permis ou de la décision prise sur la déclaration préalable. Cette notification doit être adressée par lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du recours (art. R. 600-1 du code de l’urbanisme).
"

Le panneau d’affichage doit être installé de telle sorte que les renseignements qu’il contient demeurent lisibles de la voie publique ou des espaces ouverts au public pendant toute la durée du chantier.

L’empêchement de circulation sur la voie publique, indépendant de la volonté des parties, même momentanée, ne permettant pas l’accès au panneau d’affichage a –t-il un impact sur la régularité de cet affichage ?

Les tiers n’iront-ils pas, à la fin du confinement sanitaire, mettre en cause la régularité de l’affichage arguant la jurisprudence de la Cour Administrative d’appel de Bordeaux (1ère chambre - formation à 3 06/01/2011, 10BX00630) qui a jugé que l’affichage d’un permis de construire sur une voie privée d’ordinaire accessible à tous mais faisant l’objet d’une interdiction momentanée de la circulation du public sur celle-ci est de nature à remettre en cause sa régularité ?

Ne peut-on pas supposer que l’ordonnance précitée accordant la prorogation du délai de recours des tiers devant le tribunal administratif après cette période d’empêchement momentanée de circulation sur la voie publique a vocation à « réparer » l’atteinte excessive du droit à un recours juridictionnel effectif causée par la PEUS ? et, éviter un afflux de contentieux administratif après la crise sanitaire qui ne manquera pas d’étouffer les tribunaux ?

Restons pragmatique et évaluons les différentes hypothèses.

En considérant bien sûr que l’affichage du panneau est conforme à la prescription du code de l’urbanisme…dès lors que le délai initial de recours de deux mois expire entre le 12 mars 2020 et le 25 juin 2020, alors la fin du délai de recours des tiers est reportée au 25 août 2020.

Plus précisément ; Si l’on considère que l’ordonnance du 25 mars 2020 viendrait couvrir « l’irrégularité » caractérisée, selon la jurisprudence bordelaise, par l’empêchement de circulation liée au confinement, alors le permis pourrait valablement être affiché pendant la PJP et les constatations dressées. Seul le délai de recours des tiers est reporté au 25 juin 2020 pour se terminer le 25 août 2020.

Si le doute persiste quant à la régularité de l’affichage pendant la période d’empêchement de circulation alors il conviendrait de stopper les constatations durant la PJP et de reporter le premier jour d’affichage après la période de PJP (théoriquement le 25 juin 2020). Il s’agit ici de recommencer toutes les constatations. On en revient aux règles du l’article R.600-2 du code de l’urbanisme : le délai de recours des tiers expirerait deux mois après le premier jour d’affichage, soit théoriquement, si l’huissier est extrêmement diligent à la sortie de la PJP, soit le 25 août 2020.

Marie-Laure Vanlerberghe Commissaire de Justice Honoraire - médiatrice associée à minutemediation.fr
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