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Ne pas s’opposer dans le cadre d’une TUP : une renonciation à créance ? Par Antoine Le Roux, Avocat.
Parution : mercredi 24 juin 2020
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Ne pas s’opposer à la réalisation d’une Transmission Universelle de Patrimoine (TUP) ne signifie pas renoncer à sa créance. Celle-ci peut donc donner lieu à déclaration dans le cadre d’une procédure de sauvegarde.

La chambre commerciale de la Cour de Cassation se prononce de manière particulièrement intéressante au sujet de l’incidence de l’absence d’opposition par un créancier à une opération dite de Transmission Universelle de Patrimoine sur sa faculté ultérieure de déclarer sa créance dans le cadre d’une procédure collective (Cassation commerciale 25 mars 2020 n°18-20.079, disponible ici)

Une société par actions simplifiée était associée unique d’une autre société. Cette société associée unique décide de procéder à la dissolution de sa filiale à 100 % par application des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 1844-5 du Code civil.
Cet article dispose :

"La réunion de toutes les parts sociales en une seule main n’entraîne pas la dissolution de plein droit de la société. Tout intéressé peut demander cette dissolution si la situation n’a pas été régularisée dans le délai d’un an. Le tribunal peut accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser la situation. Il ne peut prononcer la dissolution si, au jour où il statue sur le fond, cette régularisation a eu lieu.
L’appartenance de l’usufruit de toutes les parts sociales à la même personne est sans conséquence sur l’existence de la société.
En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l’associé unique, sans qu’il y ait lieu à liquidation. Les créanciers peuvent faire opposition à la dissolution dans le délai de trente jours à compter de la publication de celle-ci. Une décision de justice rejette l’opposition ou ordonne soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties si la société en offre et si elles sont jugées suffisantes. La transmission du patrimoine n’est réalisée et il n’y a disparition de la personne morale qu’à l’issue du délai d’opposition ou, le cas échéant, lorsque l’opposition a été rejetée en première instance ou que le remboursement des créances a été effectué ou les garanties constituées."

Une telle opération de dissolution d’une filiale à 100% entraine la Transmission Universelle du Patrimoine de la société dissoute (d’où son appellation courante sous le vocable "TUP") et permet aux créanciers de la société dissoute par voie de TUP de faire opposition à l’opération. Ils disposent de trente jours à compter de la publication de la TUP. Si la dissolution est bien actée au jour de la décision de procéder à la TUP, elle ne devient effective qu’une fois le délai d’opposition des créanciers purgé (et le sort des oppositions réglé, le cas se présentant).

Certains créanciers avaient formé une opposition dans le délai de 30 jours. L’administration fiscale, qui disposait pourtant d’une créance, n’avait pas formé opposition.

En parallèle de cette opération de Transmission Universelle de Patrimoine, l’associée unique de la société dissoute s’est retrouvée, de son côté, placée sous une procédure de sauvegarde de justice. Puis, la procédure de sauvegarde a été étendue à la filiale à 100 % ayant fait l’objet de la TUP (à raison de l’existence de la TUP d’ailleurs).

L’administration fiscale a alors décidé de déclarer sa créance dans le cadre de la procédure de sauvegarde appliquée à la société dissoute.

La filiale dissoute et son associé unique ont contesté le bien-fondé de la déclaration de créance sur un double motif :

1. L’administration fiscale n’ayant pas fait opposition dans le cadre de l’opération de TUP doit être considérée comme ayant renoncé à sa créance. Sa déclaration de créance n’avait donc plus d’objet ; et
2. En tout état de cause l’administration fiscale aurait dû déclarer sa créance dans le cadre de la procédure de sauvegarde appliquée à l’associé unique de la société dissoute et non à celle appliquée à la société dissoute.

La Cour de cassation rejette l’ensemble des arguments présentés par les sociétés :

Elle indique, principalement, qu’ "aucun texte n’établit une présomption de renonciation à son droit ou une perte de ce dernier par le créancier d’une société, dont la dissolution est décidée par l’associé unique, qui ne forme pas l’opposition ouverte par l’article 1844-5, alinéa 3, du code civil". La solution est dans la droite ligne de la position de la Cour de Cassation s’agissant des renonciations à un droit, lesquelles ne présument pas et doivent résulter d’actes clairs et non équivoques.

Elle ajoute également que, dès lors que d’autres créanciers avaient fait valeur leur droit d’opposition, la société détenue à 100 %, bien que dissoute, n’avait pas encore pu transmettre son patrimoine à son associée unique et restait dotée de sa personnalité morale (elle survit jusqu’au règlement du sort des oppositions et réalisation de la TUP entraine sa disparition par confusion de patrimoines). Il en résulte que l’administration fiscale pouvait valablement déclarer sa créance dans le cadre de la procédure de sauvegarde appliquée à la société dissoute dès lors qu’elle avait formulé sa demande dans les délais. La solution est également parfaitement fondée juridiquement dès lors que l’opposition réalisée par un créancier fait, de manière générale et à l’égard de quiconque, obstacle à la disparition de la personnalité morale de la société dissoute jusqu’à rejet de l’opposition ou remboursement des créances ou encore constitution des garanties (jusqu’au règlement du sort des oppositions, donc).

En définitive, il faut retenir que, d’une manière générale, le fait qu’un créancier ne forme pas d’opposition dans le cadre d’une opération pour laquelle la loi prévoit un tel droit pour les créanciers sociaux (TUP / fusion / réduction de capital non motivée par des pertes, etc.) ne vaut pas renonciation à créance. Il en résulte, notamment, qu’il est possible de la déclarer au passif d’une procédure collective.

C’est aussi l’occasion de bien marquer la différence entre (i) la dissolution de la société "Tupée" qui intervient à la date de décision de l’associé unique et (ii) sa disparition qui n’a lieu qu’au jour de la réalisation définitive de la TUP.
Cette réalisation définitive de la TUP dépend directement du sort des oppositions (elle ne dépend pas de la volonté des parties qui ne maîtrisent pas le calendrier de la réalisation définitive de l’opération).
Si aucune opposition n’a été formée, la TUP est réalisée à l’issue du délai d’opposition et la société disparait à cette date. Si, au contraire, des oppositions ont été formées, la société dissoute ne disparait que lorsque le sort des oppositions aura été réglé. Bien que dissoute elle conserve sa personnalité morale à l’égard de tous (i.e, tous les créanciers sociaux peuvent bénéficier de cette survie de la personnalité morale de la société dissoute, y compris ceux qui n’avaient pas formé d’opposition).

Antoine Le Roux, Avocat