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Escroquerie aux fausses plateformes d’investissement en ligne : quels recours des victimes contre leur banque ? Par Romain Darriere, Avocat et Henri de Charon, Juriste.
Parution : mardi 28 avril 2020
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En dépit de l’action des pouvoirs publics, les sites frauduleux qui proposent aux internautes d’investir dans des produits atypiques tels que les options binaires, le Forex, les crypto-monnaies ou les spiritueux se multiplient sur la toile.
Selon l’Autorité des marchés financiers (AMF), entre juillet 2017 et juin 2019, les français se sont ainsi vus délestés de plus d’un milliard d’euros d’économie par les individus qui opèrent derrière ces sites.
Article actualisé par son auteur en mars 2024.

I. Une escroquerie extrêmement élaborée.

La technique est toujours la même. Tout débute par un email ou une publicité ciblée promettant aux internautes de leur faire gagner beaucoup d’argent en peu de temps ou de leur faire bénéficier d’un placement sûr avec un taux d’intérêt oscillant entre 6 et 8%.

En cliquant sur la publicité ou sur le lien figurant dans l’email, l’internaute est alors redirigé vers un site internet très bien réalisé et tout à fait crédible, comportant toutes les mentions légales requises ainsi qu’un certain nombre de « certifications » (telles que le logo de l’AMF, bien que cet organisme ne délivre pas d’accréditations).

Le site est le plus souvent une copie par « aspiration » d’un site internet édité par une société de trading enregistrée et dont seul le nom de domaine diffère légèrement, si bien qu’il est très difficile de faire la distinction entre la copie et l’original.

Lorsque l’internaute appelle le numéro de téléphone qui figure sur le site frauduleux, il est redirigé vers un centre d’appel situé à l’étranger où une personne qui se présente comme un courtier ou un gestionnaire de patrimoine lui répond dans un français parfait, après avoir décliné des nom et prénom à consonance « vieille France ».

Après plusieurs minutes, l’internaute se voit doté d’un espace personnel sur le site, certains escrocs allant parfois jusqu’à proposer une application permettant à leurs victimes de gérer leur « compte client » en direct, comme pour une banque.

Epaulée par ce « conseiller », la future victime commence alors à « investir » et voit soudain des gains ou des intérêts bien supérieurs à ceux annoncés s’afficher directement sur son écran.

Le conseiller fait mine d’être surpris par ces bons résultats mais les explique en usant de termes financiers incompréhensibles mais néanmoins crédibles pour le profane. Sous cette apparente maîtrise de la finance se cache en réalité un système qui fonctionne en vase clos, le site étant paramétré à l’avance par les escrocs.

Fort du lien de confiance établi, l’escroc pousse alors sa victime à investir des sommes sans cesse plus importantes et l’invite à transférer des fonds sur des comptes bancaires ouverts auprès de banques étrangères.

Une fois les fonds définitivement transférés, la victime s’aperçoit soudain que le site internet est en maintenance et que le « conseiller » ne répond plus au téléphone. Les escrocs se sont volatilisés avec le capital investi.

II. Des escrocs introuvables.

Face à ces réseaux très bien organisés, les recours directs sont limités et incertains. Il est en effet quasiment impossible d’identifier les escrocs, lesquels sont très souvent localisés dans des pays lointains bénéficiant d’une réglementation clémente.

Certaines victimes se tournent alors vers l’Autorité des Marchés Financiers (l’AMF), laquelle n’a malheureusement aucun pouvoir sur ces sites frauduleux. En effet, son rôle est de réguler les marchés financiers légaux et de mettre en place des procédures de médiation entre les investisseurs et les traders.

L’AMF tient cependant à jour une « liste noire » sur laquelle figurent les sites internet qui lui ont été signalés comme frauduleux, ou potentiellement frauduleux.

En réalité, la seule option qui s’offre aux victimes est d’envisager la mise en cause de leur banque.

III. Une obligation de vigilance à la charge du banquier.

En principe, les banques sont tenues à un certain nombre d’obligations au titre de la législation relative au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. La jurisprudence a cependant dégagé une obligation générale de vigilance qui dépasse ce cadre.

Ainsi, la responsabilité du banquier peut être engagée s’il ne s’est pas opposé à la réalisation d’une opération comportant une anomalie « apparente », c’est-à-dire une anomalie qui ne devrait pas échapper à un banquier « suffisamment prudent » et « normalement diligent ».

La jurisprudence distingue deux types d’anomalies apparentes : les anomalies « matérielles » et les anomalies « intellectuelles ».

L’anomalie matérielle est celle qui entache la validité même du titre ou du moyen de paiement, telle qu’une falsification, un « grattage » ou un ajout, l’imitation d’une signature …

L’anomalie intellectuelle est définie en jurisprudence comme étant « toute opération qui se présente dans des conditions inhabituelles de complexité et qui ne paraît pas avoir de justification économique ou d’objet licite ».

Par exemple, dans le cadre d’un virement au montant étrangement élevé, la banque doit interroger son client sur l’origine et la destination des sommes ainsi que sur l’objet de la transaction et l’identité du bénéficiaire.

Cette obligation de vigilance de la banque est néanmoins tempérée par un devoir de non-immixtion en vertu duquel elle « n’a pas à s’immiscer dans la gestion des affaires de ses clients ».

Cela étant précisé, s’il atténue l’obligation de vigilance de la banque, le devoir de non-ingérence ne la supprime pas.

IV. L’obligation de vigilance du banquier dans le cadre spécifique des escroqueries aux faux sites de trading.

Dans le cadre d’une affaire d’escroquerie commise au moyen d’un faux site de trading, il s’agira principalement de savoir si le banquier a manqué à son obligation de vigilance face à une anomalie purement intellectuelle, à savoir : le transfert par un particulier de fonds conséquents vers une banque étrangère.

L’étude de la jurisprudence nous indique que la solution du litige dépend entièrement des faits de l’espèce. Il convient en effet de présenter au juge un faisceau d’éléments de nature à déterminer si la banque a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité.

Ainsi, pour estimer les chances de succès d’une action en responsabilité à l’encontre d’une banque, il faut préalablement se poser des questions très concrètes telles que :
- La banque a-t-elle examiné l’opération ?
La victime a-t-elle été négligente ?
La victime pouvait-elle raisonnablement penser que le site frauduleux émanait d’un organisme sérieux ?
Le site figurait-il sur la liste noire de l’AMF au moment où les transferts de fonds ont été réalisés ?
- Le site frauduleux faisait-il l’objet d’avis négatifs ou de signalements de la part d’internautes ?-
Les transferts ont-ils été effectués sur internet ou en agence, par un conseiller ?
- La banque a-t-elle mis en garde la victime, notamment par écrit, sur la potentielle dangerosité de l’opération ? La banque a-t-elle fait signer à son client une décharge de responsabilité ?
- La victime est-elle passée outre l’avis de sa banque ?
- Quel était le libellé de l’opération ?

Le montant du virement était-il très élevé au regard du fonctionnement habituel du compte bancaire ?

Si le contentieux en matière d’escroqueries aux faux sites de trading n’a, à notre connaissance, pas encore donné lieu à une décision retenant l’entière responsabilité de la banque, il n’est pas rare que les juges procèdent à un partage de responsabilité.

Ainsi et par exemple, le 7 juillet 2022, le Tribunal de commerce de Paris a estimé que la banque Bred Banque Populaire était responsable à hauteur de 50% du préjudice financier subi par ses clients [1].

Dans cette affaire, un couple avait en effet transmis deux relevés d’identité bancaire (RIB) à la banque afin de les enregistrer et d’effectuer des virements sur des comptes ouverts dans les livres d’une banque domiciliée en Espagne.

Or, les deux RIB étaient établis à l’entête d’une banque allemande, et non pas espagnole.

La BRED n’a cependant pas relevé cette grossière anomalie matérielle et a donc exécuté les ordres de virement vers des comptes frauduleux.

Pour le Tribunal, il s’agissait « d’anomalies apparentes » que la banque aurait dû détecter. En ne le faisant pas, elle a donc partiellement engagé sa responsabilité.

Dans une autre affaire (n°18/1128) ayant donné lieu à un jugement en date du 8 novembre 2021, le Tribunal judiciaire de Bordeaux a condamné le Crédit Agricole sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil pour ne pas avoir, lui aussi, su déceler des « anomalies apparentes » sur le compte de l’un de ses clients effectuant des virements importants vers des bénéficiaires situés à l’étranger.

Selon les juges, les opérations en cause dénotaient fortement de ses habitudes.

En l’espèce, il était question de trois virements internationaux réalisés le même jour, pour un montant total de 100.000 euros, alors pourtant que le client de la banque bénéficiait d’une pension de retraite modérée et que ses dépenses quotidiennes étaient relativement modestes.

Encore récemment, dans un jugement du 6 octobre 2023 devenu définitif, le Tribunal judiciaire de Lille a condamné Monabanq à indemniser l’une de ses clientes à hauteur de 50% des pertes pour avoir manqué à son obligation de vigilance et de mise en garde (RG n° 21/03440).

Le Tribunal a en effet relevé que :

« […] les demandes formulées par Madame X pour procéder à des virements au bénéfice d’une banque portugaise, espagnole ou hongroise, étaient encore inhabituels compte tenu de la localisation de leur bénéficiaire mais également du fait qu’un nouvel établissement différent était à chaque fois renseigné.

[…] L’argument selon lequel il aurait dû être évident pour Madame X que des achats de parts de SCPI caractérisaient un placement à haut risque, compte tenu de l’importante documentation disponible par les autorités de veille des marchés financiers sur ces produits est au contraire de nature à conforter la négligence de la banque dans le devoir qui lui incombait alors pourtant qu’en raison de son statut de professionnel, cette information devait lui être encore plus certainement et facilement accessible et que Madame X avait pris soin à chaque ordre de virement de spécifier (ses pièces 6,8 et 12) qu’il s’agissait de « l’achat de parts de SCPI ».

La société Monabanq n’alléguant pas avoir pris contact avec sa cliente au sujet des opérations concernées autrement qu’en exécutant les ordres de virement sollicités, elle a nécessairement commis un manquement à son devoir de vigilance, sans que la légèreté supposée de la victime n’ait eu un caractère exonérateur de sa propre responsabilité.

En conséquence, elle est ténue de réparer le préjudice financier, lié à la perte de chance de ne pas avoir conservé ses fonds ».

De même, dans un arrêt rendu le 9 novembre 2023, la Cour d’appel de Grenoble a condamné la société Lyonnaise de Banque (CIC) à indemniser l’une de ses clientes à hauteur de « 60% » des sommes virées à perte, pour manquement à son obligation de vigilance (RG n° 22/03433).

Enfin, la Cour d’Appel de Paris a retenu un raisonnement similaire dans un arrêt du 13 mars 2024 (RG n° 22/05699), en condamnant le Crédit Agricole à indemniser l’une de ses clientes à hauteur de 40% du montant du virement litigieux, outre le paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Tout est donc une question de cas d’espèce.

En définitive, le succès d’une action dirigée par la victime d’un faux site de trading à l’encontre de sa banque résidera dans sa capacité à démontrer que la banque n’a pas été suffisamment vigilante et qu’elle a fermé les yeux sur une opération qui aurait pourtant dû attirer son attention, du fait d’anomalies apparentes.

Romain Darriere, Avocat et Henri de Charon, Juriste SELARL Romain Darriere www.romain-darriere.fr
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