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Les pouvoirs de police du Maire au temps du Coronavirus. Par Thierry Grossin-Bugat, Avocat.
Parution : jeudi 23 avril 2020
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Au titre des nombreuses compétences détenues par les maires, l’exercice des pouvoirs de police constitue une de leurs plus importantes missions.
Mais de quels pouvoirs réels disposent-ils en la matière en cette période d’état d’urgence sanitaire ?

Quelques rappels sur les pouvoirs de police du Maire.

La police administrative du maire, exercée au nom de la commune, a une finalité préventive. Elle vise à prévenir les atteintes à l’ordre public en prenant toutes les mesures nécessaires : définition des règles à respecter, édiction des mesures à mettre en œuvre et surveillance pour en assurer le respect.

En application des dispositions de l’article L 2122-24 du code général des collectivités locales, le maire détient ainsi un pouvoir de police générale afin d’assurer le maintien de l’ordre public dans ses différentes composantes : le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. La compétence du maire s’exerce sur l’ensemble du seul territoire communal.

À cela s’ajoutent de très nombreuses compétences particulières qui fondent des pouvoirs de « polices spéciales » du maire (police des baignades et des activités nautiques, police des édifices menaçant ruine, etc.). L’Etat dispose également de pouvoirs de "polices spéciales", et notamment en matière de lutte contre les épidémies. En tout état de cause, l’exercice du pouvoir de police spéciale ne dessaisit pas le titulaire du pouvoir de police générale.

La légalité des mesures de police générale prises par une autorité est soumise à deux conditions cumulatives [1]) :
- être plus restrictives que les mesures édictées au titre de la police spéciale ;
- être justifiées par les circonstances locales.

La police du maire doit respecter quatre grands principes :
- les actes de police doivent respecter la hiérarchie des normes : le maire ne peut atténuer la rigueur des mesures prises par l’autorité nationale, mais il peut aggraver les mesures prises par l’autorité supérieure ;
- La prohibition des interdictions générales et absolues ;
- L’égalité entre les citoyens ;
- la proportionnalité des mesures prises au regard du nécessaire respect des libertés individuelles ou publiques [2] : liberté d’aller et venir, protection du domicile, la liberté de réunion, la liberté de culte, la liberté de l’industrie et du commerce.

L’arrêté municipal doit faire l’objet d’une motivation ; il n’a d’effet que s’il a fait l’objet d’une formalité de publicité, au travers d’un affichage ou d’une publication.

L’arrêté municipal ne trouvera son plein effet que si le maire fait procéder à son exécution par les agents placés sous son autorité (garde champêtre ou policier municipal) ou par les forces de police ou de gendarmerie

Une compétence dont les maires doivent faire usage en cette période de pandémie.

Saisi par un syndicat de jeunes médecins au sujet des mesures prises pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, le Conseil d’État [ CE, 22 mars 2020, n° 439674] a eu l’occasion de confirmer toute l’importance que revêt ce pouvoir de police qui est confié aux maires en précisant que :

« Les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires, des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient »
« Il appartient à ces différentes autorités (dont les maires) de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent »
« Une information précise et claire du public sur les mesures prises et les sanctions encourues doit être régulièrement réitérée par l’ensemble des moyens à la disposition des autorités nationales et locales. »

Les maires ont ainsi non seulement la faculté mais également l’obligation lorsque les circonstances locales le justifient de mettre en œuvre les pouvoirs de police qu’ils tiennent de la loi, y compris en instituant des mesures plus sévères que celles décidées par l’Etat.

Ainsi, et tout particulièrement en ce moment où la pandémie touche l’ensemble de la France, les maires peuvent décider, dans les conditions énoncées précédemment, d’un grand nombre de mesures afin de sauvegarder la santé de leurs concitoyens : fermeture de lieux accueillant du public, couvre-feux, réquisitions, mise en place de services publics, aides exceptionnelles à la population, etc.

Les maires sont également fondés à adopter des dispositions combinant la protection de la santé avec la nécessaire satisfaction des besoins vitaux de la population, comme l’alimentation, en autorisant par exemple l’accès à des marchés ouverts.

Une compétence des maires qui n’est pas exempte de sanctions.

L’exercice de la compétence de police administrative du maire est susceptible d’engager la responsabilité de la commune :
- si d’aventure un maire décidait de mettre en œuvre des dispositions qui dérogeraient aux contraintes posées par le législateur ou le pouvoir réglementaire, en les allégeant ;
- en cas de défaillance dans l’exercice de ses pouvoirs de police qui causerait un dommage à une personne physique, voire à une personne morale.

Compte tenu des conséquences de l’épidémie en cours, les maires devront ainsi être particulièrement vigilants quant au respect de la légalité des actes qu’ils prennent dans le cadre de l’exercice de leurs pouvoirs de police.

La confirmation par le juge administratif des pouvoirs encadrés du maire en période de pandémie.

L’actualité récente est venue illustrer les points ci-dessus rappelés.

Statuant en référé, plusieurs tribunaux administratifs ont reconnu les pouvoirs de polices du maire mais ont suspendu des arrêtés municipaux imposant des mesures disproportionnées et/ou plus restrictives que celles prises par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie [3].

Pour répondre à une jurisprudence parfois divergente, par une ordonnance n°440057 du 17 avril 2020, le juge des référés du Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur les pouvoirs du maire pendant cette période.

Le Conseil d’Etat a confirmé l’existence d’un pouvoir de police administrative spéciale de l’urgence sanitaire confié à l’Etat par le législateur mais confirme que le pouvoir de police spéciale confié à l’Etat ne prive pas le maire de son pouvoir de police générale, même en période d’urgence sanitaire.
Si des « circonstances locales » le justifient, le maire peut rendre plus contraignantes des mesures nationales à la double condition qu’il justifie de « raisons impérieuses liées à des circonstances locales » et, critère nouveau, que ces mesures ne compromettent pas la cohérence et l’efficacité des mesures déjà prises par l’Etat.

La marge de manœuvre des maires est donc ici étroite mais pour autant elle demeure.

Thierry GROSSIN-BUGAT exeme-avocats.com

[3Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 9 avril 2020, Ligue des Droits de l’Homme, n° 2003905, Tribunal administratif de Montreuil, 3 avril 2020, n° 2003861 – ou encore le TA de Caen, 31 mars 2020, Préfet du Calvados, n°2000711.