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La prescription annale s’applique à l’action en responsabilité du transporteur contre l’expéditeur. Par Maxime Taillanter, Avocat.
Parution : lundi 20 avril 2020
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En matière de droit des transports, l’article L133-6 du Code de commerce prévoit une prescription annale qui s’applique à toutes les actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu, qu’il s’agisse des actions pour pertes ou avaries ou même des autres actions ayant trait à l’exécution du contrat de transport.

Fidèle à son interprétation extensive du champ d’application de cette prescription très courte, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a récemment jugé que la prescription annale s’applique à l’action en responsabilité du transporteur contre l’expéditeur pour les dommages causés par la marchandise au véhicule de transport [1].

Dans les faits, une société de transport a été chargée d’acheminer des déchets appartenant à une société de recyclage notoirement connue vers le site d’une société de stockage de la région parisienne.

Le chargement des déchets a été effectué le 30 août 2011.

La livraison des déchets n’a pas pu être honorée le 30 août 2011 et le chauffeur a garé son véhicule sur le site de stockage le soir même en attendant de pouvoir assurer la livraison le lendemain.

Or, dans la nuit du 30 au 31 août 2011, un incendie a détruit ou endommagé ce camion ainsi que deux autres camions stationnés à proximité.

Une expertise judiciaire ordonnée en référé a permis d’établir que cet incendie avait été déclenché par un phénomène d’auto-inflammation des déchets transportés par le camion.

C’est dans ce contexte que la société de transport a assigné les 26, 29 et 31 décembre 2014 la société propriétaire des déchets (expéditrice) en responsabilité du fait des choses sur le fondement délictuel, afin d’obtenir réparation des dommages causés au camion incendié.

La société de transport reprochait ainsi à l’expéditeur de ne pas l’avoir alerté sur le danger représenté par les déchets transportés, lesquels sont à l’origine du sinistre.

En réponse, la société expéditrice a conclu à la prescription de l’action en responsabilité engagée par la société de transport, en indiquant qu’il s’agissait là d’une action de nature contractuelle fondée sur l’exécution d’un contrat de transport et qu’elle était donc soumise à une prescription annale en vertu de l’article L133-6 du Code de commerce.

La stratégie de la société expéditrice peut aisément se comprendre : même si une expertise judiciaire a interrompu le délai de prescription, le sinistre a eu lieu le 30 août 2011 et l’assignation de la société de transport date de la fin du mois de décembre 2014, soit plus de trois années après les faits.

La Cour d’appel de Versailles n’a pas fait droit à cette fin de non-recevoir tirée de la prescription en estimant que la prescription annale applicable aux contrats de transports ne s’applique pas aux dommages survenus sur le camion du fait de la défectuosité des marchandises transportées.

La Cour d’appel avait ainsi déduit de l’article L133-6 du Code de commerce que la prescription annale ne peut être opposée au transporteur que pour l’action en garantie de la perte des objets à transporter et non au véhicule de transport.

Cette décision a fait l’objet d’une censure par la Cour de cassation.

La Haute juridiction indique dans son arrêt du 26 février 2020 que l’action en réparation des dommages causés par la marchandise transportée au véhicule de transport est bien une action tirée de l’exécution même du contrat de transport.

Or, l’article L133-6 du Code de commerce prévoit bien dans ses deux premiers alinéas que la prescription annale s’applique à toutes les actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu, qu’il s’agisse des actions pour pertes ou avaries ou même des autres actions ayant trait à l’exécution du contrat de transport.

Or, si l’action en responsabilité du voiturier est bien l’une des actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu, la prescription annale du droit des transports [2] doit alors s’appliquer.

Il s’agit là d’une précision nouvelle, dans la droite lignée de l’interprétation extensive à laquelle la Cour de cassation nous a habitué quant à la prescription annale applicable au contrat de transport.

Ainsi, la Cour de cassation a déjà jugé applicable la prescription annale à l’action de l’expéditeur en remboursement du trop-perçu par le transporteur [3]. Il en fut de même concernant l’action en réparation du dommage causé par une manutention défectueuse préparatoire au transport [4].

En l’espèce, la prescription annale vient s’appliquer du fait que l’action en responsabilité du transporteur trouve son fondement dans l’exécution du contrat de transport.

De manière générale, cette prescription annale s’applique tout à la fois pour les pertes et avaries mais également pour les litiges liés aux frais et prix ainsi qu’aux prestations accessoires de transport.

Il convient donc d’être vigilant quant à cette prescription annale dès qu’un litige intéresse de près ou de loin l’exécution d’un contrat de transport.

Maxime Taillanter Avocat au Barreau de Lyon https://www.taillanter-avocat-lyon.com/avocat-droit-des-transports-lyon

[1Cass. com., 26 février 2020, n° 18-11.430

[3Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-11.983

[4Cass. com., 23 septembre 2014, n° 13-15.541