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Le « plafonnement du déplafonnement » est conforme à la Constitution. Par Catherine Masquelet, Avocat.
Parution : mardi 19 mai 2020
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Dans une décision du 7 mai 2020, le Conseil constitutionnel a décidé que le lissage du déplafonnement du loyer renouvelé, instauré par la loi Pinel du 18 juin 2014, était conforme à la Constitution.

1. Le 7 mai 2020, le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa de l’article L145-34 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi Pinel du 18 juin 2014.

En cas de renouvellement d’un bail commercial, l’article L145-33 du code de commerce pose le principe que le loyer renouvelé doit correspondre à la valeur locative des locaux.

Le législateur a néanmoins prévu que, pour les baux dont la durée n’excède pas neuf ans, la détermination du loyer renouvelé devait se faire en respectant un plafond défini par référence à un indice publié par l’INSEE (ILC ou ILAT) [1].

Cette règle de plafonnement n’est toutefois pas absolue.

Le bailleur peut en effet obtenir le déplafonnement du loyer renouvelé s’il démontre une modification notable d’un des éléments de la valeur locative résultant notamment d’une modification des facteurs locaux de commercialité, comme par exemple une hausse de la fréquentation touristique du quartier du fait de la création d’une station de métro [2].

Le dernier alinéa de l’article L145-34 prévoit néanmoins dans ce cas que cette variation de loyer ne peut conduire à une augmentation de plus de 10% par an du loyer de l’année précédente, ce, jusqu’à atteindre la valeur locative convenue ou fixée judiciairement.

L’augmentation du loyer résultant du déplafonnement est ainsi « lissée » au cours du bail renouvelé par paliers de 10% annuels.

Ce mécanisme de "plafonnement du déplafonnement" était contesté devant les juges de la rue de Montpensier.

2. Devant le conseil constitutionnel, le requérant ont fait valoir trois griefs.

2.1. Il estimait tout d’avoir que cette mesure portait atteinte au droit de propriété du bailleur et qu’elle n’était justifiée par aucun motif d’intérêt général.

Sur ce point, le Conseil constitutionnel rappelle que le législateur peut apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

Les neuf sages décident que l’atteinte au droit de propriété du bailleur est ici justifiée par un « objectif d’intérêt général » consistant à « éviter que le loyer de renouvellement d’un bail commercial connaisse une hausse importante et brutale de nature à compromettre la viabilité des entreprises commerciales et artisanales ».

2.2. Le requérant prétendait également que cette mesure avait pour effet de priver le bailleur d’une partie de ses recettes locatives car celui-ci devait attendre plusieurs années avant que le montant du loyer atteigne effectivement la valeur locative.

Le Conseil constitutionnel répond que cette mesure permet tout de même au bailleur de bénéficier chaque année d’une augmentation de 10% du loyer de l’année précédente jusqu’à ce qu’il atteigne, le cas échéant, la nouvelle valeur locative.

2.3. Enfin, le requérant soutenait que si les dispositions du dernier alinéa de l’article L145-34 du code de commerce n’étaient pas d’ordre public, leur application aux baux en cours, conclus avant leur entrée en vigueur mais renouvelés postérieurement, conduisait à priver, en pratique, les bailleurs de la possibilité d’y déroger.

Sur ce dernier point, la Conseil constitutionnel nous confirme tout d’abord que les dispositions contestées ne sont pas d’ordre public.

A noter que la Cour de cassation s’était déjà prononcée sur l’absence du caractère d’ordre public de ces dispositions dans un avis du 9 mars 2018 (n°17-70040).

En outre, s’agissant des baux conclus avant la date d’entrée en vigueur de ces dispositions et renouvelés après cette date, les neufs sages estiment que l’application de ce dispositif ne résulte pas des dispositions contestées, mais de leurs conditions d’entrée en vigueur déterminées à l’article 21 de la loi du 18 juin 2014.

Ainsi, le juge constitutionnel décide que le dernier alinéa de l’article L145-34 du code de commerce dans sa rédaction résultant de la loi du 18 juin 2014 est conforme à la Constitution.

3. Avec cette décision, les petites et moyennes entreprises sont ainsi garanties, en cas de hausse importante du loyer lors du renouvellement du bail, à ne pas devoir subir d’un coup cette variation.

Une abrogation immédiate d’un tel dispositif aurait eu pour effet de compromettre la viabilité de nombreuses entreprises.

Cette décision est donc à saluer, surtout dans le contexte actuel de la crise sanitaire qui met en péril de nombreux commerces.

Cons. const. 7 mai 2020, n°2020-837 QPC, JO 8 mai 2020

Catherine Masquelet Avocat www.cma-avocat.com

[1Article L145-34 premier alinéa du code de commerce.

[2Articles L145-34 et R145-3 à R145-8 du code de commerce.