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Au secours, la salle des fêtes municipale fait trop de bruit ! Par Christophe Sanson, Avocat.
Parution : vendredi 24 juillet 2020
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Comment, pour les voisins immédiats d’une salle des fêtes municipale, lutter contre les nuisances sonores excessives générées par le fonctionnement de cette salle ?

La réglementation applicable aux lieux diffusant des sons amplifiés, et figurant dans le Code de la santé publique et le Code de l’environnement, prévoit un certain nombre de mesures aux fins de garantir un minimum de « confort acoustique » pour le voisinage.

Il revient ainsi au Maire, sur le fondement des pouvoirs de police qui sont les siens, de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder la tranquillité publique et ce d’autant plus lorsque la commune est également la propriétaire et la gestionnaire de la salle des fêtes litigieuse.

A défaut, la responsabilité pour faute de la commune pourra être engagée au titre de la carence fautive du maire à faire respecter la tranquillité publique aux abords de la salle des fêtes.

I. Présentation de l’affaire.

1. Faits.

Monsieur A. était propriétaire et occupant d’une maison à usage d’habitation située à proximité immédiate d’une salle des fêtes, propriété de la commune de M.

Cette salle des fêtes était louée à des particuliers afin d’organiser, le samedi soir le plus souvent, des manifestations privées telles que des anniversaires, mariages et autres réunions familiales.

Monsieur A. se plaignait de nuisances sonores liées à la diffusion, à forte intensité, de sons amplifiés au sein de la salle des fêtes litigieuse qui n’était dotée d’aucun isolement acoustique spécifique vis-à-vis du voisinage immédiat et d’aucun limiteur de pression acoustique.

L’ensemble de ces troubles avait, tout d’abord, été confirmé par une Étude de l’Impact des Nuisances Sonores (EINS) établie par le Bureau d’Études Techniques (BET) en acoustique P.A., à la demande de la commune.

Cette étude avait, notamment, conclu à la nécessité d’installer un limiteur de pression acoustique agissant par coupure des prises de courant alimentant la sonorisation mobile et à celle d’isoler les portes de la salle des fêtes.

A la suite de cette étude, la Direction des Affaire Sanitaires et Sociales (DDASS) du VAL-D’OISE (devenue depuis l’Agence Régionale de Santé) avait fait injonction à la commune d’installer dans la salle des fêtes un limiteur de pression acoustique dans les meilleurs délais, d’utiliser cette salle portes et fenêtres fermées, d’installer une climatisation et un système d’extraction des fumées respectant les débits de renouvellement d’air fixés par le règlement sanitaire départemental, de créer un sas d’entrée et de renforcer l’isolement acoustique de la salle.

2. Procédure.

En conséquence, le 24 juin 2013, l’assurance protection juridique de Monsieur A. avait formé, pour ce dernier, une demande préalable afin de lier le contentieux par application de l’article R. 421-1, alinéa 2, du Code de justice administrative.

Elle demandait à la commune d’engager les travaux préconisés par le BET P.A. et par la DDASS du VAL-D’OISE et d’allouer au requérant la somme de 15 000 € à titre de dommages-intérêts correspondant aux troubles subis par lui dans ses conditions d’existence.

En raison du silence gardé par la commune pendant plus de deux mois , une décision implicite de rejet était née le 25 août 2013.

Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement le 22 octobre 2013 et le 21 novembre 2014, Monsieur A. demandait alors au tribunal administratif de Cergy-Pontoise :
- d’annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de M. avait rejeté ses demandes d’indemnisation et de faire procéder aux travaux d’insonorisation de la salle des fêtes ;
- de condamner la commune de M. à lui verser la somme de 15 000 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts en réparation des préjudices subis du fait des nuisances sonores dues à l’utilisation de la salle polyvalente communale située à proximité de son domicile ;
- d’enjoindre à la commune de M. de réaliser les travaux d’insonorisation de la salle polyvalente préconisés par le BET P.A., dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par mois de retard ;
- et de mettre à la charge de la commune de M. la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que la somme de 35 euros au titre de la contribution à l’aide juridique.

Par sa requête et son mémoire, Monsieur A. soutenait ainsi que :
- la responsabilité sans faute de la commune était engagée en raison du préjudice anormal et spécial qu’il subissait du fait des nuisances dues à l’utilisation fréquente de la salle polyvalente communale située à proximité de son domicile pour des soirées et des manifestations bruyantes ;
- la responsabilité pour faute de la commune était engagée du fait de la carence du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police à faire cesser les nuisances sonores dues à l’utilisation de la salle polyvalente ;
- il subissait avec sa famille des troubles dans ses conditions d’existence, en particulier des troubles du sommeil, du fait des nuisances sonores liées à l’utilisation de la salle des fêtes pour des soirées les samedis.

Par son jugement en date du 17 mai 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait rejeté la requête de Monsieur A. et l’avait condamné à verser à la commune de M. la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

C’est pourquoi, Monsieur A. a, par une requête en appel, demandé à la Cour administrative d’appel de VERSAILLES de bien vouloir annuler, en totalité, le jugement rendu le 17 mai 2018 par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d’ordonner à la commune de M. de réaliser les travaux d’insonorisation de la salle polyvalente pour la mettre en conformité avec la réglementation acoustique applicable et de l’indemniser pour le préjudice subi.

3. Décision du juge.

Par un arrêt du 28 février 2020, la Cour administrative d’appel de VERSAILLES a fait droit aux demandes de Monsieur A. et a ainsi conclu au fait que la salle des fêtes ne fonctionnait pas en conformité avec la réglementation acoustique qui lui était applicable et que la carence du maire dans l’exercice de son pouvoir de police était de nature à engager la responsabilité pour faute de la commune de M.

En conséquence, elle a annulé le jugement rendu par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 17 mai 2018 et a demandé à la commune de M. de faire procéder aux travaux d’insonorisation de la salle des fêtes dans un délai d’un an à compter de la notification de l’arrêt.

La commune de M. a également été condamnée à verser à Monsieur A. la somme de 13 000 euros, augmentée des intérêts légaux, en réparation de ses préjudices ainsi que la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.

II. Observations.

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles, reproduit en texte intégral ci-dessous, rappelle la nécessité pour une salle des fêtes municipale de fonctionner en conformité avec la réglementation acoustique qui lui est applicable. A défaut, la responsabilité pour faute de la commune, également propriétaire et gestionnaire de cette salle des fêtes, pourra être engagée (A).

La Cour administrative d’appel a, ensuite, considéré que le trouble causé à Monsieur A., en raison du fonctionnement illégal de la salle des fêtes, constitutif d’une faute, obligeait la commune à mettre fin aux nuisances sonores et à réparer les préjudices en découlant (B).

1. La responsabilité pour faute d’une commune du fait du fonctionnement anormal d’une salle des fêtes.

Monsieur A. se plaignait de nuisances sonores liées à la diffusion, à forte intensité, de sons amplifiés au sein de la salle des fêtes, propriété de la commune de M. 

Cette salle, bien que relevant incontestablement du régime juridique applicable aux lieux diffusant des sons amplifiés au sens du Code de l’environnement et du Code de la santé publique , n’était dotée d’aucun isolement acoustique spécifique vis-à-vis du voisinage immédiat et d’aucun limiteur de pression acoustique en contravention manifeste avec cette réglementation.

En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Versailles a considéré que la commune avait « refusé implicitement, en gardant le silence sur la demande formulée par Monsieur A. le 24 juin 2013, de réaliser les travaux d’insonorisation préconisés par l’EINS établie par le BET P.A. alors que des activités très bruyantes se déroulaient encore à cette date dans la salle et [n’avait] pas procédé à l’installation du limiteur de pression ni aux travaux d’insonorisation qui avaient été préconisés par la DDAS. ».

Afin de rapporter la preuve de la persistance des nuisances sonores subies par lui, Monsieur A. avait, en effet, mandaté le BET A.A. pour la réalisation, à ses frais avancés et alors que la procédure d’appel était en cours, d’un nouveau mesurage acoustique.

Le rapport ainsi établi par ce second BET faisait état « d’émergences sonores de 19,5 dB(A) et de 20,5 dB(A) en période diurne et en période nocturne alors que les valeurs admises par la réglementation étaient de 5 dB(A). ».

Il n’existait donc aucun doute quant au fait que la salle des fêtes litigieuse ne fonctionnait pas en conformité avec la réglementation acoustique qui lui était applicable.

Dans le cadre des pouvoirs de police administrative prévus à l’article L. 2212-1 du Code général des collectivités territoriales, le maire a l’obligation, sous peine de voir la responsabilité de la commune engagée, de faire cesser tout trouble à l’ordre public.

Le maire a notamment pour mission d’assurer la tranquillité publique en prévenant et réprimant les bruits et les troubles de voisinage en général.

Le maire dispose également de pouvoirs de police spéciales issus du Code de la santé publique, du Code de l’urbanisme ou encore, et à titre d’exemple, du Code de l’environnement.

En cas de carence dans l’exercice des pouvoirs de police du maire, la commune s’expose à un risque de condamnation pour faute.

D’autre part, et dès lors que la commune de M. était également propriétaire et gestionnaire de la salle des fêtes litigieuse, la Cour administrative d’appel a également considéré qu’il revenait à cette commune « de prendre, sans préjudice des mesures de police relevant de la compétence propre du maire, les mesures nécessaires pour que les nuisances résultant de son fonctionnement n’excèdent par, par leur intensité, leur fréquence ou leur durée, les sujétions inhérentes au voisinage d’un ouvrage public, notamment en réglementant l’utilisation de la salle ou en décidant de renforcer son insonorisation. ».

Il revenait donc au Maire de prendre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder la tranquillité publique, d’une part, sur le fondement de ses pouvoirs de police et, d’autre part, en sa qualité de représentant de la commune, propriétaire et gestionnaire de la salle des fêtes.

En l’espèce, la commune de M. ne produisait, à l’appui de son mémoire en défense, aucune pièce qui permettait de démontrer qu’elle aurait mis en œuvre les préconisations du BET P.A. et de la DDASS du Val d’Oise.

Ainsi, en l’absence notamment de communication du certificat d’installation du limiteur de pression acoustique, conformément aux dispositions de l’article R. 571-27 du Code de l’environnement, rien ne permettait de prouver que le limiteur de pression acoustique visée par l’EINS ci-dessus mentionnée avait bien été posé et scellé par son installeur.

C’est pourquoi, la Cour administrative d’appel a conclu « à l’absence de mesures prises par le maire et par la commune pour assurer la tranquillité du voisinage de la salle des fêtes et le respect de la réglementation susrappelée révélant une faute de nature à engager la responsabilité de la commune alors même que Monsieur A. serait le seul à se plaindre des nuisances en cause. ».

La juridiction d’appel a ainsi fait application d’une jurisprudence constante selon laquelle la responsabilité d’une commune est susceptible d’être engagée lorsque le maire n’avait pas pris de mesures propres à garantir la tranquillité publique, ce qui était objectivement le cas en l’espèce, ou lorsque les mesures prises étaient insuffisantes.

Il ressort de ces jurisprudences qu’un maire ne saurait rester inactif sous peine d’engager la responsabilité de la commune en cas de litige. Il appartient donc au maire de prendre les mesures appropriées pour prévenir, sur le territoire de sa commune, les bruits excessifs de nature à troubler le repos et la tranquillité des habitants.

En l’espèce, une telle inertie était tout à fait contestable dès lors que la commune de M. n’était pas sans savoir que la salle ne respectait pas la réglementation acoustique qui lui était applicable.

Une telle carence du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police était donc, nécessairement, de nature à engager la responsabilité pour faute de la commune de M. 

Dès lors que la Cour administrative d’appel a conclu, sans aucun doute, au fait que la salle des fêtes ne fonctionnait pas en conformité avec la réglementation acoustique qui lui était applicable et que la carence du maire était de nature à engager la responsabilité pour faute de la commune de M., il était logique que cette dernière commune soit condamnée à mettre fin aux nuisances sonores subies par Monsieur A. et a réparé ses préjudices.

2. L’obligation pour une commune de faire cesser les nuisances sonores provenant de sa salle des fêtes et d’indemniser les préjudices en résultant.

Quand les juges caractérisent le fonctionnement d’une salle des fêtes en violation de la réglementation acoustique applicable et qu’ils engagent la responsabilité d’une commune, il leur revient de prendre toutes les dispositions nécessaires pour faire cesser les nuisances ainsi constatées et indemniser le préjudice qui en résulte pour le requérant.

Il est constant que lorsque l’exploitation d’une activité n’est pas conforme à la réglementation acoustique qui lui est applicable, les tribunaux peuvent prescrire des mesures de nature à faire cesser les nuisances sonores subies par les demandeurs.

La Cour administrative d’appel a repris l’ensemble des préconisations du BET P.A. et de la DDASS du VAL-D’OISE et a ainsi enjoint à la commune de « réaliser des travaux d’insonorisation de la salle des fêtes en cause propres à assurer le respect des normes acoustiques fixées par les dispositions précitées du code de la santé publique. ».

Une telle injonction permet ainsi d’entrevoir les conséquences pratiques de la décision rendue et de son exécution, et ce, d’autant plus, que cette injonction devra obligatoirement être mise en œuvre dans un délai d’un an par la commune de M. 

L’objectif est, en effet, de parvenir à la réparation intégrale des préjudices subis par Monsieur A., réparation qui passe nécessairement par une cessation définitive des nuisances sonores.

Il aurait également été possible pour la Cour administrative d’appel d’assortir sa décision d’une astreinte ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

L’astreinte est une condamnation à une somme d’argent, à raison de tant d’euros par jour de retard, prononcée par un juge contre un débiteur récalcitrant en vue de l’amener à exécuter en nature son obligation.

Le mécanisme de l’astreinte présente donc l’avantage d’inciter les parties perdantes à exécuter la décision rendue à leur encontre.

Néanmoins, dans l’hypothèse où la commune ne satisferait pas entièrement à l’injonction prononcée à son encontre, Monsieur A. aurait la possibilité de saisir la juridiction administrative aux fins de solliciter l’exécution de l’arrêt ; étant précisé qu’il sera alors possible pour cette juridiction d’assortir cette exécution d’un nouveau délai et d’une astreinte.

Outre la cessation des nuisances sonores, la victime de ces nuisances peut prétendre à l’indemnisation de ses préjudices.

La Cour administrative d’appel a ainsi condamné la commune de M. à payer à Monsieur A. la somme de 13 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable reçue par la commune, en réparation de ses préjudices.

Il convient, tout d’abord, de souligner que la Cour administrative d’appel n’a pas fait de distinction entre les différents préjudices subis par Monsieur A., à savoir son préjudice de jouissance, son préjudice moral ou encore son préjudice de santé.

En effet, elle a décidé de lui allouer une somme forfaitaire de 13 000 euros en réparation des préjudices subis par le requérant « de toute nature ».

Pour indemniser les préjudices de Monsieur A., la Cour administrative d’appel s’est fondée sur la fréquence de la manifestation des nuisances sonores subies par le requérant.

Elle a ainsi estimé que ces nuisances se manifestaient à raison d’une fin de semaine sur quatre depuis l’année 2007, date à laquelle l’EINS avait été réalisée par le BET P.A et la DDAS du VAL-D’OISE avait enjoint à la commune d’installer dans la salle des fêtes un limiteur de pression acoustique et de procéder à des travaux d’isolement.

Par ailleurs, la Cour administrative d’appel a condamné la commune de M. à verser à Monsieur A. la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Conclusion.

Cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel constant tendant à retenir la responsabilité administrative d’une commune pour carence du maire dans l’exercice de son pouvoir police, s’il apparaît que celui-ci n’a pas pris les mesures nécessaires pour mettre fin à des nuisances dont il connaissait l’existence.

Cette décision reste, à l’évidence, favorable, aux riverains des salles municipales victimes de nuisances sonores qui sont à mêmes d’obtenir la réalisation de travaux d’isolement acoustique aux fins de mettre la salle en conformité avec la réglementation acoustique qui lui est applicable, l’indemnisation de leur préjudice ainsi que le remboursement des frais engagés par eux.

Ce recours en responsabilité devant les tribunaux administratifs n’est toutefois pas exclusif de la possibilité qu’ont les riverains d’une salle des fêtes bruyante d’intenter une action à l’encontre des locataires de cette salle à l’origine des nuisances.

La responsabilité civile des locataires pour troubles anormaux de voisinage peut ainsi être également engagée. Cependant, outre la difficulté liée à l’identité de ces locataires, il convient de souligner qu’une telle action ne pourra être engagée que devant les tribunaux civils .

Christophe Sanson, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine