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L’exception de risque grave présentée dans le Guide de bonnes pratiques de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Par Maître Noémie Houchet-Tran, Avocat.
Parution : jeudi 16 avril 2020
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À l’occasion du 40e anniversaire de la conclusion de la Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants , la Conférence de La Haye de droit international privé (ou Hague Conference on Private International Law) nous présente la Partie VI du Guide de bonnes pratiques en vertu de ladite Convention et portant sur l’une de ses dispositions essentielles : l’article 13(1)(b) ou l’« exception de risque grave ».

Pour rappel, aux termes de l’article 13(1)(b), « l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant si la personne, l’institution ou l’autre organisme qui s’oppose au retour de l’enfant établit (…) qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable ».

L’exception de risque grave découle de la prise en considération de l’intérêt de l’enfant (dont la situation doit être au cœur de l’examen du juge), compte tenu de « l’intérêt primaire de toute personne de ne pas être exposée à un danger physique ou psychique, ou placée dans une situation intolérable ».

Si les termes de la Convention illustrent le postulat fondamental selon lequel le déplacement ou le non-retour illicite d’un enfant est généralement préjudiciable à son bien-être et qu’il sera dans son intérêt supérieur de retourner dans l’État de sa résidence habituelle où toute question relative à la garde ou au droit de visite devrait être résolue, cela n’est pour autant pas toujours le cas.
Aussi, avec toujours en tête l’intérêt primordial de l’enfant, il pourra parfois paraitre opportun de ne pas ordonner son retour.

L’une des principales motivations à l’origine de cette Partie VI du Guide est donc la nécessité de promouvoir autant que possible une application homogène de l’article 13(1)(b) à l’échelle mondiale, et ce en prodiguant des orientations aux juges, Autorités Centrales ou encore avocats ou médiateurs qui sont amenés à appliquer cet article dans le cadre d’une demande de retour.
Il est néanmoins rappelé que bien qu’il aborde les questions d’interprétation d’un point de vue général, ce Guide n’est pas conçu pour diriger l’interprétation de l’article 13(1)(b) dans les affaires individuelles. Celle-ci relève « exclusivement de l’autorité compétente pour décider du retour », compte tenu des faits propres à chaque espèce. En outre, ce Guide n’a pas vocation à être contraignant pour les États contractants à la Convention et leurs juridictions. Il s’agit uniquement de bonnes pratiques indicatives.

Le rappel du principe de la Convention : le retour immédiat de l’enfant.

La Convention a été conçue dans le but de « protéger l’enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non-retour illicite et établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle, ainsi que d’assurer la protection du droit de visite » (cf. son préambule). Ce principe est rappelé en son article 1er .

Ce principe fondamental est fondé sur trois notions :

-  Le déplacement ou le non-retour est illicite lorsqu’il a lieu en violation du droit de garde (dont la définition autonome est prévue à l’article 5(a) de la Convention à savoir « le droit portant sur les soins de la personne de l’enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence ») : l’un des parents doit en principe obtenir le consentement de l’autre, ou à défaut une autorisation judiciaire, avant d’emmener ou de retenir l’enfant dans un autre État ;

-  Tout déplacement ou non-retour illicite est nuisible à l’enfant ;

-  Les autorités de l’État de la résidence habituelle de l’enfant sont les mieux placées pour statuer en matière de droits de garde et de visite. Il est d’ailleurs à noter que la décision de retour n’est pas une décision sur la garde, question sur laquelle seules les juridictions de l’État de résidence habituelle de l’enfant avant le déplacement peuvent statuer.

Ainsi, pour remplir cet objectif de retour immédiat, la Convention prévoit une procédure sommaire et rapide (dépôt d’une demande de retour par le parent délaissé auprès de l’autorité ou du tribunal compétents de « l’État contractant où se trouve l’enfant », conformément à ses procédures et pratiques internes).

Lorsque l’enfant a été déplacé ou est retenu illicitement dans un État contractant autre que celui de sa résidence habituelle, l’autorité ou le tribunal compétents saisis de la demande de retour sont tenus d’ordonner son retour immédiat.

Néanmoins et de façon exceptionnelle, la Convention admet que le non-retour d’un enfant se justifie, notamment en raison de l’exception visée à l’article 13(1)(b) : le risque grave.

Quelles sont les catégories de risque visées ?

L’article 13(1)(b) prévoit trois catégories de risque :

-  Un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique (par exemple dans le cas de violences, notamment sexuelles) ;
-  Un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger psychique (par exemple : la séparation de l’enfant et du parent qui l’a soustrait notamment du fait du statut de ce dernier en matière d’immigration ou en raison de poursuites pénales pendantes le concernant dans cet État) ;
-  Un risque grave que de toute autre manière le retour de l’enfant ne le place dans une situation intolérable (on peut penser à la séparation de l’enfant de ses frères et sœurs).
Chaque catégorie peut être soulevée de manière autonome pour justifier une dérogation à l’obligation du retour immédiat de l’enfant. Toutefois, bien qu’elles soient indépendantes, elles sont souvent employées ensemble (par exemple le situation politique d’un pays peut exposer l’enfant à des risques physiques et le placer dans une situation intolérable) et les tribunaux ne les ont pas toujours clairement distinguées dans leurs décisions.

Comment est interprété le risque grave ?

Cette exception est « de nature prospective ». Il convient ainsi de se concentrer sur la situation de l’enfant au moment du retour et à la possibilité qu’elle ne l’expose à un risque grave à ce moment-là, soit dans l’avenir (même si des éléments passés, comme des violences, peuvent être invoqués de façon pertinente).

Peu importe la catégorie de risque grave invoquée, l’examen de ce dernier sera identique et suivra les mêmes étapes.

Quelles sont les étapes à suivre dans l’examen de l’exception de risque grave ?

Il convient de rappeler que, comme toutes exceptions de la Convention, l’exception de risque grave est appréciée strictement.

Il faut également bien garder en mémoire qu’en raison des termes « n’est pas tenue d’ordonner le retour » du chapeau de l’article, l’autorité judiciaire ou administrative a seulement la faculté d’ordonner ou de refuser le retour de l’enfant lorsqu’une exception est établie. Il en résulte que les exceptions prévues à l’article 13 ne sont pas d’application automatique, en ce sens qu’elles n’aboutissent pas toujours au non-retour de l’enfant. Les juges vont apprécier au cas par cas.

Un raisonnement par étape va être suivi.

Étape 1 : le tribunal commence par examiner si les faits allégués par le parent qui a emmené l’enfant, ou par une autre personne ou un organisme qui s’oppose au retour, sont suffisamment précis et importants pour constituer un risque grave au sens de l’article 13(1)(b).
2 options sont alors possibles :
• Soit il constate que les faits allégués en vertu de l’exception, même s’ils sont établis, ne sont pas suffisamment précis et importants pour constituer un risque grave : il peut alors ordonner le retour de l’enfant (sauf autres exceptions prévues à la Convention) ;
• Soit il juge que les faits allégués sont suffisamment précis et importants pour constituer un risque grave : il poursuit l’examen de l’affaire.

Étape 2 : le tribunal vérifie ensuite s’il existe des mesures de protection adéquates et efficaces pour prévenir ou atténuer le risque grave dans l’État où l’enfant devrait retourner :
• Si de telles mesures existent et peuvent être prises : le tribunal ordonne le retour de l’enfant ;
• S’il n’existe pas de telles mesures de protection : il n’est pas tenu d’ordonner le retour de l’enfant (article 13(1)).

Quelles peuvent être les mesures de protection ?

Elles visent le plus souvent les cas de violences envers l’enfant ou domestiques. Elles recouvrent ainsi un large panel de services, aides et soutiens possibles (par exemple : accès à des services juridiques et sociaux, à une aide financière, à une aide au logement, aux services de santé, à des foyers ou encore les réponses apportées par les forces de l’ordre ou le système de justice pénale). Elles doivent pouvoir être mises en place concrètement dans l’État de résidence habituelle de l’enfant et s’avérer efficaces.
Elles peuvent aussi concerner la santé de l’enfant (par exemple avec un accès possible à un traitement médical).

Qui doit prouver le risque ?

Il appartient à la personne, à l’institution ou à l’organisme qui s’oppose au retour d’établir qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable. La charge de la preuve incombe donc le plus souvent au parent qui a emmené l’enfant.

Il est à noter que les règles de procédure et de preuve (norme et établissement) relèvent de la loi du for, à savoir de la loi de l’État requis dans lequel se situe le tribunal.

Quelles sont les lignes directrices à suivre ?

Afin de garantir le retour immédiat des enfants, de nombreux États contractants ont adopté des procédures spécifiques, notamment pour accélérer les procédures de retour.

Il ressort ainsi généralement que lorsqu’ils mettent en œuvre les mécanismes prévus par la Convention, les États doivent notamment par le biais de :
-  Leurs tribunaux :

• Adopter une gestion effective de l’instance, c’est-à-dire s’assurer que la procédure reste axée sur l’objet / le champ limité de la procédure de retour, y compris l’exception de risque grave, et assurer la résolution rapide de la question, sans retard injustifié (par exemple : détermination prompte des questions pertinentes, proposition d’une résolution amiable, participation des parties à la procédure et de l’enfant via son audition) ;

-  Leurs Autorités centrales :

• Prendre les mesures appropriées pour faciliter l’introduction des procédures judiciaires ou administratives ;
• Coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs États respectifs pour assurer le retour immédiat des enfants (notamment en communiquant efficacement entre elles quant aux législations, à la situation de l’enfant ou encore aux directives des tribunaux).

On peut donc saluer la publication de cette partie VI du Guide qui délivre des lignes directrices et exemples toute en préservant la souveraineté des États et les appréciations in concreto, indispensables à ce type de cas. On déplore néanmoins et paradoxalement le manque de directives plus claires à l’égard des juridictions sur certaines exceptions récurrentes encore interprétées de façon trop disparates selon les États.

Sources :

- Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants : https://www.hcch.net/fr/instruments/conventions/full-text/?cid=24

- Convention Enlèvement d’enfants de 1980 - Guide de bonnes pratiques - Partie VI Article 13(1)(b) : https://assets.hcch.net/docs/843d1604-e3af-4b79-9797-10e3cf51c35a.pdf

- Forum Famille Dalloz du 10 mars 2020 : http://forum-famille.dalloz.fr/2020/03/10/enlevement-international-denfants-et-exception-du-risque-grave-le-guide-de-bonnes-pratiques/

Noémie HOUCHET-TRAN Avocat au Barreau de Paris nhtavocat.com Spécialiste en Droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine Droit international de la famille